Thierry Bodson, président de la FGTB. © getty images

« Peut-on parler de liberté quand les gens cumulent les jobs pour vivre? »

Pour Thierry Bodson, le président de la FGTB, le plaidoyer pour le salariat ne doit pas concerner que les coursiers des plateformes, mais aussi d’autres métiers exposés à la concurrence d’un modèle tirant statuts et salaires vers le bas.

Le statut de salarié pour les travailleurs des plateformes: une évidence?

Pour nous, c’est indiscutable. Ils doivent avoir un statut de salarié et toute la protection sociale qui y est liée. En effet, il existe un lien de subordination évident avec la plateforme en question. Les travailleurs n’ont pas ou peu de liberté d’organiser leur travail. Ils sont évalués par l’application. Un algorithme circonscrira souvent les conditions d’exercice du travail, et ni le travailleur ni le représentant n’a de vue sur son fonctionnement, parfois très arbitraire. Il y a un manque de respect des règles en matière de santé et de sécurité des travailleurs. Et il faut travailler de longues heures pour arriver à un semblant de salaire.

Y a-t-il d’autres problèmes sous-jacents?

D’un point de vue plus global, cette « plateformisation » détruit et dilate tant la notion de lieu que de temps de travail. Cela met à mal le rôle de socialisation du travail et agrandit l’isolement de travailleurs toujours davantage livrés à eux-mêmes. Ce phénomène comporte également des risques pour l’activité syndicale, puisqu’il n’existe plus un lieu de rencontre pour les travailleurs et leurs représentants. Ce type de boulot fait par ailleurs les beaux jours du travail non déclaré puisqu’il s’agit, malheureusement, d’une des seules portes d’entrée dans le monde professionnel pour des sans-papiers. Enfin, ce modèle contribue à orienter encore davantage la richesse vers le capital, et non vers les travailleurs.

On voit aussi nau0026#xEE;tre une concurrence entre des travailleurs de pays diffu0026#xE9;rents, que l’on n’avait jamais vue dans l’histoire socio-u0026#xE9;conomique.

Il est souvent question du statut des coursiers, mais d’autres travailleurs sont concernés…

L’ enjeu concerne en effet d’autres fonctions que celles auxquelles on pense d’emblée. Que ce soient des services informatiques, de traduction ou proches de la comptabilité, on travaille de plus en plus au travers des plateformes. On voit naître une concurrence entre des travailleurs de pays différents, que l’on n’avait, je pense, jamais vue dans l’histoire socio-économique. Pour certains métiers, c’est à un niveau quasi planétaire. Non seulement on tire les statuts vers le bas, mais aussi les salaires. Cette mise en concurrence n’est pas acceptable.

Entre le statut d’indépendant et de salarié, faut-il en concevoir un troisième pour ces plateformes-là, vu leurs spécificités?

Aller vers un troisième statut, il n’en est pas question. Très certainement, il serait moins intéressant pour les travailleurs concernés et risquerait d’être la solution utilisée systématiquement. Il est vrai que le salariat sera peut-être plus difficile pour certains métiers ou secteurs, mais on ne peut pas risquer d’ouvrir cette troisième voie. D’autant qu’après la césure que l’on a connue entre cols blancs et cols bleus, une nouvelle apparaît, entre ceux qui peuvent ou non télétravailler. Si l’on rajoute de la difficulté à cette complexité, ce sera ingérable pour les partenaires sociaux. Notamment dans l’organisation du travail et de notre travail syndical.

Une partie des travailleurs concernés conçoivent cette activité comme un complément de revenus, ce qui semble peu compatible avec le principe du salariat…

J’entends bien, mais peut-on parler de liberté quand les gens doivent cumuler deux ou trois jobs pour pouvoir vivre? Il est vrai qu’un gros quart des travailleurs dans ce pays ont un emploi à temps partiel, souvent parce qu’ils y sont contraints. D’autres ont un salaire se situant aux alentours des dix à douze euros de l’heure, ce qui s’avère insuffisant, ou presque, pour vivre correctement. Ces personnes n’ont alors d’autre choix que de trouver un complément de revenus. Mais je ne peux pas accepter ce raisonnement-là, puisqu’il renforce l’échec existant.

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