Pourquoi Koen Dassen a démissionné

Le rapport du Comité R sur la vente d’une presse isostatique à l’Iran a poussé l’administrateur général de la Sûreté de l’Etat à la démission. Mais il était déjà déstabilisé par son opposition à la création de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam) qui ébranle la  » règle du tiers service « . Explications

La  » communauté du renseignement  » est régie par un ensemble de règles, écrites ou non, qui permettent de concilier le besoin d’échange d’informations et la nécessité de protéger celles-ci en raison de la manière secrète et dangereuse dont elles ont été collectées. La règle du  » tiers service  » peut être résumée comme suit :  » Le renseignement transmis d’un service officiel d’un Etat à un autre service officiel étranger reste la  » propriété  » du service émetteur. Il doit garder le même degré de classification que celui que le service émetteur lui a donné. Il ne peut être communiqué et traité que dans les conditions de sécurité adéquates. Il ne peut être utilisé que dans le but pour lequel le renseignement a été fourni et, enfin, il ne peut pas être communiqué à des tiers non habilités sans l’accord du service émetteur.  » Explication : seul le  » service émetteur  » sait comment l’officier traitant a obtenu un renseignement de son informateur et ce qu’il peut en laisser filtrer sans danger pour l’un et l’autre. Les services secrets savent aussi en quelles agences étrangères ils peuvent avoir confiance. Le sésame européen ne veut rien dire, en l’occurrence. Il y a des services fiables et d’autres dont on peut attendre des coups tordus, jusqu’à la transmission de votre info, sans autorisation, à un pays hostile ou instable. Au sein d’un même service, le  » prêt  » d’un informateur à un autre agent que celui qui l’a  » recruté  » et qui le  » manipule  » habituellement n’est pas sans risque. Pas besoin d’avoir lu John Le Carré pour deviner que cette relation nécessite un sens psychologique très particulier.

La règle du tiers service est parfois invoquée à mauvais escient, pour ne pas communiquer une information, se donner de l’importance ou faire monter les enchères. Car il existe une autre règle non écrite du renseignement : le donnant-donnant. Une petite agence qui n’a pas beaucoup d’infos à mettre sur le marché est tributaire du bon vouloir des grandes. De là l’intérêt de cultiver ses points forts, qui sont, entre autres, pour la Belgique, sa connaissance imbattable de l’Afrique centrale. Mais le système est aléatoire. Il repose sur des rapports de force, qui disparaissent en cas de coup dur – toute la communauté du renseignement se plaît alors à souligner son excellente collaboration -, mais ne permet pas de faire, en routine, des analyses concrètes ni d’avertir les secteurs concernés par une menace.

Le gouvernement Verhofstadt veut remédier à cette lacune en créant une plate-forme nationale d’évaluation, qui romprait partiellement avec la règle du  » tiers service « , en modélisant les messages en fonction du niveau d’alerte et du secteur. Des sanctions pénales sont prévues pour les membres des services (police fédérale, services de renseignement, douanes, etc.) qui ne livreraient pas leurs informations confidentielles au futur Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam). Celui-ci doit être créé à l’automne prochain, il comportera une cinquantaine d’analystes et sera dirigé par un magistrat – encore un. L’ancêtre de l’Ocam est le Groupe interforce antiterroriste (GIA), créé, en 1984, par l’ancien ministre de la Justice Jean Gol. Mais le GIA, rapidement phagocyté par la gendarmerie, n’a pas donné les résultats escomptés. Cette fois, le gouvernement compte bien réussir son coup, mais ce n’est pas garanti.

La fâcherie de Koen Dassen, démissionnaire de la Sûreté de l’Etat, avec sa ministre de tutelle, Laurette Onkelinx (PS), et son parrain politique, le Premier ministre Guy Verhofstadt (VLD), provient de son opposition farouche à l’Ocam. On a beaucoup parlé de la visite à Laurette Onkelinx, en novembre 2005, de Eliza Manningham-Buller, patronne du MI5, le service de renseignement intérieur du Royaume-Uni. Selon certaines sources, la Britannique aurait prévenu la ministre que si le gouvernement belge persistait dans son projet, le flux d’informations des services secrets britanniques vers leurs homologues belges se tarirait. Dans l’entourage du Premier ministre, Dassen a été accusé d’avoir savonné la planche d’Onkelinx. Quoi qu’il en soit, le rapport du Comité R sur l’exportation contestée d’une petite presse isostatique vers l’Iran (Le Vif/L’Express du 3 février 2006 ) venait à point nommé pour lui donner le coup de pied de l’âne. La démission de Dassen doit s’apprécier dans ce contexte : il a aussi voulu empêcher que l’on casse un outil, la Sûreté de l’Etat, en l’attirant dans le champ policier, dont les finalités judiciaire et administrative (maintien de l’ordre) sont incompatibles avec les investigations de longue portée d’un service de renseignement. Avec ou sans coups tordus. l

M.-C.R.

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