» Pas de fétichisme libéral «
Il ne se sent pas vraiment de droite, se préfère en réformateur plutôt qu’en libéral. Denis Ducarme, député fédéral MR, se veut avant tout un homme de son temps. Une époque où s’enrichir doit cesser d’être honteux, dans une Belgique qui ne se relèvera pas de ses blessures.
Le Vif/L’Express : Etre de droite et décomplexé : n’est-ce pas devenu la norme, aujourd’hui ?
Denis Ducarme : Dire qu’on était de droite dans ce pays était encore mal vu, il y a sept ou huit ans. C’était considéré comme quelque chose de toxique, comme une insulte. Au MR, sous Louis Michel et l’ère du libéralisme social, un libéral qui se serait ouvertement dit de droite et prêt à l’assumer, se serait fait taper sur les doigts.
Comment le vent a-t-il tourné ?
Quand on a osé porter un certain nombre de dossiers sensibles : l’immigration, l’interculturalité. Mon père [NDLR : Daniel Ducarme, président du MR, décédé en 2010] a contribué à débloquer les choses : c’est lui le premier qui a dit que l’intégration était un échec. On a aussi osé, parce qu’il y avait un appel clair, sensé, de l’opinion. On ne risquait plus de se faire nécessairement taxer de fasciste par cette belle gauche. J’ai été qualifié de droite et j’assume. Mais je n’ai aucune envie de me laisser enfermer dans une étiquette. Sur le plan socio-économique, je ne me sens pas du tout de droite.
Votre président de parti, Charles Michel, aime taper sur le bloc des gauches…
C’est une manière de distinguer le MR de cette coalition de trois partis clairement marqués à gauche [NDLR : PS, CDH, Ecolo]. Cela simplifie.
N’est-ce pas se dire de gauche qui devient plus difficile à assumer ? Un peu comme » une maladie honteuse » que l’on porterait…
Beaucoup de gens assument toujours le fait de se dire de gauche. Pour le côté romantique, Mai 68… Gauche et bobo, c’est toujours bien vu. Mais je me reconnais mieux dans un clivage » réformateur- conservateur » que dans le clivage » gauche-droite « .
On peut être réformateur et de gauche ?
J’en connais. Sur le chantier de la séparation entre l’Etat et l’Eglise, par exemple, face au virage communautariste pris par le PS à Bruxelles.
Etre de droite, c’est s’en prendre à la fraude sociale. Etre de gauche, c’est dénoncer la fraude fiscale : une bonne distinction ?
Là, on est dans le symbole. Cela fait partie du show politique.
Pourquoi pas un parti francophone qui s’affiche explicitement libéral ?
Réintroduire le terme » libéral » dans le nom du parti serait stupide. Le MR aurait tort de s’accrocher avec trop de fétichisme au terme libéral. Ce terme a été tellement sali par la gauche européenne, il y a eu une telle intoxication autour de cette crise » néo-libérale. » Et puis, le Mur est tombé, l’esprit de libre-entreprise a gagné. Je me sens plus réformateur que libéral.
En Flandre, l’Open VLD a bien conservé le L pour » Liberalen « …
Oui, et ils sont à 13 %… Sans le MR, en restant PRL, nous serions aussi à 13 %. On doit dépasser la seule référence au libéralisme pour construire une véritable alternative au bloc des gauches.
Comment être libéral et solidaire ? Le combat libéral n’a-t-il pas pour vocation de réduire la puissance publique, donc la défense de l’intérêt collectif ?
Je préfère positiver : être libéral, c’est donner aux gens plus de possibilité de s’émanciper, de se libérer, de prendre l’ascenseur social. Si on parle en termes de redistribution des revenus, on ne peut qu’espérer une réduction de la puissance publique : dans un des pays les plus taxés sur le travail, cette puissance publique est une entrave à la liberté et à l’émancipation. Sinon, je suis partisan d’un Etat fort, qui dispose pleinement de pouvoirs régaliens.
Mais qui est devenu impuissant à contrôler les acteurs privés de la finance….
On peut être à droite de l’échiquier politique et réclamer la régulation d’un capitalisme devenu fou. Je suis député du Hainaut : les réformateurs doivent être aux côtés des PME et des indépendants, pas du grand capital. Que le capital rémunère plus que le travail me pose un problème fondamental, en tant que réformateur.
Un Etat doit-il se gérer comme une entreprise ?
Ce n’est pas comparable. Un Etat ne doit pas être à la recherche de profits : être à l’équilibre budgétaire serait déjà une très bonne chose. Et si profits il doit y avoir, ils doivent servir à produire de nouvelles politiques. Mais un enjeu comme celui des pensions devrait pouvoir s’envisager dans une logique d’entreprise, qui s’inscrit dans le moyen ou le long terme. J’entends la critique sur la manière dont les politiques gèrent l’Etat. Je la trouve facile. Si je regarde le nombre de faillites annuelles, je constate que la gouvernance privée n’est pas non plus toujours la plus vertueuse qui soit.
L’immigration doit-elle être un luxe à réserver aux économiquement forts, aux plus rentables pour une société ?
Je suis clairement pour l’immigration choisie. Ce n’est pas parce qu’on tient un discours rigoureux sur l’immigration qu’on s’y oppose. Au contraire : nous devrons accueillir des gens qui apportent, par leur travail, une plus-value à notre société. En revanche, nous ne pouvons pas continuer à inviter sur le territoire national et européen des personnes qui sont de nouvelles charges.
Ethiquement, ce genre de raisonnement ne vous pose aucun problème ?
Aucun. Je ne culpabilise pas, j’assume complètement. Parce que c’est le raisonnement du bon sens. Je pense aussi et d’abord aux Belges : je comprends que ceux qui travaillent acceptent mal d’accueillir des personnes issues de l’immigration qui ne travaillent pas, dans un contexte de difficultés socio-économiques et de chômage élevé.
Il est de bon ton de dénoncer » le règne de l’argent fou « . Faut-il en vouloir aux jeunes de vouloir leur part du gâteau à leur manière, même violente, quand l’exemple ne vient pas d’en haut ?
Question intéressante… Les pays latins entretiennent déjà une telle honte à propos de l’argent et de ceux qui en gagnent que je n’ai pas envie d’en rajouter. J’ai plutôt envie de dire : » Enrichissez-vous le plus possible, légalement, par le travail ! » L’argent, c’est une liberté : je ne peux que souhaiter à tout le monde d’en avoir plus.
Ne peut-on pas s’enrichir par le travail, mais à l’excès ?
On s’extasie sur les transferts de joueurs de foot. Si ces joueurs gagnent autant d’argent, c’est parce qu’il y a une demande pour les voir jouer. Et tant mieux pour eux ! Cela aussi, c’est l’ascenseur social.
Le Vif/L’Express : Et si la Belgique, cet Etat-nation du XIXe siècle, n’avait pas fait son temps, tout simplement ?
Denis Ducarme : Ma réponse très politique serait de dire : ce qui arrive à la Belgique est dramatique, il faut la sauver. Si j’analyse le fond du problème, j’observe qu’aux dernières élections fédérales de juin 2010, 48 % des électeurs flamands ont voté au Sénat pour trois partis qui ont l’indépendance de la Flandre à leur agenda : la N-VA, le Vlaams Belang, la Lijst Dedecker. Près de la moitié d’un peuple commence ainsi à se lever, à revendiquer son indépendance : est-ce nécessairement honteux ou grave ? Non. Un suffrage universel, le choix d’une nation, cela se respecte. Qui sommes-nous, nous francophones, pour dire à la Flandre que nous n’acceptons pas ce fait ? Si la Flandre veut son indépendance, qu’elle la prenne et qu’elle s’en aille ! Qu’elle assume ainsi jusqu’au bout sa logique, en cessant de pourrir la situation comme c’est le cas depuis un an.
Que la Flandre s’en aille, dites-vous. A quelles conditions ?
La solution devra être négociée. Et les Belges ne seront pas seuls à mettre leur grain de sel. Je sens les représentants politiques français très interpellés, conscients que le pays n’a jamais été aussi proche de la partition.
Cette partition serait donc inscrite dans les astres ?
C’est l’objectif de fond de la N-VA, du Vlaams Belang mais aussi de tous les séparatistes flamands au sein des autres partis. Les gens de la N-VA veulent rassembler suffisamment de Flamands pour que l’historien Bart De Wever puisse entrer dans les livres d’Histoire comme celui qui aura mené la Flandre à l’indépendance. Pour eux, c’est le Graal ! Il faut les entendre, ils sont sans complexes. Ils iront au bout de leur chemin et ils n’en démordront pas !
Y a-t-il un nationalisme acceptable ?
Je respecte le nationalisme en tant qu’aspiration d’un peuple à mieux concrétiser son identité via la fondation d’un Etat-nation. Le problème du nationalisme contemporain est qu’il s’accompagne souvent d’un rejet des autres identités : c’est le cas de la N-VA & Co, et leur absence de considération pour les droits des francophones. Avec mon collègue Damien Thiery [NDLR : député-bourgmestre MR non nommé de Linkebeek], nous avons expliqué à la vice-présidente de la Commission européenne le décret » Wonen in eigen streek « , qui limite la liberté d’établissement des non-Flamands dans 69 communes flamandes. J’espère que Viviane Reding portera ce dossier avec la même détermination que celui touchant à la liberté de circulation des Roms. Et que sa grande proximité philosophique et politique avec Herman Van Rompuy [NDLR : président du Conseil européen – CD&V] ne sera pas un frein à la prise en main du dossier par l’Europe…
Les francophones se voilent-ils la face ?
Il faut qu’ils mettent leur romantisme et leur nostalgie en poche. La naïveté d’une partie de l’opinion francophone me dérange encore. Que les francophones ouvrent les yeux : ils ne sauveront pas ce pays tout seuls !
Gouverner, c’est prévoir : au moins le monde politique francophone anticipe-t-il ?
Pas assez. La Fédération Wallonie-Bruxelles est une réponse intéressante, mais qui reste à creuser. Il faut aussi envisager ce que la N-VA voudra nous imposer. Il faut examiner le calcul du coût de la partition, les droits des francophones à assurer, le sort de Bruxelles.
Cette naïveté que vous regrettez, vous la retrouvez encore chez les politiques francophones ?
Parfois. J’entends encore dire : » Allez, ça va aller. » Mais non ! Je suis de ceux qui pensent que cela n’ira plus ! Je le regrette, mais je constate. Ou alors, que l’on m’explique pourquoi la N-VA est le premier parti de Flandre.
Votre père, Daniel Ducarme, prônait une forme poussée d’association avec la France. Vous reprenez le flambeau ?
Mon père avait un côté visionnaire. Son message adressé à la Flandre était très clair : les francophones ont depuis trop longtemps adopté une position attentiste en faisant tout pour sauver ce pays. Je dis : il faut qu’ils cessent d’avoir peur, y compris d’élections qui pourraient arriver à tout moment. Que les francophones osent dire que l’avenir est possible sans la Flandre, puisqu’elle a mis cette perspective à son agenda politique. Dans ce cas, la piste d’une coopération, d’une collaboration avec la France irait de soi, vu le partage de la langue.
Donnez-vous raison à Olivier Maingain, le président du FDF : la N-VA est un danger ?
Je ne partage pas tout à fait son analyse. La N-VA, danger pour la démocratie ? Je ne sais pas. Danger pour la Belgique et les droits des francophones ? Certainement. Je partage en revanche ce qui est l’intime conviction d’Olivier Maingain : les gens de la N-VA se sentent très bien dans le pourrissement de la situation. Cette période leur permet de continuer à faire leur promo en Flandre. Regardons-les, tels qu’ils sont : partisans de la fin de la Belgique, très proches du Vlaams Belang dans certains dossiers. Vigilance.
Charles Michel et Olivier Maingain se sont bien pris la tête. Garder le FDF au MR ne semble plus tomber sous le sens…
Il faut que tout le monde joue le jeu au MR. Ce genre de tensions n’est plus admissible. Charles Michel l’a compris quand il utilise son esprit de meute pour refaire l’unité et recréer une dynamique positive. Didier Reynders et certains au FDF le savent aussi. Le MR sort de convalescence.
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE HAVAUX
» La Flandre indépendante, c’est le Graal de la N-VA «
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