Nogales, l’anti-Malraux

En 1937, ce journaliste exilé a écrit neuf histoires d’une lucidité désespérante sur la barbarie de la guerre d’Espagne. Elles sont enfin traduites. Une révélation.

Ce que les Espagnols doivent finir par accorder à leur propre histoire, c’est la lucidité et l’équanimité « , écrit Michel del Castillo à la fin de sa remarquable synthèse sur Le Temps de Franco (Livre de poche). Ce cocktail rare, Manuel Chaves Nogales (1897-1944) en était pourvu au paroxysme de la passion et de la brutalité : en pleine guerre civile.

Ce journaliste espagnol a été découvert par les Français l’an dernier grâce à la ténacité de l’écrivain espagnol Andrés Trapiello et de son éditrice française, Alice Déon, qui a publié Le Double Jeu de Juan Martinez. Ce n’était qu’un zakouski. Nogales a écrit en 1937, depuis son exil de Montrouge, un superbe recueil de neuf nouvelles : A feu et à sang. Publiée de manière confidentielle au Chili et soixante-six ans plus tardà en Espagne, cette £uvre majeure balaie la vision romantique du drame. Ici, le  » salaud  » n’est pas nécessairement franquiste ; le perdant magnifique, un anarchiste, un trotskiste, ou un communiste, et le brigadiste international, la figure indépassable de l’intellectuel engagé.

Un défilé affligeant pour la nature humaine

Car la guerre d’Espagne fut d’abord la manifestation de  » la bêtise et [de] la cruauté « , les deux  » péchés  » les plus redoutés par Nogales,  » intellectuel libéral « ,  » antifasciste et antirévolutionnaire par tempérament « , refusant de  » croire en la vertu salutaire des grandes commotions « .  » Les idiots et les assassins  » ayant  » surgi avec une égale profusion et agi avec une égale intensité dans les deux camps « , rappelle-t-il dans une préface indispensable, il dut choisir son camp : celui de l’impartialité et de la description clinique.

Son recueil est un défilé affligeant pour la nature humaine, où un jeune universitaire communiste et fils de militaire piège par une fausse petite annonce des officiers à la retraite – dont son père – pour les fusiller en groupe ; où un artiste tente de sauver du bûcher deux tableaux de Goya ; où un ramassis de déserteurs de droits communs terrorise des villages républicains en prétextant la chasse aux fascistes, etc. La nouvelle, art de l’épure, du rebondissement et de l’apologue, frôle ici la perfection. Qu’il s’agisse de La Geste des cavaliers, de La Colonne de fer, des Guerriers marocains, chaque histoire est inspirée de faits et de personnages réels, et l’absurde, qui s’abat alors sur l’Europe, donne le ton.

Lorsqu’en 1937 il eut  » l’ultime conviction que tout était perdu « , Nogales, directeur d’un journal dans le Madrid républicain, décida de partir pour la France.  » Le sang répandu par les escadrilles d’assassins qui exercent la terreur rouge dans Madrid, écrit-il, pesa autant sur ma désertion que celui, versé par les avions de Franco, de femmes et d’enfants innocents. « 

Nogales, c’est l’anti-Malraux (le romancier fait une brève apparition page 38). Le Sévillan refuse l' » illusion lyrique  » : pour lui, noir, c’est noir, alors il n’y a plus L’Espoir. Il est mort à Londres en 1944. Sans doute de chagrin.

A feu et à sang, par Manuel Chaves Nogales.

Trad. de l’espagnol

par Catherine Vasseur.

Quai Voltaire, 265 p.

EMMANUEL HECHT

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