Nouvelle vie

Hors d’usage, les chaises et les livres exposés à la Villa Empain, à Bruxelles, sont habités d’une esthétique nouvelle. Pour nous ouvrir les portes de l’imaginaire…

Quoi de plus quelconque qu’une chaise ou un livre ? Les artistes l’ont fort bien compris : ils en ont même fait des terrains de jeu propices aux détournements créatifs. Débarrassés de leur nature profonde, ces objets d’une grande banalité ne sont plus appréciés pour leur utilité, mais pour leurs qualités esthétiques et leur versant excentrique. Obéissant souvent au principe de l’assemblage, la plupart de ces oeuvres s’inscrivent dans la généalogie des ready-made de Duchamp, des objets de Dali ou encore des poèmes de Breton.

Des chaises improbables et…

La chaise est l’un des objets les plus anthropomorphes. Pour preuve, son vocabulaire se superpose à celui employé pour évoquer le corps : on parle de pieds, de dossiers, d’accoudoirs. Fabuleusement improbables, les chaises prennent ici des postures infinies mais aussi des expressions très variées. Elles peuvent être grotesques ou amusantes, graves ou émouvantes, empreintes d’une élégance toute humaine ou afficher de la souffrance. Hors normes, ces opus hybrides partagent un dénominateur commun : la liberté créative. C’est alors que la métamorphose se produit, l’objet du quotidien devient sculpture. Un corps à part entière, comme en témoigne l’oeuvre de Stefan Wewerka. Baptisée Classroom chair, cette chaise rouge pivoine – dont les pieds semblent se dérober sous elle en une charmante révérence – met à l’épreuve nos perceptions habituelles.

… des livres qu’on ne peut pas lire !

Il est donc question de chaises, mais également de livres. Entre les deux, des relations évidentes. Tout d’abord, l’une est à l’origine de l’autre : s’asseoir, méditer puis commencer à écrire un premier mot suivi d’une quantité d’autres. La chaise est bel et bien le premier pas vers le livre. Celui-ci présente aussi de nombreuses analogies avec le corps humain : les relieurs parlent de la tête, de la peau, du dos, des nerfs. Dans une logique parfaitement identique à celle des chaises d’artistes précitées, les ouvrages ici exposés sont totalement libérés de leur intérêt premier. Ils ne peuvent être lus, pas plus qu’ils ne pourraient entrer dans une bibliothèque. Déréalisés (car définitivement illisibles), ces bouquins ont été transformés, dépecés, massicotés… Certains présentent d’énormes cratères, d’autres  » vomissent  » ou laissent s’échapper leur texte. À mille lieues des qualités qui le définissent d’ordinaire, le livre d’artiste n’est apprécié que pour ses qualités plastiques.

Au pays du détournement (des fonctions et des codes), il est conseillé de se perdre. Ce voyage – sans début ni fin, sans itinéraire ni repère – réveille surtout notre curiosité et notre plaisir de regarder. Un parcours distrayant qui réunit un nombre impressionnant de créations… aux allures de récréations.

Entre deux chaises, un livre, Fondation Boghossian, Villa Empain, à Bruxelles. Jusqu’au 7 septembre prochain. www.fondationboghossian.com

Gwennaëlle Gribaumont

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