renoir la règle du je

Au soir de sa vie, le peintre délaissa l’impressionnisme pour arpenter des chemins plus personnels. Certains exaltent ces ouvres tardives, d’autres les jugent sévèrement : la rétrospective que leur consacre le Grand Palais, à Paris, rapprochera-t-elle les points de vue ?

Impressionnant. Encore et toujours. Auguste Renoir brille définitivement au firmament de la peinture. On n’y reviendra pas. Quintessence de son £uvre, Le Bal du moulin de la Galette (1876) est l’une des toiles les plus célèbres au monde. Mais l’exposition du Grand Palais, à Paris, ne s’intéresse pourtant pas au peintre impressionniste qu’il fut. Les 110 £uvres rassemblées se concentrent, comme l’indique le titre de la manifestation, sur le Renoir du xxe siècle, celui qui, après des  » années de combat  » aux côtés de Monet, Pissarro, Cézanne, Morisot ou Sisley, cherche sa voie. Il est vrai que les dernières années d’un artiste sont souvent emblématiques de la liberté qu’il prend avec son art et, surtout, avec un milieu par trop contraignant.

Sans surprises, cette période tardive a donc suscité autant d’enthousiasmes que de sarcasmes. Si, pour Apollinaire,  » le vieux Renoir est le plus grand peintre de ce temps « , d’autres, nombreux, condamnent la touche  » cotonneuse « , le jus  » groseille  » et les  » nus vineux  » de l’artiste. Une dichotomie toujours d’actualité.  » L’exposition, explique Sylvie Patry, sa commissaire, est née de la perplexité suscitée par le fossé entre la déconsidération qui entoure aujourd’hui le « dernier Renoir » et le prestige dont il jouissait au début du xxe siècle. « 

Un nouveau peintre

Le  » premier Renoir  » peint des enchantements atmosphériques, vibrants et colorés. Mais, dès la fin des années 1870, il se détache de son groupe d’amis.  » J’étais allé jusqu’au bout de l’impressionnisme, expliquera-t-il plus tard à Ambroise Vollard, l’un de ses marchands. Et j’arrivais à cette constatation que je ne savais plus ni peindre ni dessiner. En un mot, j’étais dans une impasse. « 

Un voyage en Italie, en 1881, lui ouvre des horizons. Il découvre les fresques de Raphaël, qui l’incitent à évoluer vers des formes simples et monumentales. Comme en témoignent ses £uvres de l’époque, il se convertit au dessin, limitant sa palette à quelques couleurs (voir Danse à la campagne, page ci-contre). Mais, peu après, il se dégagera également de cette manière  » sèche « . Jusqu’à la fin de sa vie, il représentera, dans un style aérien, des paysages et exécutera de nombreux portraits, notamment ceux de son entourage, famille, marchands ou collectionneurs. Surtout, il développe, comme l’explique Sylvie Patry, une  » obsession du corps féminin « .

L’Affaire des nus

Plus question de croquer grisettes et Parisiennes. Alors que Picasso, de quarante ans son cadet, peint Les Demoiselles d’Avignon, mettant en scène d’agressives prostituées, Renoir le patriarche se délecte de nus voluptueux. Sous son pinceau jaillissent d’intemporelles odalisques, des nymphes antiques fondues dans la nature. Leurs chairs opulentes, aux tons exagérés, évoquent les peintures de Rubens ou de Titien. Ces visions poétiques, déconnectées des réalités sociales et politiques, étonnent d’autant plus que Renoir traverse alors la période la plus sombre de son existence. Il est atteint de rhumatismes qui le condamneront à la paralysie. Et la guerre, durant laquelle deux de ses fils, Pierre et Jean, envoyés sur le front, sont grièvement blessés, ne cesse de l’angoisser. Quant à sa femme, Aline, elle meurt en 1915, après être allée rendre visite à Jean, encore hospitalisé. Pourtant ni la maladie ni la douleur ne transparaissent dans ces scènes idylliques.

Les détracteursà

Le tournant du xxe siècle marque la consécration institutionnelle et commerciale de Renoir. Grâce aux marchands Durand-Ruel, Vollard et les Bernheim, sa réputation s’est étendue de part et d’autre de l’Atlantique, et les expositions se multiplient. Mais le Renoir apprécié des collectionneurs, c’est d’abord l’impressionniste, celui du Bal du moulin de la Galette ou du Déjeuner des canotiers. Car sa nouvelle manière déconcerte ou irrite. On critique la facture relâchée, les formes boursouflées et, surtout, ses  » énormes femmes rouges, tellement grasses, avec de très petites têtes « , comme l’écrit Mary Cassatt en 1913.

La polémique ne s’éteindra même pas avec la mort du peintre. En 1920, un an après son décès, ses trois fils envoient au Salon d’automne ses dernières créations. S’ensuivent batailles et discussions. Les nus exposés évoquent une  » boucherie pastorale « , tempête un critique. En 1923, les fils Renoir entament des démarches pour offrir à l’Etat Les Baigneuses (voir ci-contre), l’un des ultimes tableaux de leur père, considéré comme son testament. Nouvelle polémique. Irrités, ils rendent publique une lettre du mécène américain Barnes, qui propose d’acheter la toile 800 000 francs français. Après discussion, il est décidé que Les Baigneuses resteront français.

… Et les défenseurs

Critiques et quolibets ne découragent pas les inconditionnels.  » Je ne crois pas que Renoir puisse dépasser ces dernières £uvres tant elles sont calmes, sereines et mûres « , s’enthousiasme Apollinaire à l’occasion d’une exposition organisée en 1913 par la galerie Bernheim-Jeune. Certains collectionneurs concentrent d’ailleurs leurs achats sur ces derniers tableaux de l’artiste, notamment le fameux docteur Albert C. Barnes, de Philadelphie, qui acheta quelque 180 toiles, essentiellement datées de cette période. Renoir servira également d’exemple à toute une jeune génération d’artistes, tels Bonnard, Denis, Matisse ou Picasso.  » Ils appréciaient l’équilibre entre le classicisme des sujets traités et la liberté de la touche et de la couleur « , explique Sylvie Patry. Ainsi Renoir symbolisait-il à leurs yeux la modernité.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Renoir est parfois encore tenu pour pas grand-chose, semble-t-il. Pour preuve, les ventes récentes de tableaux du vieux maître par des musées américains comme le Metropolitan Museum ou le Museum of Modern Art de New York, en vertu de la pratique du  » deaccessioning « , qui leur permet de céder leurs £uvres pour mieux renflouer leurs collections. Raison invoquée par un conservateur :  » Renoir n’appartient pas à l’histoire de l’art moderne que nous racontons.  » Les visiteurs du Grand Palais se feront, eux, leur idée. Mais il y a fort à parier que le maître sera à nouveau chahuté, tant ses toiles appartiennent à des temps révolus. Elles rayonnent néanmoins d’une étrange force intérieure, celle d’un vieil homme qui, jusqu’à son dernier souffle, tenta de percer le mystère de la peinture. A. C.-C.

Renoir au xxe siècle, Grand Palais, Paris. Du 23 septembre 2009 au 4 janvier 2010.

À lire : Renoir, par Pascal Bonafoux (éd. Perrin). Renoir, par Anne Distel

(éd. Citadelles & Mazenod).

Renoir au xxe siècle, par Sylvie Patry (Découvertes/Gallimard).

annick colonna-césari

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