Orsenna, papivore

Courant le monde, l’insatiable académicien narre cette fois l’histoire du papier, inventé par les Chinois un siècle et demi avant notre ère. On le suit volontiers.

Pour qui connaît son petit Orsenna sur le bout du doigt, la recette – une question, un lieu, un personnage – est simple, efficace et gagnante. Tout le monde, en effet, s’y retrouve avec ce triptyque : les assoiffés de connaissances, les friands de géopolitique, les amoureux d’histoires vécues. Après l’avoir étrenné avec le coton et appliqué à l’eau, c’est aujourd’hui au papier qu’il consacre son troisième Petit précis de mondialisation.

Evidemment, l’histoire commence au bout du monde, aux abords des terribles déserts de Takla-Makan et de Gobi. C’est là, dans le nord de l’empire du Milieu, sur la fameuse route de la soie, que fut inventé le papier, un siècle et demi avant Jésus-Christ. Une matière qui convenait à la manie obsessionnelle chinoise de tout chroniquer, commente, amusé, Orsenna. Pour s’en convaincre, il grimpe jusqu’à la grotte de Dunhuang qui renferma dans les années 1 000 des milliers de manuscrits, dispersés au XXe siècle dans le monde entier par les bons soins de quelques admirateurs indélicats.

Les batailles peuvent avoir du bon. Celle de Samarcande, en 751, permit aux Arabes, vainqueurs des Chinois, de découvrir  » cette soupe de fibres qu’on étale puis qu’on assèche « . Conquis à la cause, les Arabes en firent le support privilégié de tous les savoirs et le réceptacle de la parole divine. Une raison suffisante pour être traité d’impie par les Européens et par l’Eglise, fort satisfaite de son parchemin. Mais les murailles finirent par tomber, et le papier parvint à se faufiler au XIIIe siècle sur le continent, par l’Ombrie. C’est à Fabiano, petite localité italienne, que l’on retrouve notre globe-trotteur, rêvant aux 60 moulins qui hier fournissaient en  » farine de l’esprit  » une bonne partie de l’Europe.

Qui s’en souvient ? Avant l’utilisation du bois, en 1830, le chiffon était la principale matière première du papier et la guerre des chiffonniers faisait rage, entraînant une contrebande fructueuse par-delà les frontières. Orsenna peut en témoigner, d’Alsace, archives à l’appui ! Un petit tour en Ardèche, pour admirer la Manufacture royale des Montgolfier, un arrêt à la Bibliothèque nationale de France, où l’attendent les manuscrits de Victor Hugo, de Segalen et de Proust, un détour par Crèvec£ur (Seine-et-Marne), dans l’usine d’Arjowiggins qui produit, sous haute sécurité, le papier-monnaie de quelque 150 banques centrales, et la machine à engranger les kilomètres s’emballe de nouveau !

Direction le Japon, pays de l’origami, où Ichibei Iwano, Trésor vivant, perpétue les gestes millénaires au service des artistes. Puis ce sera le Canada (Trois-Rivières et les 300 millions d’hectares de forêts de la Tuque), la Russie (et les 8 000 ouvriers du combinat de Carélie), la Suède (et sa scierie coopérative), l’Inde (Jaipur et sa fabrique  » ecofriendly «  de boîtes), Sumatra (et sa forêt décimée), le Brésil (l’occasion de réhabiliter l’eucalyptus)à Orsenna affronte les grands froids, les mauvaises odeurs et les irascibles, se passionne pour les emballages, les déchets et le recyclage, s’enflamme, enfin, pour les hautes technologies, ravi de voir l’Europe, dite condamnée, tirer son épingle du jeu dans la course à la modernité de ce secteur qui n’a cessé d’évoluer depuis vingt-deux siècles.

En bon marin, il boucle la boucle. Son plus grand motif de satisfaction ? Que près de 60 % de tous les papiers utilisés aujourd’hui proviennent d’autres papiers, recyclés. Rien ne se perd, tout se transformeà Lavoisier en rougirait de plaisir.

Sur la route du papier. Petit précis de mondialisation III, par Erik Orsenna. Stock, 322 p.

M. P.

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