Alain Braun, didacticien des langues, chargé de cours (UMons). © DR

 » On se fixe un niveau de maîtrise de la langue étrangère trop élevé « 

Alain Braun, didacticien des langues, chargé de cours (UMons), recommande de consacrer davantage de temps en classe à la pratique réelle de la langue par l’élève. Dix minutes en moyenne par semaine, c’est trop peu.

Tous bilingues, c’est visiblement plus vite dit que fait…

L’ambition est tout à fait pertinente, car le monolingue d’aujourd’hui est l’analphabète d’hier. L’objectif est d’autant plus légitime dans un pays comme le nôtre, avec ses trois langues nationales. Le problème qui se pose n’est donc pas tant celui du bilinguisme que du trilinguisme.

Voilà qui ne simplifie pas le défi à relever…

Certains seront effectivement tentés de dire : est-ce bien utile d’apprendre le néerlandais, voire l’allemand ? Apprenons plutôt tous l’anglais ! Mais ne retenir qu’une seule langue, c’est risquer d’en faire périr d’autres, et je pense au néerlandais déjà très menacé. C’est aussi transformer l’anglais en une espèce d’espéranto, avec ses limites et ses faiblesses.

Pourquoi le multilinguisme peine- t-il tant à se traduire en actes ?

On n’a pas le courage de poser les choix politiques nécessaires. On gagnerait ainsi à se concentrer sur l’apprentissage de la deuxième langue plutôt qu’offrir comme aujourd’hui la possibilité de choisir entre le néerlandais, l’anglais, l’allemand ou encore, l’espagnol. L’offre en langues est trop dispersée en Belgique francophone. On se fixe aussi parfois un niveau de maîtrise de la langue étrangère trop élevé. Cela tient à la spécificité du français qui se doit d’être parlé correctement. Un locuteur francophone n’osera s’exprimer dans une autre langue que lorsqu’il se sentira capable de s’exprimer sans fautes, alors que l’objectif devrait être avant tout de pouvoir communiquer. Enfin, les langues étrangères sont abordées trop tardivement. En Région wallonne, deux heures de langue étrangère par semaine durant les deux dernières années du primaire, où on passe son temps à compter jusque vingt ou à reconnaître cinquante fois les couleurs, ce n’est pas très efficace et c’est à mon sens de l’argent gaspillé.

En Wallonie, forcer l’apprentissage du néerlandais est moins défendable qu’à Bruxelles.

Un enseignement par immersion linguistique peut-il pallier ces déficiences ?

Dans sa conception, ce dispositif est parfaitement adapté à la production de sujets bilingues. Mais il cache en Belgique francophone des réalités très différentes. Il existe une kyrielle de formes d’immersion : elle peut commencer à partir de la troisième maternelle, de la première primaire, de la première ou de la troisième secondaire ; l’exposition à la langue cible peut être progressive ou dégressive dans le temps, etc. Et tout cela avec cette grosse difficulté qu’aucun enseignant n’est initialement formé à l’immersion. Les expériences fonctionnent majoritairement très bien mais peuvent aboutir à des efficacités assez hétérogènes.

La pratique ne devrait pas s’improviser…

L’immersion suppose aussi des conceptions pédagogiques, une organisation scolaire. Il ne suffit pas de tremper un élève dans un bain de langue pour en faire un locuteur de cette langue. Cela dit, l’immersion n’est absolument pas la panacée, des tas d’élèves parviennent à devenir bilingues par du secondaire classique.

A quelles conditions ?

Maîtriser une langue nécessite de pouvoir la pratiquer. Ce qui manque aujourd’hui, c’est du temps disponible pour favoriser autant que possible la capacité de l’élève à communiquer dans la langue étrangère. Dans le cadre actuel, compte tenu de cours de cinquante minutes, du nombre d’élèves par classe et du temps de parole de l’enseignant, un élève s’exprime en moyenne dix minutes par semaine dans une langue étrangère. Il faut donc revoir l’organisation du travail. Tous les élèves ne sont pas obligés de faire tous la même chose au même moment.

En quoi l’école bilingue diffère-t-elle fondamentalement de l’immersion linguistique ?

L’immersion est une forme d’école bilingue. Mais alors qu’en immersion, priorité est toujours accordée à la langue de scolarisation, le français en l’occurrence, dans l’enseignement bilingue, la même importance, la même valeur sont accordées aux deux. Ce qui débouche sur des bilingues équilibrés.

Faut-il appréhender le bilinguisme de manière différente à Bruxelles et en Wallonie ?

Bruxelles est une région bilingue, il serait donc légitime d’accorder une priorité à ses deux langues. En Wallonie, forcer l’apprentissage du néerlandais est moins défendable. On sait que plus l’écart entre la langue d’origine et la langue de l’immersion est grand, mieux c’est si l’on veut profiter des bénéfices extralinguistiques de l’immersion en matière de créativité, d’ouverture à l’altérité, de débrouillardise. Dans cette perspective, c’est l’allemand qui fait figure de langue la plus éloignée de la langue d’origine. Mais si l’objectif est de développer le plus vite possible la capacité de s’exprimer un peu partout dans le monde, il vaudrait évidemment mieux retenir l’anglais, voire l’espagnol. Il est fondamental de définir la cible que l’on veut atteindre et le parcours qui doit permettre de l’atteindre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire