Photovoltaïque : quel gâchis !

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La communication désastreuse du gouvernement wallon a enterré le secteur photovoltaïque en six mois. Dans cet essorage, les rares survivants attendent le plan Qualiwatt, reporté à janvier 2014. Mais la confiance est rompue.

« Quand on parle de primes garanties par la Région wallonne, nos clients rigolent.  » Pas une once d’ironie derrière cette remarque commune aux rescapés du naufrage photovoltaïque. Amers, ils savent que leur radeau de sauvetage peut à tout moment prendre l’eau. Depuis l’explosion de la  » bulle photovoltaïque  » – un surcoût non digéré de certificats verts de 2,5 milliards d’euros – , les effets d’annonce successifs du gouvernement wallon ont plombé la crédibilité du secteur. Au point d’occulter les avantages du mécanisme d’aide transitoire instauré depuis avril dernier.

Six mois auront suffi à anéantir la solidité d’emplois que la Wallonie vantait comme étant  » locaux  » et  » durables « . Certains ont fait faillite, d’autres ont recentré par dépit leurs activités vers des filières plus stables.  » Des 2 450 personnes travaillant dans la pose de panneaux en 2012, il n’en restera plus que 770 en fin d’année à politique inchangée, estime Philippe Delaisse, secrétaire général d’Energie Facteur 4, facilitateur photovoltaïque de la Région wallonne. Le manque d’unité du gouvernement a porté un coup très important à notre économie.  » Et ces chiffres n’intègrent pas l’ouragan qui a sévi dans les professions dérivées, notamment parmi les commerciaux.

Dans les carnets de commande, le contraste est saisissant. Jusque fin 2012, les effets d’aubaine dus aux changements de législation contribuaient à doper l’ensemble du marché photovoltaïque.  » J’ai vendu 320 installations en novembre 2011, se rappelle Pol Gaspard, responsable d’Ardenne Énergie. Depuis mars, nous n’avons conclu qu’une vingtaine de ventes. Et dès qu’un client se présente, les sociétés concurrentes bradent leurs prix de manière irrationnelle.  » Même constat pour la société Heylen, basée à Sambreville.  » Nous avons recentré nos activités dans la construction générale, commente Boris Heylen. En ce moment, nous achetons du matériel vendu aux enchères par des sociétés photovoltaïques en faillite. J’ai hâte de m’expliquer avec Jean-Marc Nollet : il a tué notre secteur.  »

Délocalisations vers le Luxembourg

Le ministre de l’Énergie (Ecolo), lui, reconnaît à demi-mot les fautes du gouvernement wallon.  » Nous en portons une partie de la responsabilité, je ne suis pas le dernier à l’admettre « , a-t-il glissé à Namur lors d’un débat organisé au salon Énergie et Habitat. Tous les observateurs avisés s’accordent sur un point : le marché photovoltaïque de l’année 2012 ne reflétait absolument pas le potentiel réel de la filière. Mais rien ne laissait pour autant présager une telle traversée du désert en 2013. Pour survivre, les acteurs les plus solides montent donc malgré eux des alternatives plus avantageuses. Certains délocalisent une partie de leurs activités vers le Luxembourg pour garder la tête hors de l’eau.

Après la débâcle des certificats verts du mécanisme Solwatt, le secteur attend avec impatience Qualiwatt et son régime de primes annuelles octroyées via les gestionnaires de réseau de distribution (GRD). Celles-ci visent à assurer un retour moyen sur investissement en huit ans. Les professionnels espéraient une entrée en vigueur au 1er novembre. Mais la réunion planifiée le 19 novembre à ce sujet en présence de Jean-Marc Nollet est finalement reportée à une date ultérieure. Le plan Qualiwatt, actuellement devant le Conseil d’État, est désormais annoncé pour janvier 2014.  » Malheureusement, le temps presse, indique David Germani, directeur de RBF, la plateforme de l’industrie des énergies renouvelables. Beaucoup d’acquis ont été détruits par la médiocre communication du gouvernement. Le secteur photovoltaïque a besoin d’un cadre clair de toute urgence.  »

Pas question, toutefois, d’annoncer dès aujourd’hui les critères précis de Qualiwatt. Les multiples dérives émanant des derniers messages contradictoires incitent le cabinet Nollet à marcher sur des oeufs. Seule certitude : Qualiwatt mise sur un objectif annuel de 12 000 installations photovoltaïques supplémentaires pour les particuliers.  » Nous n’y serons pas en 2014, tempère Francis Carnoy, directeur général de la Confédération construction wallonne. Mais on espère atteindre ce rythme de croisière l’année suivante.  » D’après Jean-Marc Nollet, un tel marché offre un potentiel de 1 000 à 1 500 équivalents temps plein, sans prendre en compte l’emploi indirect. Ces chiffres restent toutefois bien inférieurs au niveau connu en 2012.  » Ce qui importe, c’est qu’ils soient durables, rétorque le cabinet du ministre. Nous ne voulons plus d’emplois éphémères créés à partir d’effets d’aubaine.  »

 » Qualiwatt ? Une boîte vide  »

Curieuse façon de se dédouaner, ripostent les professionnels concernés.  » Dans notre entreprise, nous avons donné du travail à des dizaines de jeunes, nous avons investi dans leur formation. Aujourd’hui, la plupart ont dû retourner au chômage. C’est un gâchis invraisemblable ! « , fulmine Pol Gaspard. L’entrepreneur n’attend aucun miracle de Qualiwatt, si ce n’est de pouvoir, enfin, énoncer des règles à ses clients.  » Pour le moment, c’est juste une grosse boîte vide annonçant un mécanisme de prime soi-disant plus simple. Or, nous devons rentrer des dossiers de 20 pages pour avoir le droit d’y prétendre. Sur le plan commercial, c’est une catastrophe.  »

Malgré cette profonde rupture de confiance, la perspective d’une politique nouvelle amorce la lente résurrection du secteur.  » Nous comptons lancer de nouvelles campagnes de communication optimistes « , annonce Francis Carnoy. La révolution du photovoltaïque n’en serait par ailleurs qu’à ses débuts, selon Philippe Delaisse. À terme, le marché devra toutefois se passer de tout soutien public.  » Qualiwatt, sous l’angle de la prime, devrait disparaître en 2017 ou 2018. C’est la meilleure manière d’entretenir la concurrence d’une filière solide.  »

Vu le marasme actuel, cette perspective ne constitue qu’un idéal lointain. Le secteur devra repartir de zéro.

Christophe Leroy

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