Pièges à gogo

Myriam Leroy
Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

Hoax : sous cette appellation obscure se cachent les canulars électroniques qui envahissent désormais nos téléphones portables, après avoir empoisonné l’ensemble du réseau Internet. La contamination a donné des idées aux publicitaires. Bonjour la rumeur, l’intox et le bidonnage

Une rubrique de Vincent Genot

e-mail : vincent.genot@levif.be

Reçu il y a quelques semaines sur nos écrans :  » ***MESSAGE GRATUIT*** Grande promo Proximus, Mobistar et Base de l’été. Envoyez ce SMS à 12 personnes et vous bénéficierez de 650 SMS gratuits pendant 6 mois.  » Et des milliers de Belges de transférer l’information à tout leur répertoire. Une aubaine… pour quelques euros à peine, c’est toute une manne providentielle qui s’abattrait sur les téléphones portables.

Bien sûr, cette promotion n’a jamais existé : c’est un hoax, autrement dit, une blague, un canular. Répandu comme une traînée de poudre par l’appât du gain. Plus récent encore : peu après les attentats de Londres, en juillet dernier, Rome a été la proie d’une véritable psychose propagée elle aussi via SMS : l’eau de la ville aurait été empoisonnée par des terroristes. Faux, évidemment, et démenti par les autorités compétentes, mais, en deux jours à peine, la rumeur avait atteint toute la mégapole, poussée par la peur et le sentiment d’urgence.

Etrange phénomène que celui des hoax, qui courent, qui courent, qui font des petits et se multiplient à l’infini, rarement relayés par les médias  » classiques  » et se développant en underground, planqués dans les réseaux parallèles.

 » Le hoax emblématique, c’est celui sur Rachel Arlington « , explique Joël Bajot, assistant en communication à l’ULB, et traqueur d’hoax, dans l’ombre.  » C’est une petite fille atteinte d’un cancer du cerveau qui nous envoie son histoire par e-mail, à qui AOL verserait quelques centimes à chaque transfert de son témoignage. Seulement, la pauvre Rachel existe depuis 1998, et elle a toujours le même âge ! Parfois, elle change même de nom !  »

Bidon, bien entendu, mais des histoires comme celle de Rachel Arlington, on en reçoit tous les jours. Il faut dire que l’émotion cartonne, en termes d’hoax.  » On appelle ça du glurge (terme américain désignant le bruit que fait quelqu’un qui vomit). Ces messages sont tellement pleins de bons sentiments, de miel que, finalement, ça fait vomir. Mais ça marche.  »

Joël Bajot fait partie de l’équipe de chasseurs de canulars du site français http://www.hoaxbuster.com, visité chaque jour par 10 000 internautes. Ce site a pour mission principale de répertorier après enquête tous les hoax qui circulent sur le réseau et d’aider les internautes à éviter ces pièges à gogo. Des pièges parfois très subtils.

 » Il y a quelques années, je me suis fait avoir par une fausse alerte au virus (un  »virhoax »), et je n’ai vraiment pas aimé. Je me suis dit qu’on ne m’y reprendrait plus, et j’ai commencé à me documenter sur le sujet. De fil en aiguille, je suis devenu un spécialiste des hoax, et surtout des virhoax « , raconte Joël Bajot.

Car il y a à boire et à manger dans les messages bidon : fausses chaînes de solidarité, fausses promesses, faux virus, fausses pétitions… Mais ils fonctionnent généralement tous sur le même principe : la fameuse et ancestrale chaîne pyramidale. Je reçois un message qui me prie de le transmettre à mon tour à x individus, de manière que sa propagation s’accroisse de façon exponentielle tant que le processus se poursuit. Simple, mais terriblement efficace, à tel point qu’un message peut faire le tour du monde en quelques heures. Voyez plutôt : si chacun envoie sa missive à dix correspondants, au 10e niveau, ce sont plus de 10 milliards de messages qui auront théoriquement transité, soit davantage que le nombre d’habitants sur terre.

Il paraît que le dépeceur de Mons sévit dans les parkings de cinémas bruxellois, déguisé en petite vieille ; que des gangs urbains rôdent dans les gares de Liège, Namur ou Ottignies (c’est selon), menaçant les jeunes filles de leur élargir le sourire au cutter ; que des sièges de cinémas (encore eux !) sont infestés d’aiguilles contaminées par le virus du sida, etc. Ces (fausses) rumeurs ont traversé notre pays, par le biais de ces chaînes d’e-mails. Même démenties, elles sont coriaces, car elles savent se renouveler, et toujours fasciner. La rumeur des aiguilles piquées dans les sièges ne serait d’ailleurs qu’une resucée d’une légende urbaine du début du siècle dernier, affirmant que des aiguilles empoisonnées étaient dissimulées dans des fiacres et des tramways.

Le but des auteurs de ces canulars ? Le message part quelquefois d’une bonne intention.  » Dans le cas de personnes disparues, les proches font circuler l’info, et celle-ci devient très vite incontrôlable, souligne Joël Bajot. Mais, en général, il s’agit de petits malins qui font ça pour rigoler, pour voir jusqu’où ira leur blague. Certains hoax sont destinés à attenter à l’image d’une personne ou d’une entreprise (des complexes cinématographiques, par exemple !), ou à collecter des adresses e-mails, qu’il est possible de revendre très cher. Et enfin, aujourd’hui, ces envois d’e-mails sont souvent une technique de marketing viral.  »

Les publicitaires ont effectivement compris qu’ils pouvaient allègrement s’inspirer des hoax : tenaces, faciles et rapides à propager, pas chers, colportés par le consommateur lui-même…

Ce marketing est appelé viral (ou Buzz Marketing, chez les Anglo-Saxons) parce que, comme une bonne grippe, le message publicitaire passe de personne en personne, et contamine tout le monde en moins de deux. En pratique, il s’agit de publicité déguisée, de rumeurs créées de toutes pièces par des firmes de communication. La plus spectaculaire à ce jour est la campagne  » Transatlantys « , à voir sur www.transatlantys.com. Elle présente le projet de construction d’un tunnel sous l’océan, où circulerait un train qui permettrait de relier Paris et New York en huit heures ! A grand renfort d’historiques, de témoignages et d’interviews bidon, du restaurateur à l’architecte d’intérieur fictif, le site, plus vrai que nature, a de quoi en berner plus d’un. Mais bientôt, une bannière s’affiche sur l’écran : en réalité, il s’agit d’une publicité pour les chemins de fer français. Plutôt gentillet. Toutefois, d’autres publicitaires se cachent bien plus. Joël Bajot évoque une publicité particulièrement grivoise qui circule sur la Toile, pour une marque de chaussures de sport :  » Une jeune fille est agenouillée devant un homme, et tous deux sont chaussés de X. Ça a créé un choc et tout le monde s’est envoyé cette image. La marque nie cette campagne, mais rien ne permet de prouver que ça vient d’elle ou pas. L’important, c’est qu’on en parle.  »

 » Pour qu’une campagne de ce type fonctionne, il faut toujours être à la limite entre le politiquement correct et l’illégal « , assène Cédric Rainotte, cofondateur de Barnes & Richardson, une agence de marketing viral basée à Rixensart.

Son slogan :  » We make rumours come true.  » Une de ses trouvailles parmi d’autres :  » On a fait une campagne pour Windows XP. On a créé une rumeur selon laquelle il y avait une faille dans la sécurité de leur site, qui permettait d’accéder à une page secrète. On a balancé la rumeur sur des forums, des blogs… « . Il y avait bien une page spéciale, mais pas secrète pour un sou, bien entendu. Néanmoins, le concept a séduit… Il faut dire que, chez Barnes & Richardson, la mécanique est bien huilée.  » On a une plate-forme d’envoi d’e-mails, qui nous permet également de les tracer, de voir qui les a ouverts et qui les a renvoyés. On peut alors faire du sneezer extract, c’est-à-dire sélectionner les personnes les plus réactives.  » Et leur envoyer en premier lieu les campagnes suivantes.  » On est traqué de A à Z !  » sourit Cédric Rainotte.

Bref, le marketing viral est partout, tout le temps, insidieux, caché, et personne n’y échappe. Même l’équipe d’hoaxbuster.com a parfois bien du mal à distinguer le vrai (!) canular du faux. Joël Bajot soupire :  » Des gens envoient des rumeurs créées par des publicitaires sur notre forum, au lieu de nous les envoyer personnellement pour qu’on puisse enquêter. J’ai l’impression que certains veulent nous transformer en chambre d’écho.  »

Aujourd’hui, le marketing viral a atteint une telle popularité qu’il est pratiquement devenu la norme. Il est peut-être alors en train de vivre ses dernières heures.

Myriam Leroy

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