Quand le privé convoite nos soldats d’élite

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les ex-paras belges et les anciens des Forces spéciales sont très convoités par les sociétés de sécurité privées actives en zones à risques. Rencontre avec les fondateurs de SpecOps, première firme du genre créée par des Belges.

Coupes de cheveux para, corps athlétiques, costumes noirs ajustés de bodyguards : les trois agents de SpecOps qui ont accepté de répondre à nos questions sur le fonctionnement de leur société de sécurité ne sont pas passés inaperçus dans les locaux du Vif/L’Express. Même les journalistes les plus scotchés à leur écran d’ordinateur ont pointé le nez lors de leur arrivée.  » Notre boîte n’est pas une officine de mercenaires « , préviennent d’emblée Krisztian, Kristof et Max, contrariés par les rumeurs qui courent sur leur groupe privé, créé en avril dernier à Londres.

 » Certains s’interrogent sur la légalité de nos activités, reconnaît Krisztian, 33 ans. Nous intervenons dans le monde entier, si nécessaire en tenue de combat, mais notre société de sécurité n’est pas comparable aux SMP, les grandes sociétés militaires privées, pour la plupart anglo-saxonnes.  » Ces firmes-là, rappelons-le, proposent l’entraînement de troupes, la formation de gardes présidentielles, le ravitaillement des soldats américains… Ainsi, DynCorp et Blackwater (aujourd’hui devenue Xe), véritables armées privées, se sont  » illustrées  » dans des missions offensives en Irak et en Afghanistan. SpecOps, elle, couvre trois secteurs : la protection de navires contre la piraterie, la sécurisation de transports en zones dangereuses et la protection rapprochée de personnalités.  » Nous avons déjà effectué plusieurs missions de surveillance dans l’océan Indien pour le compte d’armateurs privés et assuré la sécurité d’industriels, de diplomates et autres VIP en France, à Djibouti, en Europe centrale « , indique Kristof, 33 ans lui aussi.

SpecOps International est sorti de l’ombre le 30 juin dernier.  » Ce jour-là, raconte Krisztian, nous avons posté une petite annonce sur le site spécialisé paracommando.com, afin de recruter des paras belges. Quelques heures plus tard, surprise : un quotidien flamand signale l’existence de notre société !  » L’information alarme le Parlement. Interpellé, le ministre de la Défense Pieter De Crem (CD&V) fait savoir qu’  » aucun élément n’indique que des recrutements sont effectués au sein de l’armée belge « , mais il n’exclut pas cette éventualité.  » C’est la première fois que d’anciens militaires belges créent leur propre entreprise de sécurité, note-t-on à la Défense. Seule contrainte imposée aux paras recrutés : être démobilisés depuis au moins trois mois.  » Les agents de renseignement militaires (SGRS), eux, doivent attendre cinq années après leur sortie de service. Soucieux d’éviter tout clash avec la Défense autour d’éventuels cas de recrutement litigieux, les patrons de SpecOps ont sollicité une entrevue avec De Crem. Ils attendent sa réponse.

 » Nous n’avons pas demandé notre agréation en Belgique, où la loi Tobback encadre de manière stricte le métier d’agent de sécurité, admettent les responsables de SpecOps. Nous avons préféré fonder une société de droit britannique, gage de qualité dans le milieu de la sécurité privée. Nous avons néanmoins refusé des missions très bien payées proposées par des clients dont les activités nous ont semblé illicites. Nous avons aussi pour principe de ne pas travailler pour des régimes non démocratiques ou liés à des groupes terroristes. Nous refuserions, par exemple, de protéger un convoi de nitrates envoyé d’Iran vers le Pakistan : ce produit peut servir à fabriquer des explosifs destinés à l’Afghanistan, où la Belgique a déployé un contingent. « 

Trois chefs et des  » opérateurs « 

Deux Belges et un Hongrois sont à la tête de la boîte. Vincent, déjà patron d’une société belge de gardiennage (la SPRL Alphaguard International), fait fonction de directeur exécutif. Kristof, ex-para et ancien des Forces spéciales belges, est chargé de la formation des recrues. Et Krisztian, le Hongrois, expert en protection rapprochée, est le manager responsable des opérations et des contacts avec les clients. Les deux derniers se présentent à nous en compagnie de Max, un militaire belge francophone recruté en tant qu’  » opérateur « , terme qui désigne un agent de terrain.

Max et Kristof viennent de rentrer en Belgique au terme d’une mission de protection maritime non loin des côtes somaliennes.  » Nous avons été attaqués au large des îles Comores et du Mozambique, témoigne Max. Mais les pirates, qui ont aperçu des hommes armés et des barbelés sur le cargo, ont renoncé à l’assaut. L’équipage du navire était confiant, car nous l’avions entraîné à réagir à une attaque. Nous ne sommes pas à bord pour arrêter des pirates, mais pour sécuriser l’équipage, le bateau et la cargaison. « 

Depuis sa création, SpecOps a recruté plus d’une vingtaine d’opérateurs : surtout des ex- paracommandos, des anciens des Forces spéciales belges et des ex-agents des DAS, les détachements de sécurité des ambassades belges.  » Forts de leur excellente réputation, les Belges formés dans ces unités d’élite de l’armée sont nombreux à se recycler dans le privé, indique Kristof. Mais c’est un vivier restreint. Sur les 120 membres des Forces spéciales belges, on compte à peine 35 militaires opérationnels, les autres étant des éléments de support. Voilà pourquoi nous sélectionnons aussi des militaires expérimentés britanniques, américains, français, néerlandais, hongrois. « 

Le site Web de la société (specopsinternational.com) énumère les critères de sélection pour les opérateurs : avoir entre 25 et 40 ans, être en excellente condition physique, avoir une bonne connaissance de l’anglais, savoir se servir d’une arme, avoir de préférence une formation militaire haut de gamme…  » Je teste moi-même leurs réactions sur le terrain et un psychologue évalue leur solidité mentale, signale Kristof. Ils doivent également comprendre que, dans une société privée telle que la nôtre, ils ne peuvent plus se reposer sur une hiérarchie comme à l’armée. Ils sont au service d’un client et n’ont ni drapeau ni mandat pour les protéger. « 

 » Toute erreur se paie cher « 

Krisztian complète :  » Toute erreur commise par nos opérateurs se paie cher et risque de couler la réputation de la boîte. Le marché des sociétés de sécurité est très concurrentiel. Quand un agent d’un service de sécurité de l’Etat fait une bourde, un haut fonctionnaire rédige une lettre d’excuses et l’affaire est classée. Chez nous, l’erreur n’est pas admissible. Nous n’avons, jusqu’ici, pas eu d’incidents graves ni de blessés. Mais il y a parfois de mauvaises surprises, des exigences inattendues du client… Nous sommes très flexibles. « 

Le montant des rémunérations en protection rapprochée dépend du pays et de la mission.  » Nous offrons à nos opérateurs entre 150 et 500 euros pour une journée de dix heures, à laquelle peuvent s’ajouter des heures supplémentaires, précise Kristof. En mission maritime dans une zone à risque, nos tarifs varient de 200 à 750 euros par jour. Tout dépend du niveau de danger et du nombre de semaines passées sur le terrain. La rémunération à la journée est plus élevée pour une mission courte. Nos recrues n’ont pas toutes une grande disponibilité. Certains opérateurs qui ont une vie de famille ne veulent pas s’éloigner du pays trop longtemps. « 

OLIVIER ROGEAU

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