» Nos GI sont épuisés « 

Les parlementaires démocrates américains réclament un retrait total d’Irak d’ici à la fin 2009. Bush renoncera-t-il à sa  » guerre sans fin  » ? L’Otan et les Etats-Unis ont-ils les moyens opérationnels de gagner la guerre en Afghanistan ? Eclairage avec Leo Michel, spécialiste américain des questions stratégiques.

En dépit de combats avec des miliciens chiites et d’un regain de tension avec l’Iran, l’armée américaine annonce poursuivre la réduction de son contingent en Irak. Au même moment, la majorité démocrate à la Chambre des Représentants américaine met aux voix une proposition de retrait total d’Irak d’ici à décembre 2009. Alors que la barre des 4 000 soldats américains morts au combat dans le pays a été récemment dépassée, Leo Michel, expert américain des relations atlantiques, répond à nos questions sur ce conflit et évoque aussi le bourbier afghan, où est empêtré l’Otan. Leo Michel est chercheur à l’Institute for National Strategic Studies, à Washington.

La stratégie actuelle en Irak nécessite  » du temps « , a prévenu le général Petraeus, commandant en chef des forces alliées à Bagdad. Les forces américaines sont là pour combien de temps encore, d’après vous ?

Leo Michel : Plusieurs années. Mais maintenir le contingent à son niveau actuel de 156 000 soldats est intenable. L’armée américaine est épuisée, out of balance, comme nous disons. Certaines unités en sont à leur cinquième rotation ! La limite est dépassée. Autrefois, on envoyait nos soldats six mois sur le terrain, puis ils rentraient se reposer et s’entraîner pendant dix-huit mois. Les interventions en Irak et en Afghanistan nous ont contraint à allonger la période en opération, passée à quinze mois. Elle est suivie de quinze mois au pays pour retrouver la famille, se rééquiper et recevoir une nouvelle formation. C’est beaucoup trop peu.

En chiffres cumulés, 3 millions de soldats américains ont été envoyés en Irak. Que fait l’état-major face à l’épuisement des forces dont vous parlez ?

Il recrute à tour de bras. Dans les cinq ans à venir, les forces actives doivent compter 590 000 hommes, contre quelque 523 000 aujourd’hui. Les pressions sont fortes pour que les soldats ne quittent pas l’armée. La moitié d’entre eux sont mariés et 70 % de ces maris ont des enfants de moins de 2 ans. On comprend qu’une longue absence de ces jeunes pères dans des zones lointaines et dangereuses soit lourde à supporter. Pour réussir à étoffer les rangs, il a fallu abaisser les standards de recrutement. A long terme, cela aura des conséquences sur la qualité des effectifs.

Une fois les forces américaines en Irak ramenées, en juillet prochain, à ce qu’elles étaient avant le  » renfort « , soit 140 000 hommes, le général Petraeus souhaite une  » pause « , avant de procéder à une réévaluation. Combien de temps tout cela prendra-t-il ?

Les plans de l’état-major prévoient de passer de 18 à 15 brigades. Après ce retrait, il faudra mesurer son impact sur la situation sécuritaire en Irak. Même si c’est Barack Obama ou Hillary Clinton qui remporte la présidentielle de novembre, la page irakienne ne pourra être rapidement tournée. Il faudra de la patience. L’Otan est resté neuf ans en Bosnie. En Irak, la situation est plus complexe et pas du tout comparable avec ce qu’on a connu au Vietnam. Quand nos forces ont quitté Saïgon, l’Amérique a pu se laver les mains de l’Indochine. Impossible de faire pareil au Moyen-Orient, région stratégique. Aucun président américain ne voudra prendre la responsabilité d’une déroute et d’un chaos généralisé en Irak. Si Obama ou Clinton décident un retrait par vagues, comme ils l’évoquent, il faudrait au moins deux ans pour le rendre effectif.

Des sénateurs américains, démocrates mais aussi républicains, dénoncent une guerre d’Irak qui coûte  » trois milliards de dollars par semaine « . C’est ce boulet financier qui conduira finalement Washington à plancher sur une  » stratégie de sortie  » ?

Le renouvellement de l’équipement utilisé en Irak et en Afghanistan nous coûte des dizaines de milliards de dollars. Nous allons avoir cette année un budget de la Défense supérieur à 5 000 milliards de dollars. C’est un record. Cela représente plus de 4,1 % du PNB des Etats-Unis. A titre de comparaison, le budget Défense de l’Allemagne atteint 1,4 % du PNB, celui de la France 1,8 % et celui de la Grande-Bretagne 2 %. Pour autant, notre ministre de la Défense, Robert Gates, prévient que cet énorme budget ne suffira pas à assurer notre sécurité dans le monde. Pour la première fois, un patron de la Défense américaine admet que la solution n’est pas que militaire, mais aussi diplomatique, économique et liée à l’aide au développement.

Quel crédit donner à cette nouvelle approche stratégique ?

Nous avons tiré les leçons de nos erreurs en Irak et en Afghanistan. Nos soldats sont trop souvent apparus comme des Rambo. L’armée américaine a dû réviser sa doctrine. Plus question de se contenter de se battre, puis de partir. L’emploi de la force exige l’activation, en parallèle, de tous les outils disponibles : la diplomatie, la coopération multilatérale, les ONG, le privé… Le Pentagone appelle cela la  » counterinsurgency « , en abrégé  » COIN « . L’Otan parle de  » comprehensive approach « , approche globale. Pour stabiliser l’Afghanistan, il faut reconstruire des routes et des infrastructures, combattre le trafic de drogue et la corruption de l’administration, favoriser une meilleure gouvernance… C’est la seule façon de contrer une insurrection armée comme celle des talibans. Les généraux qui participent aux think tanks de notre université, la National Defense University, disent ouvertement, désormais, que l’option militaire n’aboutira à rien.

Les Etats-Unis réclament sans cesse une plus grande implication des pays européens de l’Otan sur le front afghan. Comprenez-vous qu’ils rechignent à s’engager dans ce bourbier ?

L’Afghanistan n’est pas une cause perdue. La situation militaire est contrôlable. Mais la stabilisation du pays peut encore prendre quatre ou cinq ans. D’ici là, il faut aider les Afghans à assurer leur sécurité, donc former des policiers et des militaires en nombre. L’incertitude principale vient du Pakistan, où se situent les sanctuaires des insurgés. Washington veut que ses alliés européens fournissent plus d’unités combattantes. Ce n’est pas un bras de fer transatlantique, mais un débat entre Européens. Britanniques, Néerlandais et Polonais ont fait de lourds sacrifices humains et budgétaires pour maintenir leur présence dans les zones de combat. La France, la Belgique et d’autres ont promis de faire un effort. Il est normal, au sein de l’Otan, de partager les risques.

Entretien : Olivier Rogeau

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