Poudre de riz et héros rouges

Quoi de mieux que l’art de l’affiche pour imaginer comment, en Chine, se sont traduits les rapports entre les rêves de la population et ceux des maîtres? Réponse à La Louvière, avec une superbe collection privée

Shangaï, années 1930, parfums d’opium et grands hôtels. L’argent ruisselle entre les doigts de quelques-uns, et les Chinoises n’ont jamais été aussi désirables. Leur peau est rose, leurs lèvres rouges, leurs poses aguichantes. On les voit dans les palaces, seules ou en famille, mères ou stars, avec ou sans amie à leurs côtés. Elles s’étirent au bord d’une piscine hollywoodienne, se rassemblent sur un terrain de golf ou partent en voyage après avoir enfilé leurs gants de dentelle blanche. Sur les affiches qui les immortalisent en teintes poudreuses, elles posent, d’abord, droites dans leur robe de soie traditionnelle sur fond de fleurs, de cascades et de rocailles. Ensuite, les décolletés se creusent et les robes s’échancrent, afin de toujours mieux vanter les mérites des savons parfumés à la lavande anglaise, des sucreries françaises, des chaussures de sport ou encore des lampes de poche américaines. De là à dire que la première période de l’affiche chinoise n’est pas chinoise, il n’y a qu’un pas, celui que franchira Mao. En attendant, Shangaï s’offre aux appétits des occidentaux qui comptent bien trouver en Chine la solution économique au krach boursier de 1929. La ville portuaire change donc de visage, comme Canton ou Macao jadis. Malgré le parti communiste naissant, malgré la révolte des sociétés secrètes du Lotus blanc ou encore les avancées de l’impérialisme japonais, rien y fait. Les industries tournent de plus en plus vite alors que, dans les boutiques davantage que dans les rues, la publicité donne le ton de cette nouvelle façon d’être dans le coup. Encore faut-il convaincre les masses deconsommateurssans les heurter, imposer certes, mais en douceur.

Alors, si les directeurs de conscience artistiques et les outils (les presses, les procédés, les matériaux) arrivent de l’Occident, les artisans locaux apportent leur tradition qui, jusqu’ici, en termes d’images populaires, s’étaient révélées à travers les techniques de la xylographie et le thème des calendriers de l’an neuf. D’où cette esthétique si singulière des premières affiches, qui oppose l’image centrale et le pourtour, fort chargé en informations diverses et motifs en frise.

Jusqu’à ce jour, aucune exposition n’avait montré de telles images qui, dès l’arrivée de Mao, furent non seulement combattues mais aussi détruites par milliers. Or, curieusement, comme le montre la deuxième section de l’exposition de La Louvière, constituée de la collection privée de Marc H. Choko, directeur du Centre de design de Montréal, les premières affiches du régime communiste prolongent les habitudes prises dans les années 1930. On y retrouve, en effet, les mêmes chromatismes pâles et nuancés et d’identiques rapports entre la « scène » et le texte mais, cette fois, au service d’une cause. Ainsi, les nymphettes font place aux petites « Martine », et les enfants sages et pouponnés sont remplacés par des gamins tout aussi dociles et dodus, l’arme au poing. Au fil des réformes, surtout après la parution du Petit Livre rouge, les images, distribuées en millions d’exemplaires, rejoignent ce que l’on connaît bien de toutes les dictatures: un art au service du populisme et de ses héros soldats, paysans et ouvriers, théâtralisés, en couleurs criardes, franches et très contrastées.

Mais, aujourd’hui? Les propos de la dernière partie de l’exposition sont plus ambigus. S’y côtoient des oeuvres officielles et d’autres, plus souterraines, des images politiques d’une rare violence et d’autres, sucrées à souhait. Comme si, à l’aube du troisième millénaire, le rêve du Shangaï des années 1930 pouvait ressurgir, tel un fantôme parfumé à la lavande anglaise.

Guy Gilsoul, La Louvière. Centre de la gravure et de l’image imprimée. 10, rue des Amours. Jusqu’au

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