Remonter très loin dans le temps

Que voir parmi les 38 000 oeuvres exposées au Louvre, sur un total de 460 000 conservées au musée ? Des incontournables, bien sûr, mais aussi des opus majeurs, quoique moins célèbres – et enfin des trésors parfois méconnus qu’il faut découvrir et redécouvrir. En remontant jusqu’à 7 000 ans avant Jésus-Christ.

ANTIQUITÉS ORIENTALES Aux sources de la civilisation

Le département renferme les plus vieilles oeuvres du Louvre.  » Le record d’ancienneté est détenu par une statue jordanienne en plâtre de gypse, produite environ 7 000 ans avant Jésus-Christ, précise Béatrice André-Salvini, directrice du département des Antiquités orientales. Le royaume de Jordanie en a fait le dépôt en 2005.  » Couvrant le Moyen-Orient (Levant, Mésopotamie et Iran) de la préhistoire à l’apparition de l’islam, les collections du Louvre consacrées à l’Orient ancien ont vu le jour au milieu du XIXe siècle.

En 1843, Paul-Emile Botta, consul de France à Mossoul (ville irakienne alors sous domination ottomane),  » invente  » la civilisation assyrienne lors de ses fouilles à Khorsabad, l’ancienne capitale de Sargon II (VIIIe siècle avant Jésus-Christ) : bas-reliefs et statues monumentales sont aussitôt expédiés au Louvre. Au sein duquel le premier  » Musée assyrien  » au monde ouvre ses portes en mai 1847. Après Botta, d’autres diplomates français en poste au Moyen-Orient ottoman, ou encore l’historien Ernest Renan, au cours d’une mission au Liban, font directement profiter le Louvre de leurs découvertes sur les premières civilisations – en toute légalité, les oeuvres envoyées en France faisant l’objet d’accords de partage avec les autorités locales, l’Empire ottoman et le royaume iranien.  » Tous ces pionniers français de l’assyriologie étaient de grands érudits en quête des origines de l’humanité, qui partaient pour retrouver les traces des royaumes décrits par l’Ancien Testament « , explique Béatrice André-Salvini.

Durant l’entre-deux-guerres, l’archéologie française se concentre sur la Syrie et le Liban, où la France s’est vu confier en 1920 un mandat par la Société des Nations. C’est l’époque des campagnes de fouilles d’André Parrot dans l’ancien site de Mari, qui enrichissent considérablement les collections du Louvre. Depuis 1945, les acquisitions sont plus rares. La collaboration scientifique avec la Jordanie, le Yémen ou la Syrie a toutefois permis l’entrée de nouvelles pièces. Sans oublier les fouilles auxquelles participent les  » conservateurs archéologues  » d’un département dont les quelque 150 000 oeuvres proviennent essentiellement de l’archéologie.

ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES Des pharaons à l’homme de la rue

Champollion n’a pas seulement déchiffré les hiéroglyphes ; il a aussi fait entrer l’Egypte ancienne au Louvre. En 1826, quatre ans après avoir rendu la parole à l’antique civilisation, l’illustre égyptologue est nommé par Charles X à la tête d’une nouvelle Division égyptienne au sein du musée. L’achat d’importantes collections privées puis la mission d’acquisition menée en Egypte par Champollion lui-même permettent bientôt de rassembler l’une des plus belles collections égyptiennes d’Europe.

 » Champollion n’était pas qu’un philologue, mais également un grand historien d’art, qui a su donner toute sa place à l’art égyptien à une époque où celui-ci était au mieux perçu comme exotique « , souligne Guillemette Andreu, l’actuelle directrice du département des Antiquités égyptiennes.

Au milieu du XIXe siècle, Auguste Mariette, second père fondateur du département, signe avec l’Egypte le premier accord de partage de fouilles : jusqu’à la chute du roi Farouk, en 1952, les découvertes des archéologues français enrichissent ainsi régulièrement les collections du Louvre.  » Nos chercheurs ont toujours eu beaucoup de flair, notamment lorsqu’ils se sont intéressés au site de Deir el-Medineh, précise Guillemette Andreu. Dans ce village où habitaient des ouvriers et artisans travaillant sur les tombes de la Vallée des Rois, on a retrouvé des pièces essentielles pour comprendre la vie quotidienne des Egyptiens.  »

Autre particularité du département des Antiquités égyptiennes du Louvre : la collection ne s’arrête pas avec la chute des pharaons, mais s’intéresse aussi à l’ère romaine et chrétienne de l’Egypte.  » La civilisation copte, c’est la suite et la fin de l’Egypte ancienne, rappelle Guillemette Andreu. Pour construire l’église de Baouit, que nous présentons partiellement reconstituée, on a utilisé les mêmes matériaux, les mêmes techniques que sous les pharaons.  »

Depuis 2007, cette vision élargie de l’antiquité égyptienne se traduit également par des fouilles menées au Soudan, jadis sous l’influence de l’Egypte pharaonique, où les archéologues du musée font oeuvre de pionniers. Présentée une première fois au public lors d’une exposition en 2010, la civilisation nubienne de Méroé sort peu à peu de l’ombre grâce au Louvre.

ANTIQUITÉS GRECQUES, ÉTRUSQUES ET ROMAINES Beau comme l’antique

L’histoire de ce département se confond avec celle du Louvre : avant même la création du musée sous la Révolution, le palais abrite les collections royales de statues romaines. Comme la Diane de Versailles offerte à Henri II par le pape Paul IV, qu’on peut aujourd’hui admirer dans la salle des Cariatides.

Point fort du musée à son ouverture en 1793, cette collection d’antiques romains connaît bientôt une spectaculaire mais temporaire inflation, sous le Directoire puis l’Empire, à la faveur des saisies effectuées en Italie puis en Prusse (dans la collection de Frédéric II). Après 1815, restent tout de même de l’époque napoléonienne les remarquables marbres de la collection Borghèse, achetée par l’Empereur à son beau-frère le prince Camille Borghèse.

Le XIXe siècle est ensuite marqué par la diversification des collections antiques du Louvre, qui acquiert certaines des premières oeuvres grecques quittant les bords de la mer Egée. Parmi elles, la Vénus de Milo, puis la Victoire de Samothrace, deux des trois stars incontestées du musée avec la Joconde. Puis le Louvre s’ouvre à l’art étrusque, avec l’achat en 1861 de la plus grande partie des collections du marquis Campana.  » Cet aristocrate romain, grand collectionneur d’antiques et passionné d’archéologie, a été l’un des premiers à s’intéresser aux terres cuites et à l’art étrusque « , raconte Françoise Gaultier, directrice du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Mis en faillite à la suite de ses (trop) nombreux achats, le marquis verra ses collections saisies et vendues pour solder ses dettes.

Une aubaine pour le Louvre, dont les collections présentent aujourd’hui un bel équilibre entre les mondes grec, étrusque et romain.  » A quelques exceptions près, comme pour le IIe millénaire avant notre ère, nous couvrons l’ensemble du monde grec et romain « , souligne Françoise Gaultier. Grâce à une collection de 60 000 oeuvres, dont près de 12 000 sont exposées.

ARTS DE L’ISLAM Des merveilles enfin en pleine lumière

C’est le dernier-né du Louvre, mais pas le moins bien loti. Créé en 2003, le département des Arts de l’Islam a emménagé fin 2012 dans les nouvelles salles de la cour Visconti, coiffées de leur élégant voile de verre ondulant. Les collections islamiques ont ainsi bénéficié du plus grand chantier réalisé au sein du musée depuis la création du Grand Louvre. Belle revanche sur un passé longtemps en demi-teinte.

Les collections royales, noyau des oeuvres présentées au Louvre, contenaient déjà quelques pièces, dont le Baptistère de saint Louis, bassin de laiton produit en Syrie au début du XIVe siècle, peu avant d’arriver en France dans des conditions encore mystérieuses. Mais c’est à la fin du XIXe siècle, à travers de nombreuses donations, que les arts islamiques entrent en masse au musée. Gagnés par la vague orientaliste, de grands collectionneurs parisiens rassemblent des objets qu’ils céderont au Louvre. La marquise Arconati-Visconti donne ainsi une remarquable collection de métaux incrustés ; plus tard, l’industriel Georges Martou offrira au musée sa riche série de miniatures iraniennes et mogholes.

Entre-temps, en 1890, le Louvre a pu créer une  » section islamique « , d’abord rattachée aux Objets d’art. Des conservateurs visionnaires prennent alors le relais des mécènes et obtiennent l’acquisition de pièces importantes. Egalement enrichie par les découvertes des missions archéologiques françaises, notamment sur le site iranien de Suse, la collection d’art islamique du Louvre est aujourd’hui  » la plus grande au monde avec celle du Metropolitan de New York « , selon Yannick Lintz, directrice du département des Arts de l’Islam.  » Elle brille notamment par son exhaustivité, couvrant la quasi intégralité des champs chronologique et géographique de l’Islam, de ses origines au XIXe siècle, et de l’Espagne musulmane à l’Inde.  »

Une collection pourtant confinée, après 1945, dans quelques salles des Arts orientaux. Pendant des décennies, l’art islamique intéresse peu… Jusqu’au spectaculaire retour en grâce de ces dernières années. Dans leur nouvel écrin, à la pointe de la muséographie multimédia, les Arts de l’Islam accueilleront du 16 octobre 2014 au 19 janvier 2015 leur première exposition, consacrée au Maroc médiéval.

Dans notre numéro du 15 août : Joyaux d’art et d’Histoire.

Par Charles Giot

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