Nu sur scène royale

Evgueni Schwartz revient au Théâtre national : après Le Dragon sous le chapiteau d’Arsenic, Le Roi nu, mis en scène par Laurent Pelly, brille d’intelligence et de rire !

Théâtre national au Palace, du 21 avril au 8 mai.

Tél. : 02 203 53 03.

Prenez trois contes d’Andersen, Le Garçon porcher, La Princesse au petit pois et Le Costume neuf de l’Empereur (appelé aussi Le Roi nu), butinez-y et remixez les ingrédients : une princesse amoureuse d’un porcher, un roi (son père) qui veut la marier au  » roi d’à côté « , des cours de fantoches serviles, un autre monarque vaniteux, cruel, stupide, une gouvernante chienne allemande, un ministre des tendres sentiments, un chaudron chanteur, des demoiselles d’honneur militarisées, des matelas… et un stratagème du porcher amoureux qui sauve in extremis sa belle princesse ! Evgueni Schwartz (1896- 1958) adore les contes d’Andersen et de Grimm : il les réécrit à sa manière, pour enfants et adultes mêlés, en parabole insolente du monde qui l’entoure, de sa Russie, sous le parapluie du merveilleux et du rire… Ce qui lui coûte cher sous Staline. Ecrite en 1934, son Roi nu ne résiste pas à la censure. C’est que l’écrivain russe y démasque les impostures des dictateurs, Hitler et Staline y compris : culte de la personnalité, avec son cortège de vanités bêtifiantes et cruelles, ses terreurs et ses lâchetés, il en montre la nudité. Et par là même, il stimule les imaginations de la révolte. Les mots eux-mêmes, sortis du quotidien, s’entrechoquent dans des détournements subversifs, explosent de fausse loufoquerie, et on se régale de la traduction d’André Marcowicz (éditée au Solitaire intempestif). Aucun didactisme politique dans Le Roi nu, mais le rire, le fantastique et l’incroyable sens du théâtre, à mille lieues de toute psychologie normative.

Sept comédiens français et trois Belges (les formidables Eddy Letexier, Gaëtan Lejeune et Sacha Kremer) se sont emparés de Schwartz avec une énergie et un talent rares, emmenés par le metteur en scène français Laurent Pelly. Dix acteurs qui virevoltent entre 45 personnages ! A l’exception d’Audrey Fleurot (belle princesse), l’interprétation est mâle de bout en bout, y compris en demoiselles d’honneur ou en cochons. Un morceau de perruque, une parcelle de vêtement suffisent à les métamor- phoser. Laurent Pelly, en excellent metteur en scène d’opéra qu’il est aussi (Rameau, Offenbach, Strauss…), a traité ce texte avec la rigueur et le rythme sans faille d’une partition de musique. Il n’est pas un tableau, un dialogue qui ne dévoile une surprise jamais gratuite, mais qui fait surgir des allusions, des collisions de sens, emboîtées comme des poupées russes.

Entre surréalisme, cubisme, music-hall et ludisme scénique ! C’est que Laurent Pelly détient encore une arme imparable dans le décor de Chantal Thomas, sa fidèle collaboratrice. Des murs de caissons, de tiroirs, d’armoires forment la silhouette d’un vaste bureau, icône de la bureaucratie, pleine de chausse-trapes : tout s’ouvre, se ferme, coulisse, devient cadre, carrosse, porcherie ou pont-levis ! Idéal aussi pour s’enfourner, disparaître, espionner… Si ces  » murs  » dominent en gris vert, des notes flamboyantes l’éclairent brusquement, dans l’un ou l’autre accessoire et dans les costumes de Laurent Pelly lui-même. La musique (Battista Lena) trame son commentaire et s’insinue malicieusement.

Ce spectacle est une coproduction du Théâtre national et du Centre dramatique national des Alpes, à Grenoble, que dirige Laurent Pelly. A l’invitation de Philippe Van Kessel, ce jeune metteur en scène avait présenté la saison dernière chez nous, un Labiche époustouflant ( Le Voyage de Monsieur Perrichon). Second acte d’un coup de foudre réciproque, cette coproduction du Roi nu ne se résume pas à un troc financier, mais elle insère des comédiens belges de hautes pointures dans la troupe de Pelly qui n’a pas du tout l’intention de les lâcher. En janvier, à Grenoble, lorsque nous avons découvert ce spectacle, les gradins trépignaient de joie.

Michèle Friche

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