» Nous allons être séparés « 

Autour de Jérusalem- Est, le Mur anéantit sans conteste la vie des Palestiniens. Reportage à Abou Dis alors que le  » pro- cès  » sur la légalité de la  » clôture de sécurité  » s’ouvre à La Haye

De notre envoyé spécial

Deux enfants prennent la pose au pied du mur de béton, haut de 8 mètres. Etrangement, ils sourient, sans rien demander. Leurs parents ont dû leur faire la leçon : ici, les journalistes étrangers ne viennent que trop rarement ; il ne faut donc pas  » louper  » l’occasion de sensibiliser quelque peu la communauté internationale. Derrière les gosses, des inscriptions couleur sang stigmatisent Ariel Sharon et le gouvernement israélien, avec des références à Berlin, à l’Irlande du Nord ou à la paix que le Mur éloigne encore un peu plus. Nous sommes à Abou Dis, un village de 11 000 habitants situé à l’est de Jérusalem, en Cisjordanie. Ces derniers mois, Sharon y a fait couper tous les accès routiers à la Ville sainte, capitale de l’Etat d’Israël pour les Israéliens et du futur Etat palestinien pour les Palestiniens. Un homme rondouillard d’une cinquantaine d’années tend la main, affable et souriant, lui aussi. Il pointe sa maison du doigt, une bâtisse plutôt délabrée.  » Le matin, je me levais en scrutant les collines environnantes. Bientôt, tout ne sera plus que béton.  » La  » barrière de protection  » n’est plus qu’à quelques mètres. Son tracé ne laisse planer aucun doute sur son évolution : elle viendra se caler à un ou deux mètres de la modeste maison.  » Regardez en face, c’est chez mon cousin. Nous allons être séparés.  »

Il faut dix minutes à peine pour ériger un pan de mur. Les habitants concernés sont prévenus, au mieux par courrier, quelquefois par des affichettes collées sur les arbres. Du jour au lendemain, ils sont contraints de forer de nouvelles portes d’entrée à leur domicile, sous peine de se voir emmurés sans autre forme de procès. Dans la seule région de Jérusalem, 22 kilomètres ont déjà été construits depuis le début du chantier, en juin 2002, suite à une série d’attentats-suicides particulièrement meurtriers en Israël. Sur la base des plans imaginés par le gouvernement israélien et relayés par les Nations unies, l’ouvrage controversé pourrait prochainement s’étendre sur 150 kilomètres. Dans l’ensemble de la Cisjordanie, de Jénine à Hebron, la grande muraille s’allongerait en fin de compte sur 687 kilomètres. Le coût est exor- bitant : 3,7 millions de dollars pour 1 000 mètres de ciment !

Telles qu’elles appa- raissent à Abou Dis ou Bethléem, les portions construites sont sans équivoque. Le Mur y sépare des Palestiniens… à d’autres Palestiniens. Erigé le plus souvent dans les territoires occupés, il ne respecte pas les frontières internationalement reconnues de l’Etat d’Israël. Au contraire, si les plans israéliens devaient être menés à terme, la Cisjordanie serait amputée d’un septième de son territoire, sans aucune négociation préalable. Aux 3 enclaves existantes risquent aussi de s’ajouter 7 ou 8 autres boucles fermées, causant la catastrophe humanitaire qu’on imagine sans peine, comme dans la bande de Gaza.

Autour de Jérusalem-Est, les problèmes de mobilité sont devenus particulièrement épineux. Tout semble avoir été conçu pour couper le lien affectif et effectif qui unit les Palestiniens à la ville, lieu de culte, de services et d’activités économiques. Pour un résident d’Abou Dis, par exemple, il fallait jusqu’à présent une poignée de minutes pour se rendre aux hôpitaux voisins, situés à 4 kilomètres. A présent, il lui faut contourner le fameux Mur et parcourir péniblement quelque 18 kilomètres jusqu’à Bethléem, en espérant franchir sans retard excessif les 700 obstacles dressés par l’armée israélienne dans toute la région (checkpoints fixes, barrages mobiles, tas de terre, blocs de béton, etc.). Temps minimum : deux heures. Mieux vaut ne pas souffrir d’une crise d’appendicite aiguë ou être en fin de grossesse. D’insidieuses pratiques relatives aux documents d’identité et aux permis d’accès compliquent le tout. Des habitants  » arabes  » – et recensés comme tels sur leurs papiers – sont coincés entre Jérusalem-Est et le Mur. Travailler en ville ? Il faut une autorisation, de plus en plus difficile à obtenir. Se tourner vers les cités palestiniennes ? Encore faut-il franchir le Mur et ses checkpoints, dont la fluidité est soumise à l’arbitraire de Tsahal. Les Palestiniens pourraient donc être forcés d’émigrer, abandonnant au passage leurs terres convoitées…

Philippe Engels

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