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Myriam Leroy vide son sac

Voix piquante d’Entrez sans frapper sur la Première et prix de la Meilleure autrice 2017 pour sa pièce de théâtre Cherche l’amour, Myriam Leroy ajoute une plume à son arc. Dans son premier roman Ariane, son héroïne considère son sac comme une trousse de survie et ne se prive pourtant pas de le déballer. L’occasion de lui proposer de faire de même !

Ava Gardner

Sa besace fétiche est un appendice solide si indispensable qu’elle ne s’en sépare jamais, même pour aller chercher le courrier.  » Ce sac est hyperlourd. J’ai le corps déformé, un problème d’axe, et mes épaules ne sont pas alignées. Qu’il soit plein de coups, de taches, j’y suis résignée : ça me ressemble.  » Superstitieuse, la trentenaire, qui publie ces jours-ci son tout premier roman aux éditions Don Quichotte (lire la critique page suivante), avoue toutefois en riant que ce prolongement d’elle si pragmatique contient des grigris sur lesquels elle projette une charge symbolique sans doute démesurée.  » Ils n’ont jamais joué leur rôle de porte-bonheur jusqu’ici. Mais j’ai l’impression que si je m’en défais, un grave malheur va m’arriver.  » Parmi ses curieux trésors infimes, souvent glanés en voyage, une photographie d’Ava Gardner récemment offerte par un ami. Cette sulfureuse actrice,  » qui cumulait les conquêtes comme une ogresse, sorte de Marlon Brando au féminin « , la fascine. Si elle se transformait en Mary Poppins, la journaliste, qui se dit comblée, aimerait malgré tout voir surgir de son sac sans fond un nécessaire de fête improvisée. Un magnum de champagne, des flûtes en cristal de Baccarat, et une platine vinyle.  » C’est surtout de ça dont j’ai envie en ce moment : faire la fête très tard.  »

Le téléphone portable

S’il y a un feutre dans son sac, celle qui est avant tout chroniqueuse prétend ne plus savoir écrire à la main, même son nom. Ne jamais se servir, pour les interviews qu’elle réalise, de ses notes d’entretien, par incapacité à relire ses lettres, toutes de guingois. Le noyau d’Ariane a surgi quand elle était en vacances, sur la plage. Hors de question de laisser filer cette intuition : son téléphone a donc fait office de carnet. Un medium qu’elle pensait temporaire mais qui, finalement, lui a convenu :  » Avec le smartphone, on n’a pas l’angoisse de la page blanche, on voit ce qui est accompli, pas ce qui reste à accomplir.  » Formatée à faire court par son cursus premier, elle a dû tirer sur le fil de ses idées. Dans des salles de spectacle quand l’ennui s’installait, dans les transports en commun : au moment même où l’écho surgissait. Indisciplinée à la tâche, incapable de s’atteler pour un marathon d’heures obligatoires à sa table, elle a auparavant fréquemment renâclé devant l’obstacle. Il lui fallait cette fois trouver un moyen de  » faire à nouveau avec envie « , de désacraliser l’écriture. Comme Anna Todd (NDLR : auteure de la série romanesque érotique After, entièrement rédigée sur smartphone) ? La primo-romancière éclate d’un rire franc : elle ne voudrait pas lui être assimilée.

Fleurs de Bach et médicaments

Elle le dit sans ambages : son sac est le reflet de ses névroses et de sa personnalité bordélique.  » Un vrai dépotoir, impossible à fermer.  » Celle dont le personal branding d’ado était  » la rebelle « , Eastpack au dos, trimbale désormais un kit de survie ultramoderne. Serlin, Xanax, Sedistress, et autres anxiolytiques ou bétabloquants y côtoient fleurs de Bach et lavande pour les poignets. Ses amis savent qu’ils peuvent compter sur cette trousse miraculeuse en cas de coup dur.  » De vagues fréquentations viennent me trouver comme si j’étais une dealeuse.  » Tout au fond, on glanera parfois des boules Quiès, des fois qu’une sieste se profilerait. On jure même y avoir aperçu de la crème solaire en plein décembre. Mais aussi des distributeurs de Nicorette en quantité et un paquet de cigarettes.  » L’indispensable en cas d’explosion nucléaire « , avec toujours une solution de secours. Peau hydratée à l’envi, Myriam regrette par contre une période de sécheresse créative.  » J’aimerais qu’à un moment, il y ait quelque chose qui sorte de terre, et en prendre soin. J’admire ceux qui font dix mille choses de leur journée et écrivent encore le week-end, comme Sébastien Ministru ou Jérôme Colin. Moi, j’ai besoin de rester dans une bulle d’isolation, sans stimuli. Que l’ennui vienne à moi pour accoucher.  »

Myriam Leroy vide son sac
© ROMAIN GARCIN

La liseuse

On la savait dévoreuse de mots et marquée au filigrane rouge par King Kong théorie de Virginie Despentes. On ignorait en revanche qu’un rectangle connecté lui servait de bibliothèque de prédilection. C’est pour elle un sésame ultraprécieux, toujours chargé, qui lui permet de lire plus. De céder à ses envies à n’importe quel moment, sans délai. Lectrice devenue allergique à l’ostentation stylistique, elle venait de terminer Robinson de Laurent Demoulin (récent prix Rossel) la nuit précédant notre entrevue. Un roman  » plein de fantaisie dont la dernière scène, belle, dure, terrible  » pourrait encore lui tirer des larmes. Pour l’heure, Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras affiche 13 pourcents de lecture et Tiens ferme ta couronne de Yannick Haenel gît, abandonné après 21 pourcents. Dans Ariane, elle a cultivé à dessein un goût du jeu trouble, s’amusant aujourd’hui de ce que les lecteurs imagineront de vrai ou faux quant à des personnages qu’elle n’a pas cherché à rendre aimables.  » Je n’ai pas envie d’un service après-vente : je ne veux pas dire aux lecteurs comment réceptionner le livre. Ecrire avec un plan tuait toute mon envie. Naviguer à vue a ses limites, mais je voulais me laisser surprendre. Ce texte est personnel parce qu’il est le premier sans ligne éditoriale préétablie.  »

Les écouteurs

Quand elle agrippe son casque dans son sac, on l’imagine écoutant Eddy de Pretto. Dans le café, on ne l’a pas vue réagir à Last Christmas, mais allez savoir quelle pourrait être sa discographie hon-teuse ? La Bruxelloise dissipe rapidement nos conjectures :  » Avec mes écouteurs, j’écoute surtout des podcasts, très peu de musique en rue. Je ne suis pas du tout cliente des livres audio. Mais être lectrice de quelques pages de mon roman, j’ai fait ça pour SonaLitté (NDLR : plateforme Web de portraits sonores, www.sonalitte.be). Au début, c’était nul, mais j’ai commencé à jouer les passages et j’y ai pris vachement de plaisir.  » Quand elle était seule face à la montagne du texte et à son piolet, très autocritique, la femme de radio a tendu l’oreille aux suggestions de son éditrice. Ses remarques concordaient avec ses propres points d’achoppement, cette mathématique rythmique si particulière à trouver. Foin de flonflons, il lui fallait revenir à une forme de pureté qu’elle a souvent trouvée chez Joachim Lafosse, souvent à l’esprit en écrivant. Montrer sans la glorifier la cruauté de l’adolescence au-delà de ce que cette période nous délivre d’abord d’anodin.

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