Nos prisons, écoles du djihad ?

Les prisons favorisent la radicalisation et le recrutement extrémiste musulmans. C’est ce qu’affirment les autorités européennes dans un document exclusif que Le Vif/L’Express a pu consulter.

Pour les spécialistes de l’antiterrorisme, le milieu carcéral est considéré comme un incubateur du radicalisme, voire du terrorisme. Une école du crime à la sauce djihadiste. Depuis les attentats du 11-Septembre, le nombre de détenus extrémistes musulmans a augmenté significativement, tout comme la dissémination de leurs idées dans les prisons.

Le Vif/L’Express a pris connaissance d’un document confidentiel du Service de renseignement et d’analyse de l’Union européenne, le Joint Situation Centre, qui évoquait ce risque dès 2006. Après avoir souligné la difficulté de recueillir du renseignement en milieu carcéral, les analystes européens font la distinction entre la radicalisation et la conversion, car l’islam est la religion qui progresse le plus en prison.  » Dans un nombre significatif de cas, indiquent-ils, la conversion à l’islam apparaît comme ayant été le précurseur d’une radicalisation ultérieure. Un large éventail de facteurs peut contribuer au processus de radicalisation : la proximité forcée avec des extrémistes, la privation de liberté, la peur, le mécontentement vis-à-vis du système social, une prédisposition à la violence et au crime, les visites reçues en prison, la correspondance avec des islamistes, la diffusion de littérature extrémiste, le bouleversement du retour à la liberté. Dans des cas extrêmes, des détenus musulmans extrémistes ont joué un rôle significatif dans la planification d’attentats, durant leur détention. « 

En termes de pronostic, l’après-prison revêt un caractère déterminant.  » Pour les prisonniers qui se sont convertis à l’islam et qui ont été en contact avec des extrémistes, la transition entre la prison et l’environnement extérieur est crucial « , lit-on dans le rapport. La prison offre, en effet, un environnement idéal pour entrer en contact avec le milieu criminel ordinaire.  » Beaucoup de réseaux extrémistes islamistes ont des liens avec des groupes criminels, en raison de la petite criminalité (fraude financière, falsification de documents, trafic de drogue) à laquelle un certain nombre de détenus se livraient à l’extérieur. Un séjour en prison leur donne l’occasion d’établir des contacts avec des délinquants plus sophistiqués et plus compétents.  » En cellule, les détenus s’échangent leurs dossiers répressifs : une mine de renseignements, d’adresses et d’astuces pour échapper à la justice.

Le rapport secret évoque le rôle des imams, dont certains – l’exemple s’est présenté en Allemagne et en Grande-Bretagne – ne parlent pas la langue du pays et diffusent des messages de haine à l’égard des  » infidèles « . La qualité de la formation des aumôniers musulmans est donc vitale. Mais, vu l’absence de hiérarchie dans l’islam sunnite, tous les pays européens se heurtent à la même difficulté : arbitrer entre les divers courants religieux de l’islam et choisir des aumôniers aptes à contrer les extrémistes. Certains pays organisent des formations à l’usage des ministres du culte. Tous sont fortement encouragés à donner à leurs directeurs et surveillants de prison des outils pour détecter les prémices d’une radicalisation.

La paralysie du  » politiquement correct « 

Le Belge Gilles de Kerkhove, coordinateur de la lutte antiterroriste de l’Union européenne, avait donc de bonnes raisons de rappeler aux médias que Mohamed Merah, l’auteur des tueries de Toulouse et de Montauban, s’était radicalisé en prison. Une histoire qui en rappelle une autre : celle de Khaled Kelkal, ce jeune Lyonnais de 25 ans, principal responsable de la vague d’attentats perpétrés au cours de l’été 1995 en France. En prison, il avait été approché par des religieux islamistes. A sa sortie, il est entré en contact avec des recruteurs du Groupe islamiste armé algérien. Le britannique Richard Reid, qui avait tenté de faire exploser ses chaussures lors d’un vol transatlantique en décembre 2001, a rencontré l’islam radical en prison. Après l’assassinat du cinéaste Theo van Gogh, aux Pays-Bas, certains membres du  » groupe Hofstad « , dont faisait partie l’auteur de l’attentat, ont tenté de convertir leurs codétenus au djihad. La volonté des autorités belges d’extrader le terroriste tunisien Nizar Trabelsi vers les Etats-Unis s’explique aussi par la mauvaise influence qu’il a eue sur ses codétenus.

La France était bien au fait du problème posé par l’état d’esprit de certains de ses prisonniers musulmans. En 2008, un rapport du service de renseignement pénitentiaire révélait le  » comportement inquiétant  » de 442 détenus islamistes. Au moins 211 détenus étaient  » en voie d’islamisation radicale  » sous l’influence d’une nouvelle génération de propagandistes, souvent des condamnés de droit commun qui se sont auto-radicalisés en surfant sur Internet. Un manuel sur  » le fondamentalisme en milieu carcéral  » avait alors été distribué aux 24 000 surveillants de prison, aux policiers, aux gendarmes et aux juges antiterroristes. Ce document décrit les étapes du processus de radicalisation et dresse une liste de 23 indicateurs susceptibles d’annoncer une conduite déviante : affichage de photos de Ben Laden, de logos d’Aqmi (Al-Qaeda au Maghreb islamique), lecture de certains ouvrages religieux, refus de se promener avec d’autres détenus, de prendre des repas en commun, volonté d’imposer des heures de prière, etc.

Et en Belgique ? Un guide général du radicalisme et de terrorisme, le programme Coppa, circule dans la sphère policière. Financé par l’Union européenne, il est enseigné dans les académies de police. Quant au phénomène de la radicalisation des détenus musulmans, le manque de données disponibles justifie la demande d’audit du député Denis Ducarme (MR) ( lire l’interview en page 35). La Sûreté de l’Etat a signé, en 2006, un protocole d’échange d’informations avec la direction des établissements pénitentiaires ( lire l’encadré ci-dessus). Mais cette préoccupation a souffert d’un certain  » politiquement correct « . En 2005, la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS), avait commandé au Pr Simon Petermann (ULg), un rapport sur le prosélytisme islamiste en prison. Cet objet d’étude et sa médiatisation suscitèrent la protestation de quelques collègues universitaires, reprochant au Pr Petermann d’oublier ses  » responsabilités sociales  » en stigmatisant une partie de la population carcérale. Cette hostilité, jointe au manque de budget et à la collaboration difficile avec les directeurs et les gardiens de prison, fit de ce rapport, de l’aveu même de son auteur, un non-événement. Le Vif/L’Express a pu néanmoins en lire quelques pages. Elles sont consacrées à l’influence des détenus islamistes dans les prisons wallonnes au milieu des années 2000 ( lire l’encadré page 34).

La question reste brûlante. Selon un rapport de 2009 de la Fondation Quilliam, spécialisée dans les questions de terrorisme au Royaume-Uni, les personnes radicalisées en prison ne deviendraient vraiment violentes qu’au bout de cinq à sept ans. Le pire serait donc à venir… La Fondation Quilliam recommandait de les soumettre à des programmes de  » dé-radicalisation « , comme cela s’est fait – avec des échecs notoires – pour les prisonniers égyptiens ou yéménites de la prison de Guantanamo. Le rapport confidentiel du Joint Situation Centre de l’Union européenne concluait également sur une note pessimiste :  » La surpopulation carcérale a un impact extrêmement dommageable sur la mise en £uvre de régimes de réhabilitation au sein du système pénitentiaire. « 

MARIE-CÉCILE ROYEN

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