Pasionaria ou Cruella ?
Mais pourquoi cette chercheuse aussi brillante que radicale a-t-elle cru bon d’ajouter sa version » belle et bête » au feuilleton DSK ? Même ses proches ont du mal à comprendre.
Paris, tout petit pour ceux qui s’aiment d’un grand amour, devient minuscule une fois la rupture consommée. La scène a pour décor les velours rouges de la Rotonde, la brasserie chic de Montparnasse, le lendemain de la publication par Le Nouvel Observateur des extraits de Belle et Bête, le récit cru de Marcela Iacub sur sa liaison avec DSK. Ignorant le kiosque voisin où son visage s’étale en Une, la » bête « , qui grignoterait bien quelque chose, s’installe à une table quand le patron s’avance, embêté : » Monsieur Strauss-Kahn, je voulais vous dire que Mme Iacub boit un café en terrasse… » Mécaniquement, DSK se lève, quitte la scène. Il ira déjeuner ailleurs, ce jour-là. La dame au turban finira tranquillement son café et sa cigarette en guettant le ciel maussade…
L’orage est venu. Et quel orage ! Inconnue du grand public avant la parution de son » roman « , la chercheuse, auteur d’une dizaine d’ouvrages, est passée, le temps d’un scandale littéraire dont la France a le secret, du statut d’intellectuelle subversive à celui de groupie déloyale. Une » Marcela Cartland » avide de notoriété, comme l’ont dit cruellement les avocats de DSK, lors du procès qui a condamné l’essayiste, le 26 février, à 25 000 euros de dommages et intérêts pour » atteinte à l’intimité de la vie privée « .
Butée dans son silence depuis son entretien avec Le Nouvel Obs, Marcela Iacub laisse les autres parler pour elle. Ils décrivent une » bosseuse acharnée « , séduisante, très intelligente et un brin » destroy « . Pour Frédéric Taddéi, qui l’a reçue plusieurs fois sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), » elle est géniale, l’une des figures les plus originales de la pensée française « . Directrice de la rédaction du magazine Causeur, Elisabeth Lévy, qui la connaît un peu, parle d’une » emmerdeuse attachante, imprévisible, malheureuse et drôle « . » Ce règlement de comptes de bonne femme ne ressemble pas à la fille que j’ai rencontrée « , s’étonne la journaliste. D’autres, sous couvert d’anonymat, racontent une femme » sans foi ni loi « , radicale jusqu’à la rupture et dure en affaires. A l’été 2011, sur le point de signer avec Libération pour une chronique hebdomadaire sur la sexualité, l’essayiste négociait ainsi en parallèle avec Le Monde des livres. Le supplément littéraire avait refusé de s’aligner sur ses exigences financières. » Marcela est plus proche d’Hannah Arendt que de Tristane Banon. Elle n’est pas une opportuniste, mais vit sa vie comme un roman, plaide son ami de plus de vingt ans, l’éditeur et écrivain argentin Roberto Mero. Je pense qu’elle s’est laissé emporter par son sujet, qu’elle s’est pris les doigts dans la prise et qu’elle le regrette. »
Elle exècre la vieille garde féministe et les bons sentiments
A l’époque de leur rencontre, en 1989, Marcela avait 25 ans et vivait sans perroquet, sans chien et sans cochon à la Cité universitaire de Paris. Coiffée d’un turban – déjà – à la Eleanor Roosevelt, fraîchement diplômée du barreau de Buenos Aires, la juriste, fille d’un avocat et d’une femme d’affaires, dévorait Freud, Sade, Foucault et Bourdieu (qu’elle a rencontré) en exhalant théâtralement la fumée de sa cigarette. » C’était une étudiante brillante, astucieuse, très autonome, un peu vamp mais sans vanité, se souvient Me Antoine Lyon-Caen, qui fut son directeur de thèse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Son déconstructionnisme est sincère : pour elle, le droit est une série d’artifices qu’il convient de remettre en question. » Caroline Mécary, qui a publié avec elle un ouvrage sur la famille, confirme : » Elle aime penser là où les autres n’ont pas encore pensé. »
Quitte à se perdre un peu et à agacer… Marquée par la dictature militaire en Argentine, la disciple de l’historien du droit Yan Thomas (1943-2008), mariée et divorcée deux fois, rêve d’une démocratie radicale où chacun déciderait de sa sexualité. » Le corps est toujours dans le commerce, dans le cercle des échanges marchands « , écrit-elle. Marcela Iacub défend la pornographie, la maternité à 60 ans, la prostitution, exècre la vieille garde féministe et les bons sentiments. Son accent roucoulant mêlé à son goût de la bataille et des diagonales kamikazes font merveille dans les dîners en ville – où elle copine avec Catherine Millet et Catherine Robbe-Grillet – et sur les plateaux de télévision. » Certains invités refusent de venir lorsqu’ils apprennent sa présence ! » s’amuse Taddéi. Le charme opère moins à l’écrit. » Il faut un peu retravailler ses textes « , confie l’un de ses anciens éditeurs. Ses démonstrations brumeuses peuvent égarer le lecteur. Sa mécanique de la provocation tourne parfois à vide, comme dans Une société de violeurs ? (Fayard), où elle érige DSK en victime d’une erreur judiciaire et d’un féminisme punitif.
Belle et Bête s’inscrit dans cette logique jusqu’au-boutiste, l’auto-fiction et le trash en plus. La juriste y affirme mordicus que » la femme de chambre » n’a pas été violée. Elle dépeint DSK en Hannibal Lecter du VIe arrondissement, friand de tartare d’oreille et de jus de mascara. Elle se montre également d’une cruauté renversante envers Anne Sinclair, décrite en mémère à caniche utilisant son mari comme un phallus afin d' » assouvir ses ambitions personnelles « . En passant, l’auteur, qui se compare à une sainte, précise bien peu charitablement que l’épouse de son amant a » plus ou moins » l’âge d’être sa mère (plutôt moins, en fait : les deux femmes ont seize ans d’écart). L’ancienne animatrice de 7 sur 7, qui a apprécié, a failli attaquer. Au lendemain de la parution du Nouvel Obs, elle retrouvait DSK dans le cabinet de leur avocat et ami, Me Jean Veil, avant de décider, entre deux conseils demandés par téléphone à son ami l’éditeur Pierre Nora, de ne pas se joindre à la procédure.
Pourquoi la chercheuse respectée s’est-elle abandonnée à un tel déballage ? Ses proches se disent consternés. L’intéressée elle-même semble danser le tango depuis quelques mois. Dans un courriel fiévreux adressé à DSK, le 26 novembre dernier, elle laisse entendre que sa conscience la » tourmente « , qu’elle a été » instrumentalisée « . Par qui ? » Ils « , » eux « , on patauge. Le livre, parfaitement assumé par son auteur dans les colonnes de l’Obs, a fait en tout cas l’objet de plusieurs moutures. » Dans une première version, elle avait enlevé les noms et les lieux. C’était un autre livre et il était mauvais. Je l’ai poussée à faire une version où on reconnaisse davantage celui qui l’avait inspirée « , a confié Jean-Marc Roberts, le patron de Stock, au Monde.
» Elle risque de se trouver très isolée »
DSK, on le sait, s’est parfaitement reconnu et n’a rien pardonné. La sage famille universitaire pourrait témoigner semblable rancune à l’indocile. » Jusqu’ici Iacub avait fondé son aura provocatrice dans la légitimité qui était la sienne parmi les chercheurs. Cette légitimité intellectuelle, à laquelle elle a adossé toute sa présence publique, peut-elle survivre à une opération aussi tordue ? C’est douteux « , estime Jean Birnbaum, rédacteur en chef du Monde des livres. » Marcela a sûrement été influencée par des gens qui lui disaient qu’elle était en train d’écrire un chef-d’oeuvre. J’espère pour elle qu’ils la soutiendront demain, car elle risque de se trouver très isolée « , s’inquiète Elisabeth Lévy. En attendant le jugement sacré des lecteurs, » sainte » Marcela a retrouvé sa chienne Lola et sa vie de recluse tout près de la prison de la Santé. DSK, lui, n’a jamais autant fréquenté sa brasserie préférée.
GÉRALDINE CATALANO
L’éditeur l’a poussée à identifier clairement DSK dans son livre sulfureux
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici