Qui peut encore arrêter la N-VA ?

Et si De Wever était son meilleur ennemi ? Tout annonce un score canon du parti nationaliste le 25 mai. En se posant comme la seule alternative face au PS, il cannibalise le centre droit en Flandre. Mais les autres partis ripostent en misant sur la peur du chaos et le retrait annoncé du charismatique président.

Tel Jules César partant à la conquête de la Gaule, Bart De Wever se prépare à marcher sur la Flandre pour bousculer la Belgique. Les sondages en vue de  » la Mère des élections  » du 25 mai sont pour l’instant favorables à la N-VA, qui se situerait au-dessus des 30 %, et son discours à l’adresse de l’opinion publique nordiste est affûté comme une lame d’épée :  » Nous sommes la seule alternative au modèle PS.  »

On sent Bart De Wever fébrile, agressif, cinglant, avide d’une revanche triomphale contre les socialistes francophones après l’échec des négociations de 2010, quand la N-VA avait claqué la porte après un an de vaines tentatives de rapprochement.  » J’ai fait confiance une fois au PS, cela suffit « , grince-t-il aujourd’hui. En insistant telle une rengaine :  » La N-VA doit arriver au pouvoir. C’est l’enjeu majeur de ces élections.  »

Cap sur une majorité de droite en Flandre et, par ricochet, au fédéral ? La N-VA disposera-t-elle des atouts pour dicter sa loi au  » 16 « , quitte à bloquer une nouvelle fois le pays en raison de ses exigences ? L’histoire n’est pas encore écrite. Mais à un mois de l’échéance, on est en droit de se demander qui pourrait encore arrêter Bart De Wever si ce n’est… lui-même.

 » En pleine forme  »

 » Fébrile, Bart De Wever ? Je ne dirais pas ça, il me semble plutôt en pleine forme, commente Carl Devos, politologue à l’université de Gand. Ces dernières semaines, il a dominé le débat en Flandre. La presse unanime reconnaît qu’il a la communication la plus intelligente. Après avoir siphonné le Vlaams Belang et la Lijst Dedecker et posé ses thèses confédéralistes, la N-VA massacre désormais au bulldozer tout le centre droit, singulièrement l’Open VLD. La semaine précédant le congrès libéral de la mi-avril, elle a malmené leurs deux personnalités fortes au gouvernement, Annemie Turtelboom (Justice) et Maggie De Block (Asile), sur les questions de société, avant de s’adresser directement aux entrepreneurs en proposant un programme socio-économique de rupture, incluant un saut d’index. Le show libéral est passé inaperçu !  »

Pour Carl Devos, la question n’est plus de savoir si le parti nationaliste remportera l’élection, mais bien à quelle hauteur il se situera. Consciente de sa domination, la N-VA veut définitivement imposer sa suprématie le 24 mai avec un bombardement social orchestré via Facebook et Twitter par l’intermédiaire de la plate-forme Thunderclap, qui permet de démultiplier les effets d’un message posté. La question sera claire et trompeuse à la fois :  » Choisissez-vous le modèle N-VA ou le modèle PS ? » Pour réaliser son plan de conquête du pays, la N-VA n’a d’autre choix que de réaliser un score canon afin d’éviter une prolongation de l’actuelle tripartie flamande au fédéral. Bart De Wever a fixé le seuil minimum à atteindre : 30 %.  » Dès lors, un score de 28 % s’apparenterait psychologiquement à un échec et un score de 32 % compterait à hauteur de 40 % « , analyse le politologue de Gand.  » La N-VA doit être incontournable au parlement flamand si elle veut être assurée de participer au pouvoir, insiste Bart Maddens, politologue à la KUL et ouvertement proche du mouvement flamand. Si ce n’est pas le cas, il y aura une volonté des partis traditionnels de se coaliser contre elle.  » L’improbable défi ne semble pas impossible si l’on en croit les derniers sondages : compte tenu du score du Vlaams Belang, qui se maintient autour des 10 % en Flandre, et de la possible percée du PvdA (équivalent flamand du PTB) qui pourrait franchir le seuil d’éligibilité des 5 %, on ne pourrait composer de majorité au nord sans la N-VA.  » Dans ce cas, rappelle Bart Maddens, l’aile radicale du parti fera pression pour obtenir des avancées institutionnelles. Pour elle, ce sera maintenant ou jamais ! »

Le retour de la question belge

 » Je ne dirais pas que la N-VA a déjà gagné l’élection, tempère Dave Sinardet, politologue à la VUB. La vraie campagne démarre seulement et il peut se passer énormément de choses en trois semaines. Personne n’est à l’abri d’une erreur ou d’un scandale. Rappelez-vous comment tout avait basculé avec l’affaire de la dioxine en 1999, quand les écologistes avaient connu une forte progression. Or, aujourd’hui, les électeurs sont plus volatils que jamais et ils se décident de plus en plus à la dernière minute.  »

L’un des points faibles de la N-VA, prolonge-t-il, c’est qu’elle pourrait être embarrassée par ses penchants indépendantistes, à peine camouflés par son congrès sur le confédéralisme, tenu en début d’année.  » Je doute que la vraie priorité de De Wever soit de faire un gouvernement de centre droit. Sa vraie nature reste celle d’un parti nationaliste : obtenir des avancées en vue d’une plus grande autonomie de la Flandre. Le premier point de ses statuts reste l’indépendance de la Flandre. Or, seule une minorité en Flandre y est favorable, entre 10 % et 20 %.  »

En adoptant une déclaration de révision  » light  » de la Constitution, en n’incluant pas le fameux article 195 qui permet de toucher sans difficultés à la charte fondamentale du pays, la majorité Di Rupo a voulu couper l’herbe sous le pied des espoirs confédéraux des nationalistes et, ce faisant, entend rappeler son vrai visage.  » Le CD&V et les partis flamands s’inclinent à nouveau volontairement devant un agenda francophone, un agenda PS « , a d’ailleurs dénoncé Ben Weyts, vice-président de la N-VA, précisant qu’il serait toujours possible d’agir via des lois spéciales.  » Cela dit tout de leurs intentions « , estime l’Open VLD.

La peur d’un nouveau blocage politique pourrait effrayer in fine certains électeurs de la N-VA, calcule-t-on du côté francophone. Néanmoins, le débat renforce surtout la bipolarité préélectorale factice entre la N-VA, apôtre du changement, et le PS, chantre de la stabilité du pays et bouclier de la sécurité sociale. Alliés objectifs, les deux partis mettront une nouvelle fois en scène leurs différences lors d’un second débat – télévisé, cette fois – entre Bart De Wever et Paul Magnette, président du PS, le 13 mai.

Avec la N-VA,  » un risque de chaos  »

Dans la dernière ligne droite de la campagne, les partis traditionnels flamands haussent le ton pour tenter de renverser la vapeur. Ils dénoncent la fausse image de la N-VA et le risque de chaos qu’elle engendre. L’ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene tonne :  » Le discours de De Wever est semblable à celui de Dewinter (NDLR : poids lourd du Vlaams Belang), le PS est à la N-VA ce que l’étranger est au Vlaams Belang, un bouc émissaire.  » Quant à Kris Peeters, ministre-président flamand CD&V et candidat déclaré à sa propre succession, il met en garde :  » Les Flamands ne peuvent pas se permettre de mettre en place un gouvernement qui a d’abord besoin d’un an pour étudier la situation. Cela ruinerait la sixième réforme de l’Etat. Si l’on veut éviter le chaos ou l’incertitude, mieux vaut voter CD&V.  »

Lode Vereeck et Dirk Van Mechelen, députés flamands Open VLD, rappellent dans une tribune documentée que la N-VA, dont le slogan est  » le changement pour le progrès « , est présente au gouvernement flamand depuis dix ans avec un bilan mitigé.  » La N-VA plaide pour des réductions d’impôts au fédéral mais elle cherche à cacher les réalités budgétaires de son ministre régional Philippe Muyters, clament-ils. Et c’est compréhensible parce que le contribuable flamand a été frappé à plus d’une reprise.  »

Parallèlement, un autre front s’est ouvert au sujet de la future ministre-présidence du gouvernement flamand. Alors que Geert Bourgeois, l’un des pères fondateurs de la N-VA, s’était déclaré intéressé il y a quelques mois, c’est finalement Liesbeth Homans, présidente du CPAS d’Anvers et bras droit de Bart De Wever qui semble avoir une longueur d’avance dans le camp nationaliste pour défier Kris Peeters.  » Ce manque de clarté au sujet du leadership flamand de la N-VA pourrait être préjudiciable « , estime Dave Sinardet. Bruno Tobback, président du SP.A, voit en Liesbeth Homans une  » candidate de deuxième rang « .

Le retrait annoncé de De Wever

Le vrai obstacle à la conquête annoncée de la N-VA, ce pourrait finalement être… Bart De Wever lui-même, et son manque d’ambition personnelle. Le bourgmestre d’Anvers revient de loin et n’a plus la force de se battre. Un effet de ses problèmes de santé ? Le 10 février, il y a à peine plus de deux mois, il était une nouvelle fois hospitalisé aux soins intensifs de l’hôpital Saint-Augustin à Anvers pour une infection virale aux poumons, au foie et au coeur. Si l’ensemble de la classe politique, Di Rupo en tête, lui avait envoyé des voeux de prompt rétablissement, d’aucuns se posaient des questions sur la nature exacte du mal dont il souffrait.  » Le diagnostic concernant l’infection n’avait pas été correct lors de son hospitalisation précédente, en novembre, nous dit un membre du bureau national de la N-VA. Et on ne l’avait pas suffisamment mis en garde contre une pratique trop intensive du sport. Il a arrêté d’en faire et il s’est reposé : tout va bien !  » Pour le reste, silence médical radio.  » De Wever n’est pas quelqu’un qui se confie, si ce n’est à un cercle très très restreint, témoigne l’éditorialiste d’un important quotidien flamand. Personne n’est dans le secret de ce qu’il vit. Sauf quand il a décidé de le faire, pour renforcer l’image d’un Calimero combatif, seul contre tous.  »

Revenu au combat plus tôt que prévu, à la mi-mars, pour une image qui restera dans les annales, son apparition en panda lors d’un show à la télévision flamande, Bart De Wever n’est pourtant… candidat à rien. Il a annoncé urbi et orbi que le poste de Premier ministre fédéral ne l’intéressait pas.  » Occuper le 16 semble impensable pour un nationaliste comme lui « , analyse Carl Devos. Il laisserait donc la ministre-présidence flamande à une fidèle parmi les fidèles. Même la présidence de la N-VA changera de main en mars 2015 : inéligible après trois mandats successifs, De Wever devrait passer le flambeau à son second, Ben Weyts. Lui, il resterait  » simple  » bourgmestre d’Anvers. A nos confrères de Knack qui l’interrogeaient sur sa capacité d’homme à suivre ce que le politique accomplit, il philosophait :  » J’avais 33 ans quand je suis devenu président de la N-VA, j’en aurai bientôt 44, et ces cinq dernières années, j’ai dû dire au revoir à beaucoup de choses. Tant que l’on ne doit pas dire au revoir à l’essentiel, cela peut aller. Mais avec la vie que je mène, je sais en tout cas qu’il y a une limite.  »

A l’heure d’un quitte ou double décisif, le probable numero uno flamand au soir du 25 mai a déjà laissé entendre qu’il n’en sera pas. Un mauvais signal ?  » C’est un handicap pour la N-VA « , conclut Dave Sinardet. Aurait-on imaginé Jules César lancer ses troupes à la conquête de nouveaux territoires pour se retirer immédiatement sous sa tente ?

Par Olivier Mouton

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