Quand le coeur n’y est plus

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Comment interpréter l’expression  » le désenchantement du monde  » ?

Désenchantement  » signifie  » faire cesser le charme « . Et ce qui a perdu son charme engendre une perte d’enthousiasme. Une société qui en est privée va à vau-l’eau. Ce charme, qui s’estompe irrémédiablement, à quoi le comparer : au passage de l’enfance à l’âge adulte ou à la perte de l’espérance ? Dans la première hypothèse, tout reste possible, y compris un nouvel enchantement ; dans la seconde, nous vivons une lente mais décisive implosion. Quelle société peut vivre sans espérance, avec pour seul avenir une apocalypse annoncée ? C’est pourquoi un des conflits majeurs de notre temps se déroule entre un possible nouvel enchantement ou une déréliction sans borne.

Notre enfance a été celle d’enfants des dieux. Les enfants vivent dans un monde à part, produit par les comportements encore maladroits et mal instruits de leurs jeunes années. Pendant des millénaires, l’humanité a été cette enfance  » bercée par une berceuse « , chantant un Univers emmené par la divinité. Tout en procédait : l’origine des choses, leur façon mystérieuse de s’acoquiner entre elles et de nous entraîner dans leurs rondes et, surtout, l’évidence de notre destin tant individuel que collectif. Malheur, tragédie, paix, prospérité, récompense, punition… tout venait à son heure. Quoi de plus rassurant !

Puis notre monde occidental s’est trouvé brusquement plongé dans un monde adulte, un monde de déterminations concrètes et de principes rationnels, de savoirs rigoureux et de savoir-faire. On se glorifiait de n’avoir plus à compter que sur soi. Adultes – jeunes adultes -, il fallait inventer les règles de (sur)vie au fur et à mesure, sans se référer à quiconque. Plus de guide, plus de sauveur, plus de certitudes qui font espérer, même dans l’épreuve (punition méritée et promesse de salut), ce  » retour à meilleure fortune  » ici-bas ou dans l’au-delà.

Ce qui hier, entre le siècle des Lumières et le début du xxe, animait le sentiment de liberté, de maîtrise du monde et de progrès social s’est abîmé dans l’horreur. Même en jouant à l’enfance retrouvée le c£ur n’y est plus. L’intelligence se rebiffe. Restent le désert, le désenchantement à perte de vue. Certains s’en contentent, par impuissance et absence de perspectives. Comment leur en faire grief puisque nous aussi nous n’attendons rien de l’avenir sauf des catastrophes innombrables ?

Sinon, construisons une nouvelle espérance. C’est une £uvre collective et solitaire, de longue haleine et d’une urgente nécessité.

Jean Nousse

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