Mozambique La renaissance

Hier ravagée par la guerre civile, l’ancienne colonie portugaise vit à l’heure de l' » afro-optimisme « . L’apprentissage de la démocratie va de pair avec une croissance dont sa capitale, Maputo, profite à plein

Du temps où Maputo s’appelait encore Lourenço Marques, c’est-à-dire avant l’indépendance, en 1975, la capitale du Mozambique ressemblait déjà à un petit Rio de Janeiro africain. Peu de visiteurs ont résisté au charme sulfureux de cet ancien comptoir portugais, célèbre pour sa douceur de vivre et ses nuits enfiévrées. En 1976, après un bref séjour sur place, Bob Dylan chante :  » Il y a plein de jolies filles au Mozambique / C’est sympa d’y passer une semaine ou deux / Les couples dansent joue contre joue / Et tout le monde aime s’arrêter en pleine rue pour bavarder.  » Le titre Mozambique figure sur l’album Desire. Aujourd’hui, la cité tropicale, qui surplombe l’océan Indien, conserve toujours son caractère unique. Il tient à son architecture coloniale, à la cordialité des habitants et au mixage afro-européen, auquel s’ajoute l’influence anglo-saxonne de l’Afrique du Sud (à seulement 120 kilomètres), dont Maputo est depuis toujours un satellite.

 » Maputo ? C’est le secret le mieux gardé d’Afrique « , confie, en initiée, la directrice canadienne du cabinet de consultants Austral, Jeanne Stephens, qui y a élu domicile voilà quatorze ans. C’est aussi l’une des rares capitales du continent où l’on peut flâner sans crainte d’être agressé. Les bons résultats économiques expliqueraient-ils ce climat de sérénité ? Avec une croissance économique proche de 10 %, qui a permis de doubler le revenu par habitant en une décennie, l’histoire du Mozambique s’apparente en tout cas à une success story.  » C’est indéniable : un vent d’afro- optimisme souffle sur cette région, confirme un diplomate. Mais relativisons. Il est vrai, aussi, que le Mozambique pouvait difficilement tomber plus bas.  »

De fait, cette nation lusophone revient de loin. Après l’indépendance et une brève période d’euphorie révolutionnaire, elle sombre, de 1976 à 1992, dans une guerre civile particulièrement atroce. Enjeu de la guerre froide, le conflit oppose le gouvernement marxiste du Front de libération du Mozambique (Frelimo), soutenu alors par l’URSS, à la guérilla de la Renamo, armée par l’Afrique du Sud et la Rhodésie (actuel Zimbabwe), inquiètes de voir leur voisin se transformer en base arrière des mouvements anti-apartheid. Bilan des seize années d’affrontement : 1 million de tués.  » Aucune famille n’a été épargnée. Chacune d’elles compte au moins un mort « , rappelle Humberto Delgado, un artiste qui réalise des sculptures métalliques à partir d’armes à feu rouillées. A la fin de ce sanglant conflit, le Mozambique, jonché de mines, était devenu le pays le plus pauvre de la planète. D’autres calamités allaient suivre, telles l’épidémie de sida et, en 2000 et 2001, les inondations diluviennes.

La résurrection n’en est que plus spectaculaire. Elle doit beaucoup à l’aide internationale, qui représente plus de la moitié du budget de l’Etat. Mais elle s’explique aussi par la politique de réconciliation rendue possible par l’absence de pétrole ou de diamants, ressources naturelles généralement convoitées par les seigneurs de la guerre, comme en Angola ou en Sierra Leone. Dans ce contexte favorable aux investissements, les capitaux, notamment sud- africains, commencent à affluer. Exemple : la fonderie d’aluminium ultramoderne Mozal,récemment construite à quelques kilomètres de la capitale.

Une femme Premier ministre

Si, dans les campagnes, la pauvreté extrême demeure la norme, à Maputo, la croissance est manifeste. Les enfants, naguère pieds nus, sont désormais chaussés. Hôtels, commerces et immeubles modernes poussent comme des champignons, tandis que, hélas, le patrimoine architectural de Lourenço Marques continue, faute de financement, de s’effriter. Dans le centre-ville, la multiplication des voitures provoque, phénomène inédit, des embouteillages quotidiens sur les boulevards ombragés aux noms d’une autre époque : Lénine, Mao, Lumumbaà Le port concurrence de plus en plus celui de Durban, en Afrique du Sud. Enfin, Maputo s’affirme progressivement comme l’un des grands centres de conférences africains, comme en témoignent les sommets du World Economic Forum ou des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), prévus en juin prochain.

Tout aussi encourageante est l’évolution politique. L’ancrage démocratique se renforce. Deux élections présidentielles û certes contestées par l’ex-guérilla Renamo, transformée en parti d’opposition û ont été organisées en 1994 et 1999 par le Frelimo (gouvernemental). La troisième, en décembre prochain, verra le président Joaquim Chissano renoncer de son plein gré à sa propre candidature : un cas de figure assez inhabituel en Afrique. La nomination, en février dernier, de Luisa Diogo, 45 ans, au poste de Premier ministre a, elle aussi, contribué à crédibiliser l’image du pays. Première femme mozambicaine à accéder à cette fonction, cette économiste, jusqu’ici ministre des Finances, très respectée sur la scène intérieure et internationale, est connue pour son engagement dans la lutte contre la pauvreté.

Mais, ces jours-ci, c’est en direction de l’hôtel de ville de Maputo que se tournent les regards. En fonction depuis février, Eneas Comiche, membre du Frelimo et ancien gouverneur de la Banque centrale, lui aussi réputé pour sa probité, s’est engagé à redonner du lustre à une cité que son prédécesseur avait laissée aller à vau-l’eau.  » Avant, la seule chose qui fonctionnait vraiment bien, c’était la corruption ! Aujourd’hui, nous avons bon espoir que les choses changent. D’autant qu’en dehors des 3 000 kilomètres de plages de sable fin, le capital humain est l’atout majeur de ce pays de 18 millions d’habitants « , confie Philippe Gagnaux, un médecin mozambicain d’origine suisse qui, avec l’énergie d’un Don Quichotte, a créé Juntos pela cidade (Ensemble pour la ville), un mouvement issu de la société civile. La popularité de ce parti d’opposition a obligé le Frelimo à faire son aggiornamento et à pousser Eneas Comiche, lui-même membre du Frelimo, sur le devant de la scène.

Dans son bureau, ce dernier assure qu’il va  » remettre de l’ordre dans la maison « . Trois directeurs û de la voirie, de l’urbanisme et des finances û ont déjà été congédiés. Un médiateur sera nommé dans chaque arrondissement afin de recueillir les doléances des habitants, invités à dénoncer les malversations, sous couvert d’anonymat. La machine administrative sera modernisée. Du haut au bas de l’échelle sociale, ce ne sont pas les ressources humaines qui font défaut à Maputo. Car, au temps de la guerre froide, des milliers de Mozambicains ont étudié à Moscou, Berlin-Est, Prague ou La Havane.  » Plusieurs dizaines de fonctionnaires suivent déjà une formation de gestion destinée à combler certaines lacunes, précise l’édile. A l’échelon inférieur, la réorganisation devrait même toucher les 800 éboueurs. 70 % d’entre eux sont analphabètes. Ce qui signifie qu’ils ne respectent souvent ni les normes ni les horaires.  »

Dans un second temps, la mairie ambitionne û mais avec quel argent ? û d’améliorer le système d’assainissement. Un défi gigantesque pour cette ville initialement bâtie pour 350 000 habitants et qui, depuis l’exode rural provoqué par la guerre civile, en abrite cinq fois plus.

A la terrasse du Piri-Piri, un café-restaurant du centre-ville, Filimone Meigos, sociologue, poète et acteur, sirote une bière fraîche et évoque l’un de ses rôles dans une célèbre telenovela locale : celui d’un politicien véreux. A caractère éducatif, la série, diffusée avant chaque élection, s’intitule Não é preciso empurrar (Ce n’est pas la peine de pousser).  » C’est un titre parfait, car il résume la manière d’être de notre peuple, sourit-il. Non, ici, on ne se précipite pas. On fait les choses pas à pas, et c’est ainsi que nous allons sortir de la pauvreté. Tranquillement. Sans nous presser. Afin que la vie de nos enfants soit encore meilleure que la nôtre.  » l

Axel Gyldén

Axel Gyldén

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