No sex, no drugs, no rock’n’roll

Un demi-siècle après Hergé, notre intrépide reporter a fréquenté les mêmes bancs disciplinés du très catholique collège Saint-Boniface à Ixelles. Il découvre que les années 1970 n’ont changé ni la chapelle, ni l’ambiance male only. Avec Jésus mais sans filles. Ça laisse forcément des tracesà

Lotus bleu

Automne 1971. Le préfet est formidable : le contour de sa ligne claire promet d’autres complexités. Comme chez Tintin. On sonne à sa double porte boisée qui donne sur l’une des deux cours de récréation étouffée par le vitrage. L’audience accordée, on se trouve devant un large bureau qui fait à la fois office de confessionnal et de promesse de retenue le mercredi après-midi si, par le plus malencontreux hasard, vous avez failli à la discipline de Saint-Boni. Cheveux gris cendre peignés dans un alignement parfait, le dit préfet évoque un Gary Cooper version eau bénite. Séduisant mais – forcément – asexué dans un strict complet anthracite dont le modèle doit remonter à Mathusalem. Pas pour rien qu’Hergé voyait sa jeunesse  » comme une chose grise « . Si vous le méritez, pour avoir par exemple décroché un prix d’excellence, le préfet vous décoche alors un sourire implacable. On retrouve le modèle dans Le Lotus bleu et l’éblouissant dévoilement solaire des molaires de Mitsuhirato.

Au Congo

En ce début seventies, le décor du collège, son ambiance recueillie, ses escaliers grinçants, ses lucarnes en £il de b£uf, semblent immuables. Le bâtiment central, armé de hauts plafonds et de couloirs fantomatiques, ferait un excellent Moulinsart urbain. Si la chapelle n’a pas changé – toujours aussi caverneuse – on y joue désormais au ping-pong entre les saints. Le prof de français de 1975 – Monsieur Chaval – rend la dissertation avec ce délicieux commentaire :  » C’est bien mais allez donc chez le coiffeur ! « Ce quadra pimpant est habillé rétro dans un deux-pièces al caponien, la raie strictement au milieu. Saint-Boniface en Amérique. Certes, le corps enseignant s’est laïcisé mais notre prof d’anglais, l’abbé Johnson, ferait une assez belle figuration dans Tintin au Congo. D’ailleurs, en classe, il s’adresse à nous comme de bons sauvages, et supprime le voyage de rhétorique à Londres pour cause d’indiscipline collective. Moderne certes mais faut pas abuser.

Castafiore

Le milieu est – exclusivement – masculin, à l’exception des cuisinières et femmes d’ouvrage. Pas un instant, imagine-t-on une prof de sexe féminin dans cet océan de testostérone contrôlée. Et puis, crac, boum, hue, en 1973, Saint-Boniface laisse rentrer les filles : plus par raison économique que par conviction philosophique. Des élèves qu’on regarde d’abord comme une autre espèce. L’île de la tentation est dans la place : Hergé n’avait pas ce plaisir-là, alors, il choisit le scoutisme comme autre forme de partenariat pour la vie. C’est d’ailleurs dans le local de patrouille de l’école – un couloir annexe – qu’il dessine ses premiers croquis, en 1922, sept ans avant la création de Tintin. On les a retrouvés en 2007 en voulant repeindre un mur décrépi. Il y avait des Indiens, des scouts et des chevaliers. Aucune fille en vue, même pas l’ombre d’une perle de Castafiore : les parfums de femme n’étant alors vraiment pas de saisonà

Philippe Cornet est journaliste indépendant, il écrit régulièrement pour Le Vif/L’Express – et plus récemment Focus Vif – depuis 1989. Il a aussi travaillé comme réalisateur pour les magazines Cargo de Nuit et Strip-Tease de la RTBF.

par Philippe Cornet

Aucune fille en vue, même pas l’ombre d’une perle de Castafiore : les parfums de femme n’étant alors vraiment pas de saisonà

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