Affaiblir le plus possible le monde occidental, tel est l'intérêt commun de Poutine et de son homologue chinois, Xi Jinping. © belga image

« Quand vous déployez 200 000 hommes autour d’un pays, ce n’est pas pour jouer aux cartes »

Tanguy Struye, professeur de sciences politiques internationales à l’UCLouvain, revient sur l’attitude de la Chine qui « comprend les préoccupations de la Russie » et ne condamne pas les actes de Poutine.

Quels sont aujourd’hui les liens entre la Russie et la Chine?

La Russie et la Chine ont le même intérêt à court terme, et potentiellement à moyen terme, à savoir affaiblir le plus possible le monde occidental. Ce n’est pas uniquement une question de sécurité, mais aussi de valeurs que nous défendons: la démocratie, les droit de l’homme… Depuis quelques années, ces deux pays ont établi des collaborations très fortes, pour être dans cette démarche d’affaiblir le modèle occidental et de promouvoir la logique autoritaire que l’on retrouve chez les Chinois et les Russes. Aujourd’hui, nous observons de plus en plus une coopération militaire, économique ainsi qu’en matière d’information. Bien entendu, les Chinois ne condamneront évidemment pas officiellement la Russie.

La Chine joue un subtil jeu d’équilibre, mais il est clair qu’elle adopte la position russe.

Cependant, la situation se complique pour les Chinois, car ils se retrouvent aussi dans une situation problématique par rapport à chez eux, à Taiwan. C’est là qu’ils essaient de trouver un équilibre. La Russie, en reconnaissant l’indépendance des deux républiques séparatistes ukrainiennes de Donetsk et Louhansk, dérange la Chine. Cela voudrait dire, en effet, que si demain Taiwan proclamait son indépendance et que nous, Européens et Américains, la reconnaissions, il serait évidemment très difficile pour les Chinois de condamner les Occidentaux, alors que la Chine n’a jamais condamné les Russes. La Chine est donc obligée de jouer un jeu d’équilibre, mais il est clair qu’elle adopte la position russe. Ce jeudi encore, la porte- parole des Affaires étrangères chinoise évitait de parler de guerre. La propagande chinoise affirme même que s’il y en a une, c’est de la faute des Occidentaux, et pas du tout de la Russie.

Quelles sont les conséquences à long terme de ce partenariat?

Il faut bien réaliser que les deux pays travaillent ensemble très étroitement. Ils sont de plus en plus proches. Vu l’invasion en Ukraine, l’Occidentprendra encore davantage de distance avec à la Russie, ce qui poussera nettement plus la Russie dans les bras de la Chine. Il ne faut pas négliger les déclarations communes prononcées début février entre Chinois et Russes qui étaient très, très fortes envers le du monde occidental. Ajoutons que cela arrange les Chinois que les Américains soient obligés de se concentrer plus sur l’Europe. La seule chose, c’est que, dans les faits, les Américains n’ont pas envoyé des milliers d’hommes sur le continent européen, qu’ils ont toujours dit qu’ils n’interviendraient pas en Ukraine. Le calcul chinois risque donc de tomber à plat, car il n’y a pas de volonté des Etats-Unis d’intervenir davantage en Europe.

Toute intervention des Etats-Unis ou de l’Otan est donc totalement exclue, selon vous.

Dans le scénario actuel, à savoir que le confit se limite à l’Ukraine, il est évident que l’article 5 de l’Otan (NDLR: qui stipule qu’une attaque contre un membre de l’Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre tous) ne sera pas appliqué. Cependant, la Russie risque aussi de déstabiliser les Balkans – ce qu’elle fait d’ailleurs déjà, entre autres à travers la Bosnie et la Serbie. Et elle nous ennuiera aussi dans des régions que l’Europe ne contrôle pas, car une partie d’entre elles ne sont ni membres de l’Otan ni de l’Union européenne. Il est évident qu’il n’y a aucune volonté de la part des Occidentaux d’intervenir en Ukraine et qu’ils feront tout pour éviter que l’article 5 soit enclenché, c’est-à-dire qu’un état européen soit attaqué.

Cette invasion vous a-t-elle surpris?

Il n’y a aucune surprise, car depuis décembre 2021 et les exigences des Russes, on savait qu’on entrait dans une logique de guerre, car ces exigences étaient inacceptables: elles ne concernaient pas uniquement l’Ukraine, mais aussi le positionnement de forces militaires en Europe de l’Est, dans l’Otan, etc. Une série de questions faisaient que, de toute façon, les demandes étaient problématiques, car pas du tout réalistes. Au-delà de ça, quand vous déployez 200 000 hommes autour d’un pays, ce n’est pas pour jouer aux cartes. D’un point de vue sécuritaire et militaire, il y avait vraiment très peu de chances que la Russie n’utilise pas ces hommes. On ne peut pas dire que des signaux n’étaient pas perceptibles depuis au moins décembre. Avant, on pouvait toujours espérer une solution diplomatique mais, depuis décembre, on a vu l’évolution dans le discours et les informations. Tout cela faisait qu’une guerre devenait très probable.

Malgré tous les entretiens diplomatiques de ces dernières semaines?

Evidemment, il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas, car il y a eu de la diplomatie, mais on n’a jamais vraiment connu la teneur de ces entretiens. Un jour, nous en connaîtrons le contenu, mais de l’extérieur, on n’a jamais eu l’impression que les Russes voulaient négocier.

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