Réformes de l’Etat : une affaire d’âge de moins en moins mûr

L’Etat belge doit ses mues successives à des générations toujours plus jeunes. Après l’ère des sexagénaires, le triomphe des quinquas et des quadras, avant l’irruption des trentenaires.

Signe des temps. Aujourd’hui, ce n’est plus le jeune précoce qui se distingue dans le cercle des briscards d’une négociation politique au plus haut niveau. C’est plutôt l’aîné qui fait figure de denrée rare à la table de discussions.

1970 : première réforme de l’Etat. Gaston Eyskens sonne le glas de la Belgique de papa à 64 ans.  » L’Etat unitaire, tel que les lois le régissent encore dans ses structures et dans son fonctionnement, est dépassé dans les faits…  » Paroles de sage, prononcées avec solennité à la tribune de la Chambre le 18 février 1970, par un homme de 65 ans. A l’âge où le commun des mortels prend sa retraite, le Premier ministre Gaston Eyskens (CVP) décrète l’arrêt de mort de la Belgique de papa. Et ouvre le premier chantier institutionnel du pays. La génération montante, qui l’épaule dans sa tâche, a largement dépassé le cap de la quarantaine : Leo Tindemans, ministre CVP des Relations communautaires, a 48 ans. Son alter ego PS, Freddy Terwagne, en a 45, lorsqu’il disparaît inopinément. C’est Fernand Dehousse, à 64 ans, qui prend le relais. Les figures de proue de la politique belge ne sont pas de première jeunesse. Le PS s’offre à l’époque un président de 68 ans, Léo Collard, en poste depuis 1959 et qui le restera jusqu’en 1971. Côté social-chrétien, la direction du parti accuse le poids des ans : 65 ans pour le président national Robert Houben, 63 ans pour Léon Servais qui dirige l’aile wallonne. Paul Vanden Boeynants, VDB, nanti déjà d’un passé de Premier ministre, fait figure de jeune cadre dynamique, à 51 ans. Le parti libéral vient de ravaler sa façade : à Omer Vanaudenhove, 67 ans, a succédé en 1969 Pierre Descamps qui n’a  » que  » 54 ans.

1980 : deuxième réforme de l’Etat. Wilfried Martens pilote à 44 ans. En dix ans, de l’eau a coulé sous les ponts de la Belgique. Les sexagénaires ont vidé les lieux. Le CVP fait le ménage : la vieille garde (Eyskens, Segers, De Saeger) cède le relais à la vague des quadras (Swaelen, Geens, etc.). Qui propulse en 1972 à la tête du parti Wilfried Martens, 35 ans à peine. Huit ans plus tard, devenu Premier ministre, Martens négocie le deuxième virage institutionnel du pays, celui de 1980. Il a 44 ans, mais il est flanqué d’un président de parti de 58 ans, Leo Tindemans, l’un des artisans de la première réforme de l’Etat. Côté socialiste, les acteurs de premier plan ont aussi de la bouteille : André Cools, 53 ans, ministre dans le gouvernement Eyskens père de 1970, préside le PS depuis 1973 ; Léon Hurez a 56 ans ; Guy Spitaels, en a 49, Jean-Maurice Dehousse, 44, et le petit dernier qui promet, Philippe Moureaux, est ministre des réformes institutionnelles à 41 ans. Les socialistes flamands ont profité de la scission du PSB unitaire pour rajeunir les cadres : leur premier président en 1978, Karel Van Miert, a 37 ans lors de sa prise de fonctions ; Willy Claes en a 42. Côté libéral, c’est à 38 ans que Jean Gol vient de porter le PRL sur les fonts baptismaux, en 1979. Au PSC, son président VDB prend doucement les allures de vieux crocodile à 61 ans, mais Charles-Ferdinand Nothomb incarne le renouvellement des générations : il avait précédé VDB dans la fonction en 1972, à 35 ans à peine, comme Martens.

1988-1989 : troisième réforme de l’Etat. Jean-Luc Dehaene aux commandes à 48 ans. Les quadras se poussent du col, mais les quinquas ne débarrassent pas le plancher. Le nouveau chamboulement institutionnel est cornaqué par Jean-Luc Dehaene (CVP), cabinettard endurci et ministre au long cours. Lui aussi est gratifié d’un président de parti presque sexagénaire : Frank Swaelen, 58 ans, est à la tête du CVP depuis 1981. Wilfried Martens, 52 ans, est toujours dans le coup et finit par reprendre le collier de Premier ministre. Le PS des années 1980 est incarné par Guy Spitaels, 57 ans, avec Philippe Moureaux aux avant-postes. Les têtes d’affiche au PSC sont résolument jeunes : Gérard Deprez a 45 ans en 1988, et préside le parti depuis sept ans déjà, ses deux lieutenants Melchior Wathelet et Philippe Maystadt passent tout juste la quarantaine. Les quadras font aussi la pluie et le beau temps au PRL, avec Jean Gol et Louis Michel, 41 ans. Mais c’est un certain Guy Verhofstadt qui pulvérise tous les records de précocité : président du PVV à 29 ans (1982), vice-Premier et ministre du Budget à 32 ans (1985), il n’a pas 40 ans mais brûle les étapes.

1993 :quatrième réforme de l’Etat. Dehaene récidive à 53 ans. Quatre ans plus tard, le plombier de service, cette fois Premier ministre, remet ça. La réforme de la Saint-Michel, qui fait entrer la Belgique dans l’ère fédérale, mobilise des acteurs blanchis sous le harnois, qui ont déjà fait leurs preuves sur le plan institutionnel et qui sont habituées à travailler ensemble. A 65 ans, la figure historique de la VU, Hugo Schiltz, prépare le terrain avec le quinquagénaire Gérard Deprez, toujours aux manettes au PSC. Au PS, Philippe Moureaux, 54 ans, et Jean-Maurice Dehousse, 62 ans, pilotent la réforme sous la houlette du président Philippe Busquin, 53 ans. Au CVP, c’est un habitué des hautes sphères du parti depuis quinze ans, Herman Van Rompuy, 46 ans, qui surveille la man£uvre. Le SP est aux mains de l’expérimenté Louis Tobback, 55 ans, et de Frank Vandenbroucke, président à 38 ans. Ecolo et sa figure de proue, Jacky Morael, 34 ans, donnera le coup de pouce nécessaire.

2001 : cinquième réforme de l’Etat. Guy Verhofstadt à la man£uvre à 48 ans. Le chef de gouvernement VLD de la coalition libérale-socialiste-écolo ne se sent pas déconnecté. Quadras et quinquas font la loi. C’est le cas des hommes forts du MR : Daniel Ducarme a 47 ans, Louis Michel 54 ans, Didier Reynders 43 ans. Au PS, Di Rupo atteint le cap de la cinquantaine, Laurette Onkelinx est une valeur confirmée à 43 ans, et le sexagénaire Philippe Moureaux n’est jamais loin. Le SP ne déroge pas à la tendance, avec Patrick Janssens qui préside le parti à 45 ans et Johan Vande Lanotte au gouvernement à 46 ans. Le PSC, relégué dans l’opposition, a fait peau neuve : il s’est donné une présidente, Joëlle Milquet, qui prête le concours de son parti aux accords du Lambermont. Elle a 40 ans. Les trentenaires, eux, trépignent.

P. HX

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