© CÉLINE NIESZAWER/LEEEXTRA/L'NOCLASTE

Poésie, refuge pour tous

Trois ans après son premier roman, Pauline Delabroy-Allard épouse la pente de la solitude et niche ses interrogations dans Maison-tanière, recueil doux-amer de poèmes et d’images nés d’une écoute journalière de vinyles piochés au hasard.

En 2018, Pauline Delabroy-Allard, tout juste trente ans, avait fait sensation à la rentrée littéraire avec Ça raconte Sarah, premier roman publié aux Editions de Minuit. Cette passion amoureuse incandescente et tragique entre jeunes femmes avait valu à son autrice d’être parmi les dernières en lice pour le Goncourt et d’obtenir plusieurs prix. Elle revient avec un projet poétique hybride où, par-delà un cadre resserré et une économie de mots, l’intime, le doute et la douceur continuent à jaillir.

Quelle a été l’étincelle à l’origine de ce projet?

C’est venu d’un constat: je ne sais pas écrire dans mon lieu de vie quotidien. Je m’y suis efforcée sans y parvenir. Quand il a fallu que je termine Ça raconte Sarah, et en particulier cette deuxième partie plus intense, j’ai eu besoin de me retrancher du monde. J’ai eu l’opportunité d’occuper seule une maison d’amis. Pour me mettre en jambes chaque matin, j’ai imaginé un rituel qui consistait à écrire un poème, à partir d’un disque trouvé sur place, le temps de l’écoute. Le point de départ, c’est donc cette maison qui devient un peu personnage grâce à mon exploration répétée. J’ai pris du plaisir à y revenir, deux ans plus tard.

Je suis pour qu’on publie de la poésie sur les réseaux sociaux, qu’on essaie à toute force de la propager.

Dans le poème du 10 juillet, vous écrivez « je me prends l’uppercut reçu il y a plus d’un an / dans la mâchoire ». Est-ce la nécessité de vous extraire du flux qui guide ce rituel d’écriture?

Ce qui s’est passé pour Ça raconte Sarah était un long tourbillon. Il n’a pas cessé entre le moment où j’ai envoyé mon manuscrit et celui où la promo a un peu diminué. J’étais totalement dedans, sans pouvoir prendre le temps de réfléchir. J’étais la première surprise de ce qui m’arrivait, ravie, évidemment… et, à la fois, il fallait que j’apprenne tout sur le tas: les relations aux libraires, aux lecteurs, etc. J’ai rencontré d’autres écrivains et écrivaines alors que c’était jusque-là un milieu que je ne côtoyais pas du tout. Me soustraire était nécessaire pour comprendre ce qui s’était passé.

Maison-tanière, par Pauline Delabroy-Allard, L'Iconoclaste (coll. L'Iconopop), 80 p.
Maison-tanière, par Pauline Delabroy-Allard, L’Iconoclaste (coll. L’Iconopop), 80 p.

Comment êtes-vous passée d’une pratique intime à un projet finalisé, puis à la publication?

Formellement, ce texte est rythmé par les dates, mais je l’ai pensé dès le départ comme un objet – j’avais envie de ce diptyque avec les photos en regard. Il était clair que ça pourrait être lisible et visible par autrui, contrairement à une vraie pratique de journal intime que je garde pour moi. Quand Cécile Coulon (NDLR: autrice, poétesse et codirectrice de collection) m’a abordée pour l’Iconopop, je n’ai pas hésité une seconde sur ce que j’allais lui proposer. Alexandre Bord (NDLR: l’autre codirecteur) et elle étaient convaincus et ont voulu relier les deux étés, Les Jours absents et Les Jours couchés, que j’avais proposés de façon indépendante. Ils représentent les états de l’avant et de l’après roman.

Que pouvez-vous dire des relations existant entre les textes de ce recueil et Ça raconte Sarah?

Maison-tanière est pour moi la doublure de mon roman, vraiment dans le sens vestimentaire du terme. Il y a énormément de passerelles qu’on peut lire en creux entre les textes. Pendant ces trois semaines dans cette maison, j’étais prise entre ces deux pans. Ils ont en commun la musique, mais aussi l’amour manquant, la solitude, l’absence des êtres chers.

Dans vos poèmes, vous vous autorisez avec espièglerie tous les registres de langue: « ça fout le vertige / à fond les ballons » ou « rôtis au soleil couillon »…

J’adore ça, même si les poètes puristes de la langue trouveraient à y redire (rires). J’aime puiser dans le trivial, dans l’ordinaire, voire dans le mauvais goût, et y trouver quand même une forme de beauté.

En ça, vous répondez aux objectifs de la collection L’Iconopop, qui cherche à rendre la poésie plus accessible. Est-ce important de se débarrasser d’un élitisme parfois lié à ce genre littéraire?

Alexandre Bord m’a envoyé les parutions précédentes et m’a expliqué en détail leur démarche d’ouverture et ça m’a vraiment intéressée. Moi qui ai aussi pour mission de faire lire les jeunes, j’ai constaté que rien que les couvertures des livres de poésie – parce qu’elles sont ultrasobres ou font « ancien » – peuvent les décourager, alors que les textes pourraient plaire. En mettant juste des poèmes aux murs, ils aiment! Je suis pour qu’on publie de la poésie sur les réseaux sociaux, qu’on la mette en voix, qu’on essaie à toute force de la propager.

En mots et en notes

Avec la chanteuse Maissiat ( Tropiques, Grand Amour), déjà complice de lectures musicales pour Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard a recréé pour la scène le cocon de cette maison génératrice de poèmes. Au gré des minutes, c’est un lumineux pas de deux qui s’esquisse entre les textes, lus par l’une et/ou l’autre, et les morceaux, tantôt piochés dans le recueil, tantôt chez la musicienne. Une expérience visible sur la chaîne YouTube de la Maison de la poésie de Paris, tout comme la carte blanche aux Midis de la poésie, en collaboration avec le Centre Wallonie-Bruxelles, à laquelle participe la jeune autrice – un programme en trois parties, table ronde, lectures avec le violoncelliste Gaspar Claus et performances autour de textes sous l’intitulé Luttes, lettres et forces.

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