(RE)LIRE ANGELA DAVIS

Angela Davis connaît bien la prison. A la fin des années 1960, alors que ses opinions politiques communistes et son adhésion au groupe des Black Panthers lui avaient valu, sur l’ordre du gouverneur Ronald Reagan, d’être expulsée de l’université de Californie à Los Angeles, où elle enseignait, elle fut accusée à tort d’avoir organisé une prise d’otages dans un tribunal californien – événement qui se solda par la mort du juge et de trois autres personnes, abattues au moment où la police ouvrit le feu sur la voiture dans laquelle les preneurs d’otages tentaient de prendre la fuite. Après une cavale de plusieurs semaines, Angela Davis fut arrêtée, puis emprisonnée pendant seize mois, avant d’être enfin jugée et acquittée. Entre-temps, elle avait connu l’enfer des cellules d’isolement de la prison de New York, dont elle n’était sortie que parce qu’elle avait entamé une grève de la faim aboutissant à ce qu’un tribunal fédéral sommât les autorités pénitentiaires de changer ses conditions de détention.

Lorsqu’elle publia La prison est-elle obsolète ?, en 2003, cela faisait longtemps que tout cela était devenu du passé, et qu’elle avait regagné l’université et la Californie – elle dirigeait le centre d’études féministes de l’université de Californie à Santa Cruz. Mais les blessures qu’avait infligées en elle le système carcéral, elles, étaient toujours intactes : l’injustice dont elle avait été la victime, elle le savait, était une injustice que des centaines de milliers d’autres individus devaient supporter chaque jour. La prison, écrivait Angela Davis dans son livre, est une institution qui n’a jamais rempli les fonctions qui lui étaient dévolues, et qui n’avait cessé de contribuer à l’empirement des conditions de la population qu’elle était supposée garder sous contrôle. La situation était même plus grave : l’évolution de la politique carcérale, et sa privatisation de plus en plus importante, étaient le symbole de ce que plus personne n’avait ne fût-ce que l’intention qu’elle remplît les fonctions en question.

La prison, expliquait Angela Davis, est devenue une industrie en soi, basée sur une forme curieuse d’hystérie – celle, manifestée par le législateur, à propos de délits aussi insignifiants qu’absurdes. Parmi les deux millions de citoyens américains qui travaillent dans des prisons multipliant les accords commerciaux avec des grandes entreprises privées afin d’y produire des biens à bas prix, la plupart y sont pour rien, ou presque. Un joint fumé au mauvais moment suffit à se retrouver saisi dans la spirale de l’enfermement, dont tous les criminologues ont démontré qu’elle est la véritable source du devenir criminel d’individus qui ne l’étaient pas au départ. Pourquoi persister dans cette voie, alors – si ce n’est parce que certains y ont intérêt, au sens le plus plat et le plus vil du terme ? Pourquoi persister à défendre la prison et le système pénitentiaire, alors qu’il est ce qui produit ce qu’il est supposé combattre – et que plus personne, à commencer par les gardiens, n’y croit plus ?

La prison est-elle obsolète ?, par Angela Davis, traduction Nathalie Peronny, Au Diable Vauvert, 2014, 160 p.

Laurent de Sutter

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