david abiker © PIERRE-EMMANUEL RASTOIN

Princesse leia, mélenchon, sainte bernadette et l’hologramme

David Abiker

Quand Carrie Fisher (princesse Leia) est morte, provoquant évidemment un deuil planétaire aussi régressif que générationnel chez les fans de la saga Star Wars, je n’ai pas été triste. Du moins, pas tout de suite. Lorsque quelqu’un s’en va, on peut ne pas être triste immédiatement. Parfois, le chagrin ou les regrets prennent leur temps. Il faut un souvenir qui revient, un parfum qui ressurgit, une plaque de rue qui indique la direction du passé, un chemin en quelque sorte. Pour moi, l’émotion est venue bêtement, quand un extrait de l’épisode 4 (donc le premier pour les vieux) a ressuscité d’entre les Internet, l’hologramme de la princesse Leia suppliant Obi-Wan Kenobi de lui venir en aide. Là, seulement, par la disparition de Carrie Fisher, ému je fus. Pourquoi ?

Sans doute parce que l’hologramme symbolise ce trait d’union entre la réalité et le virtuel. Entre la vie et la mort. Entre l’image et ce qu’elle représente. Entre le sacré et l’icône. Entre la question et la réponse. A ce moment-là, devant la pâle et vide réplique bleutée de la princesse, j’ai compris que rien ne nous rendrait Carrie Fisher. Et je fus triste pour les fans. Et cette tristesse fut bonne. Car elle était plus vraie que l’hologramme.

Miracle technologique. Il y a pourtant dans l’hologramme quelque chose qui fait de nous les joyeux témoins d’un miracle qui ne dit pas son nom. Quiconque regarde les hologrammes de Dalida, de Cloclo, de Mike Brant ou de Sacha Distel se trémousser sur la scène accueillant le spectacle Hit Parade (à Forest National le 20 avril prochain), partage une seconde la foi de Bernadette Soubirous. Cent cinquante-neuf ans après l’apparition de Lourdes.

Entre le 11 février et le 16 juillet 1858, Bernadette Soubirous, qui n’avait ni smartphone ni hologramme en stock, a témoigné de 18 apparitions de la Vierge Marie dans la grotte de Massabielle. Face à la princesse Leia, à Cloclo ou à Dalida, nous sommes très provisoirement comme cette jeune sainte de 14 ans quand lui apparut la Vierge.

Ce premier face-à-face avec l’hologramme ramasse dans un temps infiniment court celui des croyances religieuses, des superstitions païennes, des contes et des enchantements d’autrefois. Mais il ne dure pas. L’homme moderne reprend vite le contrôle de la situation. Il convoque la science, la technologie. Il renonce à la naïveté et ensuite, il s’ennuie.

Marchand d’illusions. Le 5 février, soit six jours avant la date anniversaire de la première apparition de la Vierge devant Bernadette Soubirous, Jean-Luc Mélenchon est intervenu en deux endroits à la fois par la magie de l’hologramme. En chair et en os à Lyon, en version holographique à Paris. Lequel des deux Mélenchon faut-t-il croire ? L’illusion de Mélenchon ou le marchand d’illusions qu’est nécessairement un homme politique ? Seuls les croyants pourront trancher ce débat qui rappelle celui qui eut lieu des siècles auparavant entre iconodules et iconoclastes. Mais il est probable que ceux qui se sont trouvés en présence de l’holo-chon (1) auront vécu un enchantement de courte durée, rattrapé justement par le sentiment amer de l’absence du leader de la France insoumise.

Pour le comprendre, il faut sans doute avoir connu le deuil. J’ai ainsi, dans les tréfonds de mon téléphone, une séquence comparable à l’hologramme de la princesse Leia. Mon père, sur son lit d’hôpital, y plaisante avec une harpiste venue lui jouer de la musique celte. Je les ai enregistrés quelques semaines avant sa mort, mais je n’ai jamais osé regarder cette vidéo depuis. L’image ne peut pas tout ressusciter. Visionner aujourd’hui celle de mon père vivant me chagrinerait trop, quand son souvenir me fait du bien. Ce film est comme l’hologramme de la princesse Leia ou de Jean-Luc Mélenchon. En s’efforçant de les rendre présents, leurs hologrammes ne font qu’en souligner l’absence.

(1) Holo-chon : terme technique, représentation holographique de Jean-Luc Mélenchon.

Chroniqueur pour 01net, Le newsmagazine du numérique

david abiker

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