On Demand

Guy Verstraeten
Guy Verstraeten Journaliste télé

En développant leurs propres fictions, les acteurs majeurs du streaming à la demande, comme Netflix ou Amazon, font plus que concurrencer les télés traditionnelles.

Une série télé. C’est dit dans l’intitulé : historiquement, la télévision s’était découvert un petit chez-soi à elle, spécialement conçu pour fidéliser ses clients, semaine après semaine, à heure généralement fixe. C’était Thierry la Fronde et c’était Columbo. Sauf qu’entre-temps, comme bien d’autres pans de nos vies, Internet a secoué ce modèle. 2015, à ce titre, semble avoir marqué une nouvelle étape. Parce que non seulement les acteurs du Web comme Netflix, Amazon ou Hulu produisent leurs propres fictions, mais celles-ci commencent doucement à concurrencer les séries traditionnelles en termes de qualité, voire de récompenses type Emmy Awards ou Golden Globes.

On se rappelle qu’en 2013, Netflix, géant américain du streaming à la demande (après avoir démarré son business dans la location de DVD à distance), décidait qu’à son chapeau trônerait, désormais, la plume des contenus spécifiques à son abonnement. D’où l’expérience House of Cards. Qui, directement, changea la donne. Via son mode de diffusion d’abord. En livrant une saison complète à une date déterminée, Netflix brisait les habitudes de la série  » télé « , soit le rendez-vous de la semaine, tonnes de pubs comprises. Si la popularisation des coffrets DVD et l’avènement du téléchargement illégal avaient développé le phénomène du  » binge watching  » – s’enfiler de nombreux épisodes à la suite -, la technique de diffusion chère à Netflix allait l’asseoir pour de bon. Mais avec House of Cards, la plate-forme américaine marquait un autre grand coup, celui de la qualité. En s’offrant un générique pour le moins costaud (David Fincher au pilote et à la production exécutive, Kevin Spacey ou Robin Wright devant la caméra), l’opérateur annonçait la couleur: ses fictions propres auraient de l’ambition, comme le prouveront dans la foulée Orange is the New Black ou la méconnue, mais très féroce, Bojack Horseman. L’année qui vient de s’écouler ne peut que confirmer cette tendance, même si la prolifération de nouvelles séries aux couleurs du groupe inclut forcément quelques ratages, au rang desquels on pointera par exemple Marco Polo ou, dans une moindre mesure, le délire psychédélique d’Andy et Lana Wachowski, Sense8. A côté de cela, 2015 a vu l’apparition de séries impeccables comme Bloodline (l’histoire d’une famille qui doit faire face au retour du fils maudit), Master of None (ou dix épisodes de questions existentielles traitées via le personnage de Dev, écrit et joué par l’excellent humoriste Aziz Ansari) ou Narcos (l’explosive et très convaincante évocation du destin de Pablo Escobar). Même les incursions de l’opérateur dans l’univers de Marvel, avec Daredevil et Jessica Jones, ont fait mouche, dans leur traitement assez sombre, loin du grand-guignol qu’on pouvait craindre.

Amazon dans le sillage

En clair, à côté des grandes écuries traditionnelles de la série télé, qu’elles soient estampillées  » de qualité « , comme HBO (The Sopranos, The Wire, Game of Thrones), AMC (Mad Men, Breaking Bad) ou FX (The Shield, Sons of Anarchy, Louie…), ou  » grand public « , comme la plupart des networks que sont ABC, NBC ou la Fox, il faut désormais compter sérieusement avec les géants du Net. Et pas uniquement Netflix, puisqu’ Amazon, l’un de ses grands concurrents dans le domaine du streaming à la demande, semble suivre exactement la même voie. Avec une petite coquetterie dans le développement de ses séries: la tactique d’Amazon consiste à tourner différents pilotes, à les proposer par vagues sur son site, à attendre la réaction de ses clients puis, en fonction des résultats, à développer une saison complète qui débarque environ un an plus tard. Ça a été le cas pour Transparent, Mozart in the Jungle ou Bosch, trois succès critiques. Ça l’a été également avec les séries 2015, style Red Oaks ou The Man in the High Castle : la première est produite par Steven Soderbergh, la seconde par Ridley Scott. Autant dire qu’ Amazon, via son département Amazon Studios, n’a pas envie de blaguer non plus sur la qualité, dans un registre s’inspirant souvent des canons du cinéma indépendant américain.

Quand on sait qu’Hulu, autre service Web du même genre, semble également commencer à produire du costaud (en 2015, la série Casual, produite et réalisée par l’excellent Jason Reitman, celui de Thank You for Smoking et Juno), on se dit que les metteurs en scène, producteurs et acteurs les plus cool de Hollywood ont désormais trouvé un nouveau terrain de jeu pour raconter leurs histoires. Et que le paysage des séries, pourtant fort saturé, a encore quelques belles années devant lui.

Guy Verstraeten

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