Raphael expliqué aux parents

Avec son look d’ado flemmard, la mélodie et l’émotion à fleur de peau, le chanteur français Raphael incarne une certaine génération. Analyse du phénomène Caravane, titre de son dernier album, à la veille des 21es Victoires de la musique

Raphael n’est pas super-favori, ce 4 mars, aux 21es Victoires de la musique, au Zénith, à Paris. Nommée dans quatre catégories, Camille a plus de chances d’être la révélation 2005, avec son album Le Fil et sa chanson Ta douleur. Raphael, le romantique timide, à la voix nasillarde, est cité trois fois seulement. Qu’importe : il a déjà tout raflé. Le 21 janvier dernier, il a été sacré meilleur artiste masculin francophone, aux NRJ Music Awards. Et pour cause : en 2005, Caravane, son 3e album, a été n° 1 des ventes, à Paris et à Bruxelles, devant Madonna, Les Enfoirés, Céline Dion et bien d’autres.

Ce 3 mars, il chante, à guichets fermés, au Forum de Liège, mais aussi à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, les 18 et 19 mars prochains. Ce sera ça de plus pour la sébile d’un auteur-compositeur qui vient de se hisser, contre toute attente, à la 5e place du classement des artistes français les mieux payés, réalisé annuellement par Le Figaro. Et tout cela en chantant La Ballade du pauvre, l’un des morceaux sans doute les plus glauques de Caravane. Un comble ? Analyse d’un phénomène émergent, pour les parents qui auraient vécu, en 2005, sur une île déserte.

Le succès de Raphael est le résultat d’une combinaison plutôt classique : beau gosse, sens de la mélodie, titres qui sonnent, gros moyens de promo, ceux d’EMI-Virgin. Bien sûr, il y aura toujours des esprits chagrins pour qualifier les textes de Raphael, à l’écriture presque automatique, pleins de bons sentiments et de références judéo-chrétiennes, de  » daube « , comme disent les jeunes aujourd’hui, soit un mélange de mièvrerie et de  » re-sucé  » du groupe Téléphone. D’ailleurs, n’est-ce pas à son leader, Jean-Louis Aubert, que Raphael doit son premier tube, Sur la route, qu’ils ont chanté en duo en 2003 ? Mais les médisants sont sûrement d’horribles jaloux, des hommes, quoi. Car, chez les filles, on frôle la Bruelmania. Les traits fins, le regard et le sourire farouches : Raphael a tout pour les faire craquer. Il a même ce je ne sais quoi d’androgyne – son menton imberbe, sans doute – qui a fait les grandes heures de David Bowie, l’idole incontestée dont le Let’s Dance a marqué l’enfance de Raphael.

Léger et décadent

Car il a beau être né en 1975 et paraître plus jeune encore, il a été imprégné des musiques des années 1960 aux années 1980 : pour l’endormir, sa mère lui chantait Barbara. Mais Raphael cite aussi Bob Dylan, Led Zeppelin, Dire Straits… Parmi ses musiciens, on retrouve, notamment, Simon Edwards, ancien bassiste du groupe Talk Talk. Pas étonnant que les bobos, bourgeois bohèmes nostalgiques de Mai 68, se retrouvent dans des morceaux aussi déjantés que Chanson pour Patrick Dewaere, acteur qui incarne toute une époque d’excès, de folie et de désenchantement ?

Il y a comme un appel du vide, un sentiment d’urgence, chez Raphael. Mais où ce  » fils de bourges « , Haroche de son nom de famille, a-t-il été chercher cette attirance décadente ? Lui qui a arrêté de fumer, ne s’est jamais drogué, boit juste un peu pour vaincre son trac. Lui qui, comme beaucoup de jeunes, ne revendique aucune conscience politique, seulement une certaine révolte contre l’injustice et un c£ur humaniste. Certes, celui qui a croisé la route de l’actrice Mélanie Thierry, avare de confidences, évoque, du bout des lèvres, des suicides dans son entourage. Il est sans doute tiraillé entre les origines juives, argentines et russo-marocaines de ses parents. Mais ces avocats compréhensifs n’ont même pas contrarié sa vocation de chanteur. Garçon reconnaissant, bien élevé dans son cocon, Raphael ne crache donc ni dans la soupe ni sur la société de consommation. Souriant, il a même pointé son joli minois comme invité à la Star Academy. C’est, par procuration, à la lecture d’auteurs maudits, Jack Kerouac ou William S. Burroughs, que cet intello a vécu la défonce, la marginalité et la contestation. Cela donne un mélange charmant et décalé de légèreté et de gravité, un peu comme Michel Berger, autre fils de bonne famille, quand il chantait Voyou. La misère, le malheur, l’enfer, c’est tellement plus élégant lorsque c’est fredonné par une jolie gueule d’ange.

Dorothée Klein

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