Opération Hillary 2016

Pour l’instant, elle ne se dévoile pas et se contente de publier ces jours-ci ses Mémoires de diplomate en chef d’Obama. Mais, dans l’ombre, l’épouse de Bill Clinton se prépare pour la prochaine campagne présidentielle. Avec l’aide d’une machine de guerre et du plus puissant des clans démocrates.

Elle a tué, c’est sûr. Volé, sans aucun doute. Elle a escroqué, menti, trompé et comploté avec Bill, dans le seul but d’étancher sa soif cynique de pouvoir. Ses détracteurs lui imputent tous les crimes. Hillary Clinton, qui sera bientôt une grand-mère comblée dès la naissance du premier enfant de sa fille, Chelsea, affiche pourtant des airs de mère poule au côté de son mari, réinventé en vieux sage placide, et ça lui réussit. La prochaine élection présidentielle se tiendra en 2016. Alors qu’elle n’a pas encore annoncé sa candidature, les sondages la placent déjà en tête, loin devant tout concurrent républicain. Il suffit qu’elle revienne un instant dans l’actualité, en l’occurrence afin de promouvoir son prochain livre, ses Mémoires d’ex-ministre des Affaires étrangères de Barack Obama, pour que ce possible prologue à son entrée en campagne attise les haines et les fantasmes de ses adversaires les plus passionnés.

Qu’importe. Une puissante mécanique politique est à l’oeuvre, même si elle évoque parfois aussi une étrange machine à remonter le temps. Hillary, qui depuis son départ du Département d’Etat en 2012, monnaie environ 200 000 dollars ses discours devant le gratin de Goldman Sachs ou les professionnels du recyclage de ferraille, ne peut rencontrer un public sans avoir à répondre, par exemple, à une question sur la mort, en 1993, de son grand ami Vince Foster. Deux enquêtes commanditées à l’époque sous la pression des républicains, ont conclu au suicide, dû à une dépression, de ce proche collaborateur de la Maison-Blanche. Des forums rageurs sur Internet l’accusent, pourtant, toujours d’avoir fomenté son assassinat afin de cacher une torride liaison supposée. Et que dire de Whitewater ? Ce lotissement touristique, dans lequel Bill Clinton et son épouse avaient investi dans les années 1980, reste toujours un objet de conjectures et de théories du complot. Pour tout arranger, Monica Lewinsky revient sous les feux de la rampe. La stagiaire la plus célèbre du monde a maintenant 40 ans, et signe dans le magazine Vanity Fair deux pages de doléances sur sa notoriété involontaire, son humiliation planétaire de 1998 et l’injustice sexiste qui la condamne, elle seule, au ridicule éternel pour une liaison mutuellement consentie avec le président Clinton.

L’irruption de Monica sur la scène médiatique devrait raviver chez l’ex-première dame son crève-coeur vieux de seize ans. Mais par un fascinant retournement, les ennemis d’Hillary lui dénient son statut de victime et imaginent qu’elle trouve son compte dans ce soudain déballage.  » Je me demande si les Clinton n’ont pas tout organisé pour évacuer le souvenir de cette affaire avant le début de la campagne de l’élection présidentielle « , lance Lynne Cheney, idéologue ultraconservatrice et épouse du taciturne vice-président de George W. Bush. A cette image de toute-puissance maléfique s’ajoute même le mythe d’une démence présumée. Karl Rove, stratège roué de la direction du Parti républicain, a fait sensation, le 8 mai, en insinuant qu’Hillary souffrait toujours des séquelles d’un traumatisme crânien dû à une chute lors d’un malaise en 2012. Les spéculations sur la santé de la candidate putative ajoutent une nouvelle ombre aux ambitions d’Hillary, pour qui 2016, l’année de son 69e anniversaire, reste la dernière occasion de briguer la Maison-Blanche. Rove y voit aussi un moyen d’ébranler la statue de Commandeur que s’est érigée la superstar démocrate.

Début 2008, personne ne pouvait imaginer que la Maison-Blanche échapperait alors à Hillary Clinton. Y compris parmi les républicains. Lors d’une étape de campagne, le candidat John McCain avait entendu une électrice désespérée lui demander :  » How do we beat the bitch ?  » ( » Comment battre la salope ? « )… Forte de deux décennies d’expérience à Washington, connue pour sa maîtrise des dossiers et pour le réseau politico-financier sans pareil de son ex-président de mari, Hillary Rodham Clinton, sénateur de l’Etat de New York, ne pouvait qu’emporter la mise. Mais le problème venait de son camp. Les démocrates, peu enthousiasmés par cette candidate  » obligatoire « , incarnation de l’establishment, omniprésente à Washington depuis les années 1990, n’ont eu de cesse de lui trouver une alternative. Ce fut la chance d’un quasi-inconnu, Barack Obama.

 » En 2008, son problème était d’apparaître comme autre chose qu’une froide mécanique  »

L’histoire pourrait-elle se répéter ? L’irruption de Monica Lewinsky et les propos insidieux de Karl Rove révèlent sa vulnérabilité.  » Mais ils l’humanisent aussi aux yeux des électeurs américains, tempère Julian Zelizer, politologue et historien à l’Université de Princeton. En 2008, son plus grand problème était de faire connaître sa personnalité et d’apparaître comme autre chose qu’une froide mécanique.  »

Pas question, cette fois, de reproduire les mêmes erreurs de campagne. La machine politique reste d’une discrétion absolue, réduite pour l’instant à une organisation indépendante,  » Ready for Hillary « . Ce  » Super PAC « , un  » comité d’action politique  » chargé de lever des fonds et de maintenir l’enthousiasme militant, gère depuis ses bureaux d’Arlington (Virginie), dans la banlieue de Washington, un site bourré de tasses à café, de brassières pour bébé, de tee-shirts et de coupes de champagne marquées d’un  » H  » barré d’un chatoyant drapeau américain. Créé par un ancien communicant de la campagne de 2008, Adam Parkhomenko, et étoffé depuis l’été 2013 par quelque 70 embauches, le mouvement n’est, officiellement, qu’un lointain satellite de la planète Clinton, mais il attire déjà quelques collaborations prestigieuses, comme celle de James Carville, artisan de la victoire de Bill en 1992, et celle de Craig Smith, ancien directeur politique à la Maison-Blanche et vieux copain du couple depuis l’Arkansas.  » Ready for Hillary  » n’est encore qu’une coquille vide, mais s’apprête, le moment venu, à devenir le réceptacle des donations de campagne via Internet, à l’instar de l’incroyable réseau de financement de Barack Obama en 2008.

Hillary Clinton,  » non-candidate  » déterminée, garde toujours en mémoire les catastrophes de sa campagne électorale de 2008. La foire d’empoigne des conseillers, les stratégies désincarnées et absurdes qui avaient poussé sa directrice de campagne, Patti Solis Doyle, à faire annuler au dernier moment une photo d’Hillary en Une de Vogue, au motif qu’elle apparaissait  » trop féminine pour être présidentiable « … Aujourd’hui, nul ne doute que la priorité est de garder d’ici à 2016 le contrôle de ses troupes. En s’appuyant d’abord sur les intimes. Philippe Reines, son fidèle communicateur, appartient au premier cercle, comme Huma Abedin, ancienne stagiaire de la première dame en 1996, devenue directrice de son  » cabinet de transition « . Huma, qui avait suivi Hillary au Département d’Etat, a pu témoigner de la solidarité de sa boss quand son époux, le congressiste new-yorkais Anthony Weiner, a dû démissionner pour s’être exhibé à demi-nu devant des fans sur Twitter. Expulsée un temps dans un cabinet de consultants new-yorkais, pour éviter d’associer la ministre des Affaires étrangères à un scandale sexuel, la fidèle a été réintégrée dans l’entourage immédiat d’Hillary.

Tant qu’à compter sur les intimes, pourquoi ne pas recourir au clan ? Chelsea Clinton, sa fille, âgée aujourd’hui de 34 ans, a été nommée à la tête de la puissante fondation Clinton Global Initiative, créée en 2005 par Bill. Ce gigantesque forum, censé rassembler les leaders économiques mondiaux autour de projets caritatifs, souffrait de sa gestion incertaine. Chelsea, qui a fait ses armes chez le consultant McKinsey, en a pris les rênes, et mené, au nom de sa mère, une révolution de palais. La fondation est capitale pour l’avenir électoral d’Hillary Clinton, pour une simple raison : les financements de campagne proviendront des mêmes donateurs sollicités aujourd’hui pour les projets philanthropiques. Le  » Clinton World « , le monde des Clinton, un carnet d’adresses nourri par trente années d’interactions du couple avec le monde du business, pourrait être mis à contribution pour l’ultime aventure politique du clan.

En 2000, Bill Clinton, englué dans le  » Monicagate  » et traqué par la majorité républicaine du Congrès pendant tout son second mandat, voyait dans une victoire d’Al Gore un prolongement possible de sa présidence, et une chance de sauver sa postérité. Ce fut George W. Bush qui l’emporta. Entend-il prendre sa revanche, en tant que  » premier mari  » par un retour de son épouse à la Maison-Blanche ? Hillary, en quatre ans à la tête du Département d’Etat, a pu prendre son envol, montrer son indépendance et la mesure de son immense notoriété personnelle. Perçu au départ comme un  » risque majeur  » en raison de ses frasques possibles et des craintes de conflits d’intérêts entre sa fondation et le Département d’Etat, Bill le flamboyant s’était résolu à rester dans l’ombre. Hillary qui, en 2008, avait dû exagérer ses états de service de First Lady, peut aujourd’hui arguer d’un passé de diplomate en chef. A ses risques et périls. L’offensive républicaine, ininterrompue depuis deux ans, sur les circonstances de l’attaque terroriste qui a coûté la vie à l’ambassadeur Chris Stevens, le 11 septembre 2011, à Benghazi, en Libye, n’a d’autre but que de réduire son prestige et d’incriminer ses prétendus errements en matière de protection du corps diplomatique américain.

Hillary, l’amie des milliardaires, peut-elle aborder le thème essentiel des inégalités américaines ?

La gauche, ce vivier militant précieux en période d’élections primaires, lui reproche toujours, elle, son vote de 2003 au Sénat en faveur de l’invasion de l’Irak, preuve, à ses yeux, d’opportunisme. Surtout, même si elle est réputée  » gauchiste  » pour les républicains en raison de ses sincères convictions féministes, Hillary Clinton apparaît pourtant aussi modérée que son époux, Bill, en matière de politique économique.

Comme lui, elle incarne le souvenir de la croissance des années 1990, mais aussi les compromis en matière sociale, l’ouverture de l’industrie américaine au choc de la mondialisation, la déréglementation financière, incriminée dans le krach de 2008. Elle, l’amie des milliardaires démocrates, ses généreux donateurs, pourrait-elle, en campagne, aborder le thème essentiel des inégalités américaines ? Au statu quo, représenté par Hillary, la gauche démocrate pourrait préférer, au moment des primaires, une autre femme. Elizabeth Warren, une mère célibataire de condition modeste devenue avocate de renom puis directrice du plan de sauvetage des banques en 2008, avait su répondre à la colère populaire contre l’arrogance et les bonus faramineux de Wall Street, au point de reprendre à la droite le siège de sénateur du Massachusetts perdu par les démocrates après la mort de Ted Kennedy en 2010. Aujourd’hui, Elizabeth Warren jure ne pas briguer la Maison-Blanche. Mais 2016 est encore loin, et, après un président noir, l’Amérique se sait désormais prête à élire sa première présidente…

De notre correspondant Philippe Coste

Aujourd’hui, nul ne doute que la priorité est de garder d’ici à 2016 le contrôle de ses troupes

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