Poelaert menacé, Poelaert plébiscité

Le Palais de Justice de Bruxelles se vide de sa substance. L’Etat est trop pauvre pour l’entretenir. Et pour ses dirigeants, l’efficacité prime sur le symbole, majestueux, du troisième pouvoir.

Sans doute préoccupée par sa survie immédiate, la Belgique politique n’accorde qu’une attention distraite au mastodonte qui domine les Marolles, à Bruxelles. Mardi, pourtant, plusieurs centaines de robes noires – avocats et magistrats – se sont accrochés à ses basques pour crier leur attachement à cette démesure architecturale inaugurée sous Léopold II (1883). C’est l’ordre français du barreau des avocats de Bruxelles qui a pris la tête de la fronde, mais la plupart des bâtonniers du pays, flamands, francophones et germanophones, rejoints par une cohorte de personnalités, ont adopté le manifeste :  » Sauvons le Palais de Justice ! « 

L’actuel ministre de la Justice, Stefaan De Clerck (CD&V), veut poursuivre l’essaimage des juridictions sur le  » campus Poelaert « . A l’exception du palais Mérode, tous les bâtiments allant du rond-point Louise à la balustrade qui surplombe l’un des plus beaux paysages bruxellois, n’abritent plus que des services judiciaires. La Régie des bâtiments (sous la tutelle du ministre des Finances, Didier Reynders, MR) est prête à se ruer sur l’immeuble Vivaqua, rue aux Laines, si celui-ci se libère. Même le tribunal du commerce, qui avait été exilé à deux kilomètres, rue de la Régence, est en passe de revenir s’installer dans le building du coin du boulevard de Waterloo. Sa façade, quelconque, va être reconstruite à l’identique. Ce qui, en soi, met déjà en rage les amateurs de beau. Mais vouloir toucher à la majesté et à la destination première du Poelaert a été ressenti comme un pas de trop dans la désagrégation symbolique de la justice.

Le 7 mai, le ministre avait évoqué mystérieusement  » le réagencement du paysage judiciaire  » ou le  » dernier accord politique du gouvernement démissionnaire  » comme des  » éléments nouveaux  » devant inspirer la redistribution des lieux judiciaires. Certains y ont vu l’ombre d’une scission de la justice et, à coup sûr, du désintérêt pour l’une des fonctions essentielles de la démocratie.  » Le Parlement, lui, a été modernisé à temps et heure. Et personne ne trouve le palais royal trop lourd à entretenir… « , relèvent avocats et magistrats – et non des moindres.

Des commerces sous la coupole ?

Le West-Flandrien a aussi proposé de lancer un concours d’idées à l’échelle européenne pour trouver de nouvelles destinations (commerces, musée, bureaux ?) au temple de Thémis. Pour autant, bien sûr, que les activités restantes (cassation, cour d’appel et parquets y afférents, chambres correctionnelles, du conseil et des mises en accusation – ce que le jargon administratif nomme la  » chaîne pénale « ), soit 50 % des anciennes fonctions, trouvent à se loger ailleurs ou s’accommodent d’une occupation mixte…

Couvert par le gouvernement, le binôme Régie des bâtiments-SPF Justice veut tenir bon face à la grogne de la communauté judiciaire. Les juridictions de Liège et de Mons ont déjà été relogées dans des immeubles plus fonctionnels, délaissant en tout ou en partie leurs emplacements historiques. Le Palais de Justice de la place Poelaert, trop énergivore, d’une conception absurde, inconfortable et peu sécurisé nécessiterait de tels investissements que les comptables des deniers de l’Etat ont décidé de n’y laisser, à court terme, que le strict nécessaire : cassation, cour d’appel et parquets généraux. Curieusement, la  » chaîne pénale  » – touchée par quelques évasions à fort retentissement médiatique – demeurerait au palais Poelaert, équipé récemment de caméras de surveillance. La rançon de décennies de désinvestissement.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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