Papa est mon cousin

En Grande-Bretagne, sur les 3 % d’enfants nés dans des communautés pakistanaises, on compterait jusqu’à 30 % de maladies génétiques suite à un mariage consanguin. En Belgique, de telles épousailles ne sont pas rares. C’est grave, docteur ?

Appelons-la Hatice. Elle est turque, elle vit en région liégeoise et elle s’inquiète : cet été, elle épousera un cousin éloigné. Leurs futurs enfants seront-ils handicapés ? Pendant longtemps, dans nos sociétés, les mariages consanguins n’étaient ni banals ni décriés. Actuellement, ces unions concernent principalement les populations immigrées et on les juge souvent durement. Chez nous, une enquête, réalisée en 1995 par Sami Zemi auprès de 3 000 personnes d’origine turque ou marocaine âgées de 19 à 35 ans, avait révélé ces chiffres : parmi les Turcs, 25 % d’alliances se contractaient entre cousins (46 % si l’on tenait compte du cadre familial élargi) et, chez les Marocains, leur nombre s’élevait à 15 %. Ces couples s’exposent, davantage que les autres, au risque de transmettre des maladies génétiques à leurs enfants. Faut-il pour autant les stigmatiser ?

Des scientifiques britanniques se sont récemment penchés sur le cas de bébés pakistanais provenant d’une région bien précise. Ces nouveau-nés ne représentaient que 3 % des naissances… mais 30 % des malformations. La cause : des mariages systématiques entre cousins. En Belgique, aucune étude ne semble avoir livré de tels pourcentages. Les Prs Vincent Bours, chef du service de génétique au CHU de Liège et Marc Abramowicz, chef du service de génétique à l’hôpital Erasme, à Bruxelles, avancent tous deux une même estimation :  » Dans la population générale, il existe 2 à 3 % de risques de mettre au monde un enfant vivant porteur d’un handicap sérieux. En cas de mariage entre cousins, ce risque global est doublé. Il passe donc à 5 ou 6 %.  » En revanche, quand le bébé est conçu entre un père et sa fille, par exemple, ou entre frère et s£ur, cette probabilité grimpe à environ 30 %, tout comme la survenue de mort f£tale et de fausses couches spontanées. Cette consanguinité très proche se nomme inceste dans la plupart des pays, et elle est interdite.

 » Tout le monde possède un ou des gènes endommagés ou anormaux, en raison de ce que nous appelons une mutation génétique, détaille le Pr Abramowicz. Il est rare que des conjoints présentent une anomalie d’un même gène, mais le mariage intrafamilial augmente cette possibilité. Or, si chacun des parents transmet une anomalie d’un même gène, l’enfant sera atteint d’une des maladies génétiques rares comme, par exemple, la thalassémie, très présente dans certaines régions du Maghreb. « 

Se marier pour faciliter l’immigration

En Belgique, des couples formés entre cousins font régulièrement appel aux spécialistes de l’un des huit centres de conseil génétique. Parfois, la consanguinité lie toutes les générations de leur arbre généalogique. Ils veulent des enfants et cherchent à être rassurés ou à éviter médicalement les problèmes prévisibles.  » Nous pouvons leur dire que les mariages consanguins n’augmentent pas le risque de toutes les maladies génétiques, souligne le Pr Bours. Ainsi, leurs enfants ne sont pas plus touchés que les autres par la trisomie.  » Mais il est difficile de les tranquilliser davantage : il s’avère impossible, notamment pour des raisons financières, de vérifier parmi les 30 000 gènes de chaque partenaire si tous deux possèdent une même mutation. Et pourtant, dans ce cas, le risque de maladie génétique s’élève à 1 grossesse sur 4 (25 %). Ce risque concerne 12 % des couples de cousins germains.

Seule une surveillance accrue de la grossesse peut être envisagée, mais elle ne modifie rien au pronostic…  » Lorsqu’un enfant naît avec une maladie génétique, un dépistage sera proposé, souligne le Pr Abramowicz. Il doit permettre de nommer le syndrome qui touche le bébé et de prédire le risque pour toute future grossesse.  » Si le couple désire, ensuite, un autre enfant, plusieurs voies s’ouvrent à lui. Certains conjoints assument le risque de handicap chez leur progéniture. D’autres optent pour la fécondation in vitro, avec un diagnostic préimplantatoire. Seul un f£tus indemne du gène défaillant sera alors implanté chez la femme. Dernière possibilité : un examen précoce, avant le troisième mois de grossesse, afin de déterminer la présence du gène muté chez l’embryon.  » Si c’est le cas, une interruption médicale de grossesse est proposée « , précise le Dr Abramowicz. Pour tous ces couples, le parcours est long et douloureux…

 » Paradoxalement, en Turquie, le mariage entre cousins issus de germains n’est pas bien vu, remarque Altay Manço, psychologue et directeur de l’Irfam (Institut de recherche, formation et action sur les migrations). On l’appelle même « mariage arabe ». Pourtant, cette pratique reste importante au sein de la population immigrée. Elle correspond peut-être à une stratégie géopolitique : lorsque les visas ne s’obtiennent pas facilement, une union devient le moyen de favoriser une immigration. Parfois aussi, cette union apure la dette envers le membre de la famille qui, resté au pays, s’était occupé des vieux parents. « 

On craint les filles d’ici, trop revendicatrices

En privilégiant un conjoint au sein de sa famille, on recherche aussi des garanties de  » conformité sociale « , parce que, sous le poids des préjugés, on craint les filles d’ici, jugées trop revendicatrices, ou les garçons, rapidement taxés de drogués !  » On estime aussi qu’un cousin ou une cousine sera plus à même de transmettre les traditions communes, complète Altay Manço. Enfin, dans les milieux très pauvres, on ne fait pas forcément de « mariage d’amour ». Faute de stratégie matrimoniale, puisqu’on n’a rien à échanger, on garde, entre soi, les terres ou les biens que l’on possède. » Par ailleurs, il n’est pas exclu que certaines familles, fières de leurs  » bons gènes « , ne voient aucune objection à tenter de les reproduire à l’identique…

 » Une de mes patientes turques a trois enfants, dont deux touchés par une maladie due à la consanguinité, raconte une pharmacienne installée en Région wallonne. Elle refuse d’avoir un autre bébé. Comme d’autres femmes de sa communauté qui ont épousé leur cousin, elle était informée des risques liés à son mariage. Mais le poids de la fatalité a pesé sur elle, comme sur beaucoup d’autres. Certaines me confient, en début de grossesse, leur intention de faire un dépistage génétique, mais elles sont résignées par avance.  » Quelques-unes choisissent l’interruption médicale de grossesse. Les autres prient pour que les dieux de la génétique les protègent…

Pascale Gruber et Marie-Cécile Royen

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