PS Les maîtres à panser

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Des débats de leur université d’été aux livres de réflexion, les socialistes, toujours en mal de chef et d’identité, n’en finissent pas de se pencher sur le chantier de la gauche. Avec, à l’horizon d’une primaire hasardeuse, la menace de perdre en 2012 la présidentielle de trop.

Twitter et Facebook n’en peuvent mais – la France demeure la France, la présidentielle commence dans les bibliothèques. Non seulement tout prétendant à l’Elysée doit tâter de la plume , mais les grandes aventures politiques s’écrivent comme une thèse avant de se vivre comme un roman. Néanmoins, cette année, derrière un rayon  » ambition  » bien garni, l’étagère  » pensée  » est à moitié vide. Plusieurs essais tentent de théoriser la gauche, aucun ne s’intéresse à la droite. A l’heure où blanchit la campagne électorale, il semble que la droite ne sache plus écrire et que la gauche soit incapable d’agir. L’opposition fait des livres, la majorité, des décrets. Le PS pense, l’UMP pèse.

La droite a tort, bien sûr, qui n’a plus rassemblé ses idées depuis Libre, bible du sarkozysme publiée en 2001, et prépare sans le savoir le désert intellectuel où elle se perdra dès sa première défaite. Mais la gauche n’a pas raison, qui erre dans le sien et y fait des châteaux de sable pour les plus talentueux de ses essayistes, et des pâtés pour les autres. Le Grand Cadavre à la renverse, oraison funèbre du PS signée Bernard-Henri Lévy, attend en vain depuis 2008 l’essai qui périmera ses thèses.

 » Si l’on trouve des socialistes, de socialisme point ! « 

Dans L’Avenir d’une idée, une brillante et fouillée histoire du socialisme, Gaëtan Gorce voit juste : le défi est de redonner une identité à ce courant de pensée.  » Rien n’est plus dangereux que de renoncer à le définir, écrit le député de la Nièvre. L’urgence est d’autant plus forte que, si l’on trouve encore des socialistes, de socialisme point ! L’adjectif a effacé le substantif.  » Henri Weber, dans La Nouvelle Frontière, désigne le même horizon intellectuel, où doit se lever le soleil de la  » troisième refondation « , après le réformisme non communiste des années 1920 et l’économie sociale de marché de l’après-guerre :  » Les partis socialistes, dit-il, doivent être des porteurs d’intelligibilité, des éclaireurs de l’avenir.  » Justes mais tardives objurgations : c’est au lendemain du 21 avril 2002 qu’il fallait effectuer ce travail !

Gaëtan Gorce esquisse ensuite la chirurgie nécessaire, hélas escamotée par le gouvernement Jospin en 1997 :  » Le PS se veut ainsi le parti de la réforme par l’Etat mais refuse toute réforme de l’Etat.  » Néanmoins, il abandonne à son tour le chemin d’épines et recommande au parti à la rose d’embrasser l’écosocialisme et ses  » valeurs de maîtrise de soi et de maîtrise du temps « . C’est là une philosophie au mieux angélique, puérile au pire, et sans conteste insuffisante pour maîtriser le fracas du monde ; c’est un socialisme de spa, zen et souriant, qui vante l’altruisme plus que l’effort et parle de  » bien-vivre  » pour cacher la baisse du niveau de vie. Henri Weber, pourtant élevé aux liqueurs fortes du gauchisme révolutionnaire, recommande lui aussi, désormais, la tisane écosocialiste et sa  » société du bien-vivre « , tout en conseillant la résurgence du militantisme et d’un nouvel internationalisme.

Zombie idéologique en ce nouveau siècle

Le socialisme français est piégé par des phénomènes trop grands pour lui. La dramatisation des temps l’a surpris, impréparé et sans chef, tout occupé à se reconstruire dans un monde qui se déconstruit. La social-démocratie mondiale est en crise, zombie idéologique en ce nouveau siècle où il ne semble rien y avoir entre Barack Obama et Hugo Chavez. Ainsi, aucun modèle n’est viable en Europe, ni le social-libéralisme, qui s’est épuisé en Grande-Bretagne, ni l’économie sociale de marché, supplantée par la rigueur en Allemagne, ni même l’austère solidarité scandinave, qui n’empêche pas les malaises identitaires ni les fièvres populistes ; enfin, au Portugal et en Grèce, les destins de Socrates le puni et de Papandréou le maudit ne peuvent qu’effrayer tous les socialistes candidats au pouvoir dans d’autres paysà

Sur ce chantier intellectuel et programmatique, Dominique Strauss-Kahn était attendu comme un architecte prodige, et sa chute change la nature du socialisme millésime 2012 (voir en p.70) : il ne sera pas refondateur en France ni exemplaire pour le monde, il sera l’addition du plus petit dénominateur commun à la gauche et du moins mauvais des suppléants de DSK. Dans cette conjoncture, le PS est passé en quelques semaines de la défaite impossible face à un Sarkozy démonétisé à la crainte de l’échec contre un sortant sans vrai rival à droite.

Non seulement le PS sait désor-mais qu’il peut perdre une quatrième fois de suite la présidentielle, mais il fait tout pour la perdre. Ainsi, la primaire exerce déjà sa terrible logique : la crise financière de ce mois d’août a provoqué un emballement cacophonique chez les candidats, la rentrée politique de septembre déclenchera une fièvre belliqueuse entre eux et, si le résultat de la primaire est litigieux, l’automne saignera de mille règlements de comptes. Dans ce scénario du pire, chaque prétendant exacerbe sa différence comme on aiguise une épée, en attendant les incontournables affrontements sans lesquels la primaire n’aura ni sel ni succès. Terrible quadrature du cercle : sans débats virulents, la primaire n’intéressera personne, et son vainqueur sera peu légitime ; avec, le gagnant aura bien du mal à panser ses plaies et à réconcilier. La primaire, c’est la platitude ou le séisme, l’ennui ou la guerre, le Luxembourg ou les Balkans. Pour l’instant, l’hypothèse Balkans est la plus probable, et le PS peut se réveiller en miettes à la mi-octobre, écartelé entre des candidats irréconciliables et des projets inconciliables. Déjà, parce que la logique centrifuge est la nature d’une primaire, un bonus d’audace va aux candidats les plus radicaux : la démondialisation irréaliste d’Arnaud Montebourg et le pragmatisme draconien de Manuel Valls.

La primaire pour combler trois absences

Le plus cruel pour le PS est qu’il ne peut procéder autrement, ayant besoin de la primaire pour combler trois absences : celle du chef, celle du programme et celle de l’identité idéologique. Ambition démocratique pionnière, le scrutin des 9 et 16 octobre se mue chaque jour un peu plus en expérimentation hasardeuse. La politique est injuste, qui verra peut-être le PS sortir exsangue de sa courageuse tentative pour moderniser la vie partisane sous la Ve République, et épuisé de sa réflexion ontologique sur le socialisme d’aujourd’hui. S’il en est ainsi, en mai prochain, l’Histoire dira que la gauche la plus intelligente du monde est arrivée au même résultat dans les années 2010 que la droite la plus bête du monde dans les années 1980 : la défaite.

L’Avenir d’une idée. Histoire du socialisme, par Gaëtan Gorce. Fayard, 370 p.

La Nouvelle Frontière.

Pour une social-démocratie

du XXIe siècle, par Henri Weber. Seuil, 227 p.

CHRISTOPHE BARBIER

Un socialisme de spa, zen et souriant, qui vante l’altruisme plus que l’effort

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