Norvège Lendemain de cauchemar

Le tueur d’Oslo prétendait combattre le multiculturalisme de la société norvégienne. Le carnage a fait plus de 75 morts, pour la plupart des adolescents. Un drame sans précédent au pays du prix Nobel de la paix.

Jamais la Norvège n’avait connu une telle tragédie. C’est un pays sous le choc qui pleure ses morts et la fin d’une certaine innocence. Un traumatisme d’autant plus profond que ce ne sont pas des poseurs de bombes venus d’ailleurs qui ont semé la terreur, ce 22 juillet, mais un Norvégien de souche, un monstre aux cheveux blonds et aux yeux clairs, né il y a trente-deux ans à Oslo, où il a fréquenté la même école primaire que le fils aîné du roi Harald.

L’attaque s’est produite en deux temps. Peu après 15 heures, une bombe explose en plein centre d’Oslo, tout près de l’immeuble qui abrite les bureaux du Premier ministre. Le quartier est ravagé, plusieurs personnes gisent en sang dans la rue. Le bilan est lourd : 8 morts, des dizaines de blessés. A ce moment-là, tout le monde est convaincu, en Norvège et ailleurs, qu’il s’agit d’un attentat islamiste. Sur les plateaux de télévision, les commentateurs pointent déjà du doigt Al-Qaeda. Ils évoquent l’engagement de la Norvège en Afghanistan, la publication des caricatures de Mahomet par certains médias, les menaces proférées par Ayman al-Zawahari, le successeur d’Oussama ben Ladenà Mais le pire est à venir. Vers 17 heures, un homme vêtu d’un uniforme de police fait irruption sur la petite île d’Utoya, un confetti boisé posé sur le lac Tyrifjorden, à une petite quarantaine de kilomètres de la capitale du royaume. L’endroit abrite, comme chaque année, un rassemblement de la jeunesse du parti travailliste, au pouvoir. Environ 600 garçons et filles, pour la plupart entre 14 et 18 ans.

 » Notre société sera désormais plus paranoïaque « 

Premiers coups de feu. La fusillade va se poursuivre pendant près d’une heure et demie, jusqu’à ce qu’un commando de la police arrive enfin sur l’île. Des dizaines de jeunes tombent sous les balles du tueur. D’autres tentent de se cacher en s’enfonçant dans les ronces ou s’enfuient en direction du lac. Certains parviennent à gagner à la nage la rive d’en face, plusieurs sont stoppés dans leur course par les tirs en rafales.  » Il marchait lentement mais avec détermination et il tirait sur tout le monde [à] Il était si calme, c’est ça qui était étrange « , confiera une rescapée, quelques heures après la tragédie.

Il faut remonter à l’occupation allemande pour trouver, en Norvège, des cas d’exécutions massives, et même alors elles n’eurent jamais une telle ampleur. Patrie du prix Nobel de la paix, le pays se croyait jusqu’ici préservé, au point que les Américains s’étaient inquiétés récemment, dans un télégramme diplomatique publié par WikiLeaks, du peu de préparation des services de sécurité. A Oslo, il n’est pas rare de croiser des ministres au supermarché ou dans les transports en commun. Un mode de vie qui s’inspire de la loi de Jante (formulée par l’écrivain dano- norvégien Aksel Sandemose), qui veut qu’on  » ne doit pas s’imaginer meilleur  » que les autres. Peut-être aussi l’opulence de la Norvège, devenue grâce aux hydrocarbures l’un des Etats les plus riches de la planète, contribue-t-elle aussi à donner à ses habitants l’impression qu’ils sont à l’abri de tout.  » Notre société sera désormais moins confiante, plus paranoïaque « , prédisait, quelques heures après le drame, le sociologue norvégien Thomas Krikser.

Arrêté sur l’île, Anders Behring Breivik reconnaît aussitôt être l’auteur des deux attaques. Il les a même minutieusement préparées, pendant des années. Propriétaire depuis 2009 d’une ferme biologique à Rena, au nord d’Oslo, il a acheté sans attirer l’attention de l’engrais agricole. Avec celui-ci, il a fabriqué sa bombe, l’a chargée dans une voiture puis a garé le véhicule piégé en plein centre d’Oslo. Il a pris ensuite la route pour la petite ville d’Utvika, point de départ des navettes qui relient la rive principale du lac à l’île d’Utoya. Plus tard, aux enquêteurs, il dira que son action était  » cruelle, mais nécessaire « . Simple déséquilibré, sans doute se serait-il suicidé, à l’instar d’autres auteurs de massacres collectifs. L’homme, que la police norvégienne décrit très vite comme un  » fondamentaliste chrétien « , avec  » certains traits politiques penchant vers la droite et antimusulmans « , cherche au contraire une tribune.  » Une personne avec une conviction a autant de force que 100 000 qui n’ont que des intérêts « , écrivait-il dans un message posté sur Twitter six jours avant le drame, paraphrasant une citation du philosophe anglais John Stuart Mill. Le jour même de la tragédie, il publie sur Internet un manifeste de 1 500 pages rédigé en anglais sous le nom d’Andrew Berwick, qui se termine par un journal décrivant par le menu les préparatifs des attentats, et charge sur YouTube une vidéo baptisée Templiers 2083. Deux documents haineux, truffés de diatribes islamophobes et antimarxistes, dans lesquels il se présente comme un croisé, en guerre contre le multi-culturalisme qui gangrènerait la société et ses agents – à commencer par les travaillistes. Sur Facebook, il se décrit plus sobrement comme un  » conservateur  » et un  » chrétien « . Il dit aimer le culturisme, la chasse et les jeux de guerre vidéo, confie avoir lu avec intérêt Kafka et le 1984 de George Orwell. Parmi les personnalités qu’il admire, il cite le populiste anti-immigrés néerlandais Geert Wilders, mais aussi Max Manus, l’une des principales figures de la Résistance norvégienne contre l’occupant nazi.

Baptisé à sa demande à 15 ans, le jeune fanatique se proclame toujours  » chrétien « , mais rejette une Eglise  » dont les prêtres manifestent pour la Palestine « . Entre 1999 et 2007 il a été membre du Parti du progrès, une formation de la droite populiste qui surfe sur la montée de sentiments anti-immigrés, devenue le premier parti d’opposition avec 22,9 % des suffrages lors des dernières législatives. Il s’est ensuite éloigné d’un mouvement qu’il jugeait trop politically correct, préférant poursuivre sur son ordinateur sa croisade solitaire et mortifère. Jusqu’au passage à l’acte, ce 22 juillet.

Anders Behring Breivik, proche du  » suprémacisme « 

Combien sont-ils, comme lui, dans ce pays si paisible, à se réclamer de cette sous-culture de l’exclusion ? Faut-il craindre, en Norvège et ailleurs, la montée d’un terrorisme issu de l’extrême droite, alimenté par la haine de l’islam et le refus de l’immigration ? En 2010, dans leur rapport annuel, les ser- vices de sécurité norvégiens notaient une  » hausse de l’activité  » des milieux d’extrême droite,  » notamment islamophobes « . Ils estimaient cependant à moins de 200 le nombre de militants  » néonazis  » et considéraient qu’ils  » ne constituaient pas une menace sérieuse « . Plusieurs groupuscules composent cette nébuleuse, mais Anders Behring Breivik n’appartenait, semble-t-il, à aucun d’entre eux. Ses écrits le situent dans la mouvance du  » suprémacisme « , une idéologie fondée sur la supériorité présumée de la race blanche. Un courant qui gagnerait du terrain au sein de l’extrême droite, en Norvège comme dans les autres pays nordiques. Présent sur les réseaux sociaux, il s’exprime notamment à travers la production et la commercialisation sur Internet d’une musique étiquetée White Power. Sans doute ce courant ultraminoritaire exprime-t-il une difficulté à vivre une mixité de plus en plus visible dans ces sociétés longtemps homogènes et sans passé colonial.

DOMINIQUE LAGARDE, AVEC ANTOINE JACOB

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