Gauthier Moinet, Nicolas Per et Martin Olivo, de l'ULB, devant le Parlement. © debby termonia

Quand des jeunes font la loi

Trois étudiants de l’ULB tentent de faire aboutir un texte sur la transparence au Parlement fédéral. S’ils réussissent, ce sera une belle histoire. De quoi redonner confiance aux citoyens envers les politiques.

La Cada, vous connaissez ? Voilà un outil démocratique essentiel qui n’est d’ailleurs pas propre à la Belgique. Chez nous, il en existe une par entité institutionnelle. Ces sept Commissions d’accès aux documents administratifs sont chargées de faire respecter le droit fondamental de  » consulter chaque document administratif et de s’en faire remettre copie  » (article 32 de la Constitution). Indispensable pour faire respecter le devoir de transparence des autorités publiques. Les exemples de recours sont nombreux.

Récemment, deux ONG qui voulaient connaître le nombre de licences d’exportation d’armes accordées par la Région wallonne ont dû saisir la Cada régionale. Laquelle a rendu un avis cinglant qualifiant d' » inadmissible  » la manière dont la Région se justifiait pour ne pas communiquer les infos demandées. En février dernier, Le Vif/L’Express a eu recours, lui, à la Cada fédérale pour obtenir les documents de sélection du candidat amené à gérer les maisons de transition pour les détenus en fin de parcours carcéral ( Le Vif/L’Express du 13 février dernier). Le refus du ministre de la Justice était  » insuffisamment justifié « , a taclé la Commission. En vain.

Leur idée est de profiter de la période d’affaires courantes pour faire aboutir le projet.

Problème : la Cada ne rend que des avis. Pas contraignants, donc. Mais c’est en train de changer. En Wallonie, en Communauté française et en Région bruxelloise, les parlements ont adopté une réforme significative, à la toute fin de la dernière législature. Les Cada wallonne et bruxelloise ont désormais un pouvoir décisionnel. Côté wallon, elle pourra même prendre des sanctions dès que le gouvernement signera un arrêté, toujours attendu, pour détailler celles-ci. A Bruxelles, pas de sanction mais un pouvoir d’astreinte et de saisie des documents, qui doit aussi encore être organisé.

Il reste la Cada fédérale. Là, aucun projet de réforme n’était en route, jusqu’à ce que des étudiants de l’ULB prennent le taureau par les cornes. L’histoire est plutôt insolite. A la fin de l’automne 2019, trois jeunes universitaires en deuxième année de master en sciences politiques ont frappé à la porte de Transparencia pour effectuer leur stage de fin d’études. Ils se sont intéressés au lobbying réalisé avec succès par l’association militante au sein des assemblées wallonne et bruxelloise pour obtenir des Cada renforcées. Et ils ont entrepris de  » s’attaquer  » au Parlement fédéral pour tenter d’accomplir la même prouesse.

Ils ont étudié les nouveaux textes régionaux. Ensuite, chaperonnés par Claude Archer, qui est à la tête de Transparencia, ils ont joint, dès le mois de décembre, des députés de tous les partis pour leur présenter les points importants à modifier dans l’arrêté royal de 2007 organisant la Cada fédérale. L’idée est de profiter de la période d’affaires courantes pour faire aboutir le projet.  » Il est plus facile d’obtenir une majorité dans les circonstances actuelles « , sourit Gauthier Moinet, l’un des étudiants. Jusqu’ici, ils ont reçu un accueil plutôt favorable.  » On est pressés car le temps joue contre nous, renchérit un autre, Nicolas Per. Si un gouvernement se forme, les agendas politiques vont changer.  »

Cabinets ministériels aussi

Côté francophone, il n’y a que très peu de résistance. Chez Ecolo, Gilles Vanden Burre s’est saisi des points avancés par le trio estudiantin pour rédiger une ébauche de proposition de loi, proche de ce qui a été adopté au niveau régional. Les avis de la Cada y deviennent des décisions. Les autorités administratives concernées par la transparence incluent les zones de police et les cabinets ministériels : ce serait une vraie avancée, la Cada fédérale étant la seule à avoir débouté Transparencia et Le Vif/L’Express lors de nos démarches pour établir un baromètre de transparence desdits cabinets.  » Les filiales d’autorités publiques, comme les entreprises ou les asbl publiques « , seraient aussi concernées, pointe Martin Olivo, étudiant à l’ULB.

Outre Ecolo, la plupart des partis francophones, CDH, MR, DéFI, PTB, se sont montrés favorables à l’initiative des jeunes stagiaires de Transparencia. Auprès du PS, par contre, ils n’ont curieusement obtenu aucune réponse, après avoir envoyé un mail aux vingt élus socialistes de la Chambre. Le chef de groupe Ahmed Laaouej se dit très étonné.  » Je n’ai pas vu ce mail, assure-t-il. Si aucun de nos élus n’a répondu, c’est qu’il s’agit d’une erreur technique. Le mail ayant été envoyé collectivement, il a peut-être été signalé comme spam.  » Les étudiants ont été contactés par le PS le lendemain de notre coup de fil à Ahmed Laaouej, au moment où nous bouclions notre article.

Au MR, le chef de groupe Benoît Piedboeuf les a d’abord pris pour des rigolos.  » Il faut dire qu’ils avaient loupé le premier rendez-vous fixé « , explique le bourgmestre de Tintigny. Mais les choses se sont vite arrangées dans un bistrot.  » Je ne peux qu’être favorable à une procédure qui rend l’administration plus transparente, continue Piedboeuf. J’ai interrogé les ministres MR et le parti sur le projet. J’attends leur retour.  » Le libéral soulève toutefois la question des moyens à accorder à la nouvelle Cada qui, forte de nouvelles compétences de contrainte prévues dans l’ébauche, devrait pouvoir envoyer ses membres auprès des administrations concernées pour consulter les documents faisant l’objet d’un recours. Un coût budgétaire supplémentaire qui pourrait devenir une pierre d’achoppement…

Avec les partis flamands, cela semble plus compliqué. Sauf au SP.A, où John Crombez s’est montré particulièrement enthousiaste. Chez les autres, le problème semble être moins philosophique que linguistique, le trio ulbiste ne parlant que le français et les élus fédéraux du nord ayant du mal à leur trouver des interlocuteurs qui pratiquent la langue de Simenon.  » Il faudrait vite qu’un premier signataire dépose un texte, même s’il ne s’agit que d’une ébauche, pour pouvoir le soumettre comme épreuve aux autres partis, suggère Vanessa Matz, du CDH. Comme cela, il sera traduit en néerlandais et les partis flamands pourront le lire.  » La Liégeoise se dit prête à le faire, s’il le faut.

Gilles Vanden Burre, chez Ecolo, aussi.  » Nous devrions le déposer très rapidement, promet-il sans vouloir jouer la compétition avec les humanistes. La proposition est bien sûr ouverte à toutes les signatures. Il faut juste régler une question technique autour de la forme juridique à donner au texte, car il s’agit, à la base, d’un arrêté royal que seul le gouvernement peut modifier. Compliqué en affaires courantes.  » Les étudiants sont, en tout cas, en passe de réussir leur pari. Une bien belle histoire.

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