Net reflux pour le Web 2.0

Emmanuel Paquette Journaliste

En quelques mois, les nouvelles icônes de la Toile, Facebook, Zynga et Groupon, ont vu leur valorisation boursière s’effondrer. Mauvais présage pour les start-up de la Silicon Valley ?

Si Facebook était un pays, ce serait le troisième plus peuplé au monde. Mais cet Etat virtuel aurait aussi perdu en trois mois l’équivalent du produit intérieur brut annuel du Costa Rica, soit plus de 40 milliards de dollars. Le réseau social aux 955 millions de membres a vu en effet sa capitalisation fondre depuis son introduction en Bourse, le 17 mai dernier. La start-up n’est plus l’amie des marchés, et les milliards de dollars se sont évaporés aussi vite que la rosée du matin en période estivale. Une descente aux enfers telle que le big boss, Mark Zuckerberg, se serait même inquiété des conséquences sur le moral de ses salariés. Obligés de conserver leurs titres jusqu’au mois de novembre, ceux-ci assistent, impuissants, à l’accélération de la chute du cours depuis le 16 août, date à partir de laquelle les fonds ont pu se délester de leur participation.

 » 271 millions d’actions ont déjà été libérées et 1,2 milliard le seront le 15 novembre prochain, la pression devrait donc s’accentuer « , pronostique Michael Pachter, analyste pour Wedbush Securities. Comme si cela ne suffisait pas, le cofondateur du réseau social, Dustin Moskovitz, a lui aussi cédé près de 5 % de ses actions. Plus inquiétant, l’un des premiers investisseurs historiques, Peter Thiel, également membre du conseil d’administration, a vendu, quant à lui, 20 millions de titres. Un mauvais signal, qui rappelle un adage bien connu dans la Silicon Valley :  » Take the money and run  » (prends l’oseille et tire-toi). Tant et si bien que l’analyste de Wedbush Securities a appelé publiquement à la démission de Thiel. Ambiance.

L’explosion des smartphones change la donne

Maigre consolation pour le réseau social, son rival chinois, Renren, a lui aussi déçu. Comme presque tous les grands noms de l’Internet participatif (le 2.0), d’abord portés aux nues lors de leur entrée en Bourse, puis sévèrement traités par les marchés depuis, que ce soit le service de jeux Zynga (- 70 %), le spécialiste des achats groupés, Groupon (- 80 %), ou encore la radio intelligente Pandora (- 39 %). A eux tous, ils ont perdu plus de 60 milliards de dollars ces derniers mois.  » Il y a eu beaucoup trop d’attentes sur ces sociétés, qui devaient enterrer les anciennes gloires d’Internet telles que Google ou Yahoo ! Il n’en a rien été. Et la publication de leurs résultats cet été a fait l’effet d’une douche froide. Dans notre cas, nous préférons attendre deux ou trois trimestres avant de proposer des valeurs de ce type à nos clients, le temps d’observer si les modèles économiques fonctionnent « , explique Leslie Griffe de Malval, analyste gérant de fonds chez Fourpoints.

Facebook a pourtant annoncé une croissance de 32 % de son chiffre d’affaires en juillet, certes plus faible qu’en début d’année, mais tout de même. D’ailleurs, pour Michael Pachter,  » l’action vaut 35 dollars, pas 19. Et le réseau social devrait réaliser un chiffre d’affaires de 4,9 milliards de dollars en 2012, soit mieux qu’attendu « . Il n’empêche : les observateurs s’inquiètent de voir une proportion de plus en plus importante d’internautes se connecter à Facebook via leur téléphone ou leur tablette, alors même que la société tire peu de revenus de ces plates-formes. Une faiblesse qui frappe également Zynga. L’éditeur de jeux vidéo communautaires accessibles sur Facebook, comme FarmVille ou CastleVille, fortement présent sur le PC, tarde à se faire une place sur les mobiles. Pour se divertir avec leur téléphone, les adeptes préfèrent télécharger des jeux plutôt que de se rendre sur des réseaux sociaux. Résultat : la jeune entreprise n’affiche déjà plus de croissanceà  » L’engouement du grand public pour les smartphones va obliger les acteurs de l’Internet communautaire à trouver les moyens de valoriser cette audience, sous peine d’accentuer la défiance des marchés « , estime Jean-David Chamboredon, président exécutif du fonds d’investissement Isai.

Twitter et Airbnb ne peuvent plus compter sur la Bourse

Pour Groupon, le spécialiste des bons de réduction, les défis à relever sont différents. L’étoile montante de Chicago a investi dans une équipe de 4 500 commerciaux, qui sillonnent les villes de 48 pays pour convaincre des restaurateurs, des coiffeurs ou des salons de massage d’offrir une réduction sur leurs prix. Et la société d’Andrew Mason doit également dépenser toujours plus en marketing pour attirer de nouveaux internautes. Cette course en avant pèse sur les résultats et commence à démoraliser les investisseurs de la première heure, tout comme les employés. La VRP emblématique du site, Jayna Cooke, vient ainsi de claquer la porte.

Les déboires boursiers de Facebook, Zynga ou Groupon hypothèquent aussi l’avenir. Les mauvais résultats de ces sociétés ont sapé la confiance de nombreux actionnaires et compliquent la recherche de financement pour les start-up qui grandissent dans leur ombre.  » Il est certain que les valorisations vont être revues à la baisse. Pour les fonds, la porte de sortie vers la Bourse semble se refermer pour un an au moins. En Europe, cette option n’existait déjà plus, il ne reste donc que la vente à des acteurs industriels « , ajoute Jean-David Chamboredon. Prochains candidats à l’entrée en Bourse, le site de micro-blogging Twitter ou le service de location de chambres ou d’appartements Airbnb sont prévenus. Leurs dirigeants, associés aux banques, ne pourront organiser la pénurie de titres pour augmenter leur valorisation, à l’instar de leurs prédécesseurs.

Ces temps-ci, les investisseurs n’ont d’yeux que pour les valeurs sûres du Net, comme le moteur de recherche Google et surtout Apple. Sa capitalisation a atteint des sommets, à presque 680 milliards de dollars à la suite du procès gagné contre Samsung pour violation de ses brevets, et à quelques jours de la présentation de l’iPhone 5. Grâce à l’explosion de l’Internet mobile, sous-estimée par les petits génies du 2.0, les papys des nouvelles technologies font mieux que de la résistance.

EMMANUEL PAQUETTE

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