Poutine Ce qu’il veut faire de la Russie

Moscou, ciel bouché, gros de neige. Dimitri a choisi un café tranquille pour la rencontre, plutôt que le bureau de son institut. Il est sociologue, et l’un des plus sévères à l’égard du régime de Vladimir Poutine.  » Le climat est tel, confie-t-il, que je n’exclus pas, demain, de recevoir un coup de fil issu d’une quelconque officine du FSB [ex-KGB] m’incitant à réfléchir, à penser à ma familleà Parfois je reçois des SMS de menaces sur mon téléphone portable. Les médias ne m’appellent plus guère, comme si je devenais indésirable.  » Est-ce le retour de l’ancienne peur ?  » A l’époque soviétique, on ne s’insurgeait pas, on discutait dans les cuisines. Aujourd’hui, c’est pareil, sauf que les critiques circulent sur Internet. Mais la société n’a aucun ressort. Le pouvoir exploite des passions négatives, volonté de revanche, sentiment d’injustice face aux riches, fibre nationaliste. Il est poussé à plus d’autoritarisme.  » Jusqu’où ? Vers quel destin Vladimir Poutine conduit-il la Russie ?  » Sur fond d’attentats, dans un mois ou deux, la Douma aux ordres votera une loi accordant aux services secrets les pouvoirs supplémentaires qu’il réclame « , assène Dimitri.

Alors que l’ex-colonel du KGB entame son second mandat, certains responsables occidentaux qui fermaient les yeux jusqu’ici sur la confiscation des libertés et la guerre en Tchétchénie commencent, sur le tard, à sortir de leur mutisme. Les attaques ciblées contre Ioukos, première compagnie pétrolière de Russie, et l’incarcération de son patron, Mikhaïl Khodorkovski, ont relancé la fuite des capitaux et quelque peu échaudé les investisseurs étrangers. Mais, sauf exception, la Russie ne jongle plus avec les déficits budgétaires. Servie par les hauts cours du pétrole, elle paie ses dettes rubis sur l’ongle, 17 milliards de dollars en 2003 û  » et le pays ne l’a même pas senti « , a souligné le chef de l’Etat lors d’une intervention récente à l’université Lomonossov. Les réserves en or et en devises de la Banque centrale û plus de 84 milliards de dollars û ont atteint un niveau sans précédent dans l’histoire de la Russie, y compris, semble-t-il, durant la période soviétique. Dopée par la consommation intérieure, la croissance reste soutenue, supérieure à 7 % en 2003, mais devrait accuser un certain tassement en 2004. Dans le même temps, la population a vu ses revenus s’accroître de 14 %, mais de façon inégale. Des zones de dénuement persistent, aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Pourtant la pauvreté marque un recul. Elle touchait environ 40 millions de personnes en 2000, contre 31 millions aujourd’hui û dont un tiers n’a pas les moyens d’acheter des produits alimentaires de base. Les retraites ont sans doute augmenté,  » de 90 % en chiffres réels  » depuis 1999, rappelle volontiers Vladimir Poutine, mais la somme initiale était parfois dérisoire.

Durcissement des Etats-Unis

Pour une amélioration de la vie des plus pauvres, il faudrait une croissance  » plus rapide encore « , estime la Banque mondiale. Les investissements directs étrangers (IDE) enregistrent une progression notable en 2003. Selon les calculs du Comité d’Etat des statistiques, ils atteignent 6,8 milliards de dollars û contre 2,4 l’année précédente (source : Cnuced). Des montants qui restent négligeables compte tenu des ressources et de la taille du pays. En 2002, la République tchèque attirait 9,3 milliards de dollars. Quant à la Chine, elle en raflait, à elle seule, 53 milliards.

Au regard de la place qu’occupe la Russie dans le monde et sur le continent eurasiatique, au contact immédiat de l’Union européenne et de territoires autrefois intégrés à son ex-empire, la dérive de Poutine vers une forme de despotisme combinant des ingrédients soviétiques et d’autres issus de la tradition russe pourrait être lourde de conséquences. Un pays qui tourne le dos à la démocratie et à l’Etat de droit n’est pas un partenaire fiable. Faute d’adhérer à ces valeurs, la Russie risque de voir ses relations avec les Etats-Unis se détériorer. C’est en substance le message que le chef de la diplomatie américaine, Colin Powell, est venu délivrer à Moscou, fin janvier. Il l’a fait non pas en petit comité, mais à la Une des Izvestia û avant son entretien avec Poutine. Passant en revue les sujets d' » inquiétude  » de Washington, y compris la Tchétchénie et la présence de troupes russes en Géorgie et en Moldavie, il s’interrogeait sur les capacités du pouvoir politique à se conformer aux  » normes du droit « , allusion claire à l’affaire Khodorkovski. En saison électorale aux Etats-Unis, George W. Bush prend manifestement ses distances avec l' » âme  » de Poutine. De ce côté-ci de l’Atlantique, une fois Silvio Berlusconi muselé, il ne reste guère que Jacques Chirac pour se plaindre que l’Europe ne marque pas  » plus de respect  » à l’égard de la Russie û laquelle multiplie les signes de crispation face à l’élargissement de l’Otan et de l’Union européenne (UE).  » Dans nos manuels scolaires, on apprenait autrefois que l’existence du bloc soviétique était la garantie de la sécurité et de l’indépendance de l’URSS, lance Stanislav Belkovski, directeur du Conseil national de stratégie. En intégrant les Baltes et l’Europe centrale, l’Union régresse vers la logique de guerre froide.  » La Russie traîne les pieds pour appliquer aux nouveaux membres de l’UE l’accord de partenariat et de coopération qui la lie aux Quinze, affirmant qu’elle y perdra des centaines de millions de dollars par an. Par ailleurs, le survol, quotidien depuis la fin de mars, de l’espace aérien balte par des appareils de l’Otan ajoute aux hantises des généraux russes, qui ne veulent à aucun prix voir l’Alliance établir des bases à leurs portes.

Rien n’affecte le taux d’approbation astronomique dont bénéficie Vladimir Poutine, ni les explosions, ni les catastrophes, ni le gazage de 129 spectateurs pris en otages au théâtre Dubrovka, ni les morts en Tchétchénie, ni la progression exponentielle du sida et de la drogue. Quand un drame se produit, il sait montrer du doigt les coupables. Le 6 février dernier, une bombe explose dans le métro de Moscou, provoquant une quarantaine de morts, selon le bilan officiel.

ô Stabilité « , maître mot du poutinisme

Affirmant qu’il n’a nul besoin de preuves pour  » savoir de façon certaine  » que le président indépendantiste  » Aslan Maskhadov et ses bandits  » sont coupables, Vladimir Poutine désigne les Tchétchènes à la vindicte publique. Sans voir qu’il avoue ainsi l’échec de la politique d’extermination brutale qu’il mène depuis près de cinq ans contre la république caucasienne. Jusqu’ici, loin de lui demander des comptes, la majorité de la population le porte aux nues.

 » Nous sortons tous du manteau de Staline « , soupirait un jour l’ancien dissident Sergueï Kovalev. Fin février, selon une enquête de l’institut Romir, la moitié des citoyens veulent une  » main forte « , autrement dit un pouvoir à poigne à la tête de la Russie û qui puisse leur garantir la stabilité, maître mot du poutinisme. Quant au président lui-même, ils sont aussi nombreux à ne lui trouver aucun défaut. Ses qualités ?  » Jeune, vigoureux, en bonne santé, professionnel.  » Flatteurs pour l’amour-propre national, l’image et le style du chef de l’Etat rehausseraient le statut de la Russie, dont l’abaissement est mal supporté. Le seul reproche fait à Poutine est de se montrer trop  » indécis « , signe qu’une partie de la population souhaite plus de fermeté.  » Ici, la notion d’Etat n’est pas perçue comme en Occident, constate Dimitri Orechkine, directeur du centre de recherche Mercator. Chez nous, elle est largement positive. Parler de l’Etat c’est parler du peuple, de nous autres. Voilà pourquoi la glorification de l’Etat est un thème populiste par excellence. Plus l’Etat est fort, plus le peuple est fort. Poutine et ses stratèges ont parfaitement analysé la demande sociale.  »

Ici et là, des opposants ont appelé au boycottage de la présidentielle, à commencer par le champion d’échecs Garry Kasparov, qui a lancé le Comité 2008, dont l’objectif est d’£uvrer pour des élections  » libres et honnêtes  » à l’issue du second mandat de Poutine, le dernier selon la Constitution. Verrouillé par le Kremlin à grand renfort de  » ressources administratives « , et critiqué par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le scrutin du 14 mars a tourné au plébiscite en faveur de Poutine, élu avec plus de 71 % des voix, le taux de participation étant supérieur à 64 %. Le candidat-chef de l’Etat voulait être bien élu. Les efforts n’ont pas été ménagés pour qu’il le fût.  » Poutine est toujours en mal de légitimité : en 2000, il a été installé au pouvoir et il le sait « , explique Stanislav Belkovski, corédacteur, l’an dernier, d’un rapport à sensation sur les oligarques, accusés de fomenter un coup d’Etat.  » Parfois, on se croit revenu à l’ère Brejnev, ironise un journaliste moscovite. Le jour où deux agents russes du FSB ont été arrêtés au Qatar pour leur implication dans l’assassinat de Zelimkhan Yanderbiev [ex-président par intérim de la Tché- tchénie indépendantiste], l’une des chaînes de télévision a ouvert son journal du soir par la rencontre de Poutine avec une équipe junior de hockey !  »

Dernier élément du dispositif, quatre jours avant le vote, le maître du Kremlin annonçait la composition du nouveau gouvernement, malmenant ainsi l’agenda constitutionnel, qui prévoit la dissolution de l’exécutif au lendemain du scrutin. Hybride et réduite en apparence, l’équipe désignée traduit les ambiguïtés de Poutine. D’un côté, les  » tchékistes « , issus des services secrets, tels Sergueï Ivanov, qui garde la haute main sur la Défense, ou encore le nouveau responsable de l’Intérieur. De l’autre, les libéraux, tel l’économiste Alexandre Joukov, dont la présence vise à rassurer les milieux d’affaires, d’autant qu’il sera le seul adjoint au Premier ministre, Mikhaïl Fradkov. La nomination de ce dernier a stupéfié le microcosme politico-médiatique. Le fait qu’il soit connu à Bruxelles pour avoir représenté la Russie auprès de l’UE n’y changeait rien. Tant il était clair que ce terne bureaucrate, réputé d’une prudence extrême, se bornerait à suivre les directives d’en haut. Lié à la mouvance tchékiste, c’est un proche de Sergueï Ivanov. Il ne contrôle pas les ministres les plus importants, qui relèvent directement du chef de l’Etat. Enfin, Fradkov est sous l’£il de Dimitri Kozak, ex-n° 2 des services du Kremlin parachuté aux commandes de l’administration gouvernementale.  » Le fait que Poutine l’ait choisi indique que l’assaut contre Ioukos ne restera pas un cas isolé, avertit Alexeï Venediktov, directeur de la radio Ekho de Moscou, l’un des derniers bastions de résistance au sein du paysage médiatique. Quand Fradkov dirigeait la police fiscale, un organisme tellement corrompu qu’il a fallu le dissoudre, il réclamait l’utilisation des détecteurs de mensonge et des pressions sur les familles pour confondre les mauvais payeurs. Voilà son vrai visage.  »

Manuels d’histoire revus et corrigés

La question du pouvoir a toujours été centrale pour le système communiste. Poutine reste enfermé dans cette logique  » verticale « . En limogeant Mikhaïl Kassianov, prédécesseur de Fradkov et l’un des derniers vestiges de l’ère Eltsine, il a définitivement coupé les ponts avec le clan qui l’a propulsé au sommet de l’Etat. L’ancien agent du KGB a des revanches à prendre.  » Il est prisonnier du pouvoir, il ne pense qu’à ça « , lance Belkovski. Libéré d’un côté, il lui faut compter avec d’encombrants alliés, les siloviki, ces bureaucrates à épaulettes issus des services secrets, des rangs de l’armée ou de l’Intérieur qui ont, grâce à lui, investi en force l’appareil d’Etat. De ce point de vue,  » Poutine a surpassé ses icônes, Staline et Andropov, note le sociologue Vladimir Chlapentokh. A l’époque soviétique, jamais le KGB et l’armée n’ont joué un rôle aussi considérable dans la gestion de la société « . Poutine sait ce que veut cette caste.  » Dans une certaine mesure, nous ne sommes pas sortis des structures soviétiques, explique Dimitri Orechkine. A l’époque, le complexe militaro-industriel, qui disposait des plus grands privilèges, ne produisait rien mais dépensait. Avec la perestroïka est apparue une autre élite, guère plus plaisante, qui allait bientôt amasser des fortunes, en particulier grâce à la production des hydrocarbures. Sous Poutine, on a vu se former un nouveau groupe qui ne produit rien mais veut dépenser : à cette fin, il cherche à contrôler le pouvoir, qui permet l’accès aux richesses accumulées. Mais il faut que la croissance de l’économie se poursuive, car, si ces bureaucrates convoitent des appartements à 300 000 dollars, il faut qu’ils puissent se les offrir !  » Certains ont voulu se lancer dans le business, mais n’est pas oligarque qui veut. L’un d’entre eux s’est approprié RosOugol (Charbon de Russie), ex-compagnie d’Etat restructurée grâce à des financements de la Banque mondiale.  » A présent, la firme est à genoux, confie un observateur qui requiert l’anonymat. Quant à l’intéressé, le Kremlin le tient désormais à distance.  » A terme, assurent les optimistes, Poutine se lassera de l’incompétence des siloviki. Ou bien il restera leur otage, ripostent les pessimistes.  » Si Poutine ne vire pas les siloviki, personne n’en viendra à bout après lui. Et, derrière eux, se profilent des idéologues qui représentent un vrai danger.  »

A Moscou, loin du centre, Igor Dolutski, 50 ans, vit dans un petit appartement spartiate dont la bibliothèque est le seul luxe. Son sourire chaleureux, ses traits émaciés, tout en lui respire la droiture, l’intégrité. Né à Port-Arthur, au hasard de l’après-guerre, fils d’un colonel de l’Armée rouge qui rêvait de lui voir embrasser la carrière, Igor Dolutski enseigne l’histoire depuis près d’un quart de siècle û passion qu’il a contractée dans les années 1970 après avoir lu une photocopie clandestine de L’Archipel du Goulag. Avec la perestroïka, il se lance dans la rédaction de manuels. Son but ? Eduquer l’esprit critique. Aussi propose-t-il diverses interprétations d’un événement, à charge pour le lycéen de distinguer la plus pertinente à ses yeux. L’été dernier, il publie la dernière version de son Histoire nationale du xxe siècle, année 2001 comprise. Le texte a été lu et approuvé par les experts de l’Education nationale. Deux citations, à infirmer ou à confirmer par l’élève, figurent à la fin du livre. Celle d’un journaliste assimilant le régime de Vladimir Poutine à une  » dictature autoritaire « . Et ce jugement du réformateur Grigori Iavlinski :  » Un Etat policier s’est formé en Russie.  » A l’évidence, le Kremlin a été alerté. Alors ministre de l’Education nationale, Vladimir Filippov part en guerre contre l’ouvrage et réunit une commission de  » censeurs « . Dolutski alerte la presse.  » Les manuels doivent cultiver parmi la jeunesse le sentiment de fierté nationale « , énonce doctement Poutine. Des anciens combattants protestent par écrit contre l’ouvrage. Saisissant le prétexte, le chef de l’Etat réclame une révision complète des manuels d’histoire, de façon à séparer le bon grain de l’ivraie. C’est chose faite depuis janvier dernier. Le manuel d’Igor Dolutski est interdit, retiré des librairies.  » L’Histoire, chez nous, c’est le lieu de la prostitution. De nouveau, la commande que l’Etat passe aux historiens est d’écrire non pas la vérité mais la version de propagande.  » Régression vers le passé soviétique ?  » Le régime de Vladimir Poutine s’apparenterait plutôt au règne autoritaire du tsar Alexandre III, qui s’appuyait sur l’Eglise orthodoxe et sur une police omniprésente. Les voyageurs étrangers s’étonnaient de l’importance accordée au ministre de l’Intérieur, n° 2 dans la hiérarchie d’Etat après le tsar.  »

Au siège de Marchons ensemble û c’est à-dire des Jeunesses poutinistes û on ne plaisante pas avec la religion.  » Le président a déclaré que la Russie est un pays orthodoxe, assène Vassili Iakimenko, 35 ans, chef de l’association. L’un de nos slogans, c’est  »On se dit orthodoxe, mais il faut l’être ». Ici, nous n’imposons rien. Mais l’orthodoxie a été acceptée comme religion officielle il y a mille ans. Quand on est né en Russie, on respecte les valeurs orthodoxes. La religion est une éducation de la responsabilité, contre les dérives individualistes.  » On tente de suggérer qu’il y a d’autres confessions en Russie, mais sans succès. L’une des dernières  » actions  » de Marchons ensemble consistait à distribuer des croix dans les villes. Les responsables prennent très au sérieux leur rôle d’éducateurs. Au moins ont-ils des modèles à offrir :  » Poutine est un exemple. Il incarne le rêve russe.  »

Le 23 février dernier, venues célébrer le 60e anniversaire de la déportation des Tchétchènes, quelque 200 à 300 personnes piétinaient dans la neige, sous haute surveillance policière. Vladimir, 75 ans, historien, est là avec son petit-fils de 19 ans, Grigori, étudiant en droit :  » Je suis venu parce que je suis juif, explique Vladimir. Si personne ne réagit, je me demande dans quel gouffre va tomber la Russie. Poutine va être réélu, car c’est l’habitude chez nous de voter pour le pouvoir. Si les dirigeants occidentaux lui disaient :  »Change de politique, arrête la guerre, sinon c’est la dernière fois que tu t’assois à la table du G 8 », ça aiderait.  » La police a procédé à une dizaine d’arrestations. Les organisateurs risquent des poursuites.

Ce jour-là, à Bruxelles, le député européen Olivier Dupuis était parvenu au 36e jour de la grève de la faim qu’il avait entreprise pour le soutien au plan de paix d’Ilias Akhmadov, ministre des Affaires étrangères d’Aslan Maskhadov û prévoyant une administration provisoire des Nations unies sur la Tchétchénie, le retrait des forces russes et le désarmement des combattants. Ce plan, qui exaspère le Kremlin, a recueilli près de 20 000 signatures, dont celles de 146 élus européens. Le 26 février, le Parlement européen lui-même demande à la Commission d’étudier le plan Akhmadov… Il reconnaît le même jour que la déportation des Tché- tchènes, en 1944, constituait un  » acte de génocide « .

Restaurer la grandeur de la Russie

Qu’il le veuille ou non, Poutine est otage de la guerre qu’il a déclenchée en 1999 aux confins du Caucase et qui frappe à présent Moscou.  » Le terrorisme est un problème international, rétorque Mikhaïl Marguelov, président de la commission des Affaires étrangères au Conseil de la fédération (équivalent du Sénat), et il n’y a pas que nous qui sommes touchés. Le chef de l’Etat russe devient aussi tributaire de l’homme qu’il a installé à la tête de la république û l’ex-mufti Akhmad Kadyrov, porté à la présidence par un scrutin grossièrement manipulé, aux allures d’unanimisme soviétique. Aux yeux de Dimitri Orechkine,  » la Tchétchénie est le laboratoire où se créent les méthodes de gestion de la Russie « . Et d’ajouter :  » Kadyrov est l’alibi qui permet au Kremlin d’affirmer qu’il n’y a plus de guerre, seulement des affrontements entre Tchétchènes. En contrepartie, on le laisse agir à sa guise.  »

Il réclame toujours plus de pouvoir, convoite l’annexion de l’Ingouchie. Il dispose d’une milice de plusieurs milliers d’hommes, dirigée par son fils, Ramzan, qui se comporte à l’égal des troupes fédérales. Fin février, des groupes armés, parfois dirigés par Ramzan Kadyrov lui-même, ont procédé à des rafles à Grozny et dans plusieurs villages, visant la famille d’Umar Khanbiev, ministre de la Santé d’Aslan Maskhadovà Une vingtaine de ses proches sont arrêtés, certains grièvement blessés. Pour éviter le pire, Magomed Khanbiev, ministre de la Défense indépendantiste, a choisi de se rendre. L’opération vise à réduire au silence son frère Umar, qui est l’un des avocats du plan de paix pour la Tchétchénie. A Moscou, certains intellectuels confient que c’est là sans doute la seule solution, à condition que les dirigeants américain et européens s’entendent pour négocier avec leur homologue russe. En revanche,  » aux yeux de la plupart des gens, la volonté occidentale d’arrêter cette guerre est perçue comme une pression sur Poutine et la Russie, explique Dimitri Orechkine. Ils estiment que si l’Occident se comporte ainsi, il faut lui répondre de manière rigide, se protéger, se retrancher. Et cette vision est partagée dans l’entourage de Poutine « .

Récemment, le chef de l’Etat russe a solennellement qualifié de  » tragédie nationale  » la désintégration de l’Union soviétique û événement que plus de 60 % des Russes regrettent avec lui. A l’aube de son second mandat, il se trouve confronté à des exigences contradictoires. Il veut être celui qui restaurera la grandeur de la Russie, qui lui rendra son statut de grande puissance. Même si, d’aventure, il parvenait à atteindre l’objectif qu’il s’est fixé en 2003 û le doublement du produit intérieur brut à l’horizon 2010, date à laquelle il ne devrait plus être au pouvoir û les moyens lui manqueraient pour réaliser ses ambitions. Reste la voie de la confrontation avec l’Occident, irrationnelle et revancharde, que cultivent les cercles dits  » patriotiques « .  » Poutine cherche désespérément à formuler une idée nationale qui lui permette de rester dans les manuels, ironise Stanislav Belkovski. Mais ça ne s’emprunte pas à l’extérieur. La Russie a sa voie propre ; elle ne peut pas suivre une voie importée. Par définition, c’est un pays impérial, et sa renaissance passe par la restauration de l’empire. Amputée des anciens territoires soviétiques, la Russie ne peut pas être elle-même.  » Façon de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.  » Savez-vous quel est le plus sûr moyen de se faire élire en Russie ? interroge le journaliste Savik Schuster. Un seul slogan suffit : ôLa Crimée doit redevenir russe. »  »

S. P., avec A. C.

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