PÉKIN DANS L’OMBRE DE PYONGYANG

Mêlant l’apocalypse et un scénario de James Bond, la Corée du Nord continue de faire peur au monde entier. C’est son axe stratégique principal et la définition existentielle du régime qui la dirige depuis 1948 ; en quelque sorte, sa raison d’être. La  » polycratie monolithique  » – il faut en effet faire preuve d’une grande créativité sémantique pour qualifier ce type de pouvoir qui maintient imperturbablement la population au bord de la famine tout en s’autoliquidant entre factions – a fait de la terreur sa marque de fabrique. Or, pour rester crédible (si l’on puit dire), cette ligne démoniaque nécessite une gradation continue. En procédant à un tir de fusée, le dimanche 7 février, perçu par les spécialistes comme un test de missile balistique (d’une portée possible, mais non avérée, de 10 000 kilomètres), Pyongyang a de nouveau frappé un grand coup, lequel succède à son quatrième essai nucléaire, effectué le 6 janvier dernier. Curieusement, les essais nucléaires et les tirs de missiles à longue portée sont toujours étroitement associés… Mais, qu’on se rassure, officiellement, la RPDC (République populaire démocratique de Corée) n’a fait que procéder à un essai dans le cadre d’un programme spatial  » pacifique  » ; bref, il s’agirait d’un satellite conventionnel d’observation de la Terre, qui a néanmoins survolé l’archipel japonais d’Okinawa en provoquant la colère de Tokyo.

On ne peut pas se contenter de voir dans cette énième tentative balistique une intimidation de plus. Car le contexte régional se dégrade au prix d’une tension de plus en plus vive ; la mer de Chine devient une des zones de risque les plus exposées du monde. D’une part, les démonstrations de la RPDC interviennent à quelques semaines des manoeuvres militaires Key Resolve et Foal Eagle, prévues entre les forces américaines et sud-coréennes. D’autre part, et surtout, la Corée du Sud, qui s’estime légitimement menacée, a décidé de l’installation sur son sol du système de défense antimissiles américain THAAD (Terminal High Altitude Area Defense). Or, ce projet irrite au plus haut point la Chine, qui ne cesse de protester auprès de Séoul, car le système THAAD réduirait aussi à néant les capacités stratégiques de Pékin, mettant ainsi à mal sa domination régionale. C’est là l’initiative énergique de la présidente sud-coréenne, au pouvoir depuis le début de 2013, qui incarne un très net changement de cap. Mme Park Geun-hye répond à chaque agression de Pyongyang par une vive contre-offensive : elle transmet à son état-major militaire des ordres très fermes et implique bien davantage qu’auparavant l’ONU dans ce dossier brûlant – elle dispose pour cela d’une relation privilégiée avec son compatriote Ban Ki-moon. Pour autant, soucieuse d’une diplomatie efficace, elle a compris qu’il fallait traiter directement avec la Chine – le vrai grand acteur – et que, menace pour menace, Pékin ne pourrait mesurer le prix de son soutien indéfectible à Pyongyang que par la vigueur de la riposte de Séoul.

C’est tout l’enjeu et il dépasse de loin la ligne du 38e parallèle, qui sépare les deux Corées. Dans sa vision délirante, la RPDC a tout intérêt à jouer avec le feu pour donner un sens offensif à son alliance avec la Chine – dont elle dépend en totalité sur le plan économique. Cette stratégie pose de plus en plus de problèmes aux dirigeants de Pékin, qui se trouvent en porte-à-faux avec la doctrine de non-agression qu’ils défendent à l’ONU. Après le tir nord-coréen du 7 février, la diplomatie chinoise a évidemment exprimé ses  » regrets « . Mais ce langage de façade dissimule très mal les propres menées de Pékin en mer de Chine méridionale ; des pistes d’atterrissage sont en cours de construction sur des îlots inhabités sur lesquels d’autres pays de la région estiment avoir une souveraineté. Ce qui place la Chine en confrontation directe avec le Japon, le Vietnam, les Philippines et, par contrecoup, avec les Etats-Unis. Aucune protestation ne semble pouvoir arrêter Pékin dans ses desseins ; exactement comme la Corée du Nord.

par Christian Makarian

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire