Le maître-mouleur Thierry Demulder, très concentré : il travaille à la finition d'une des statuettes de moines. © FERNAND LETIST

Moules, art et Histoire

Le KBR Museum , à Bruxelles, s’offre Philippe le Bon et douze pleurants d’illustres sépultures bourguignonnes. Un renfort de marque pour sa nouvelle Bibliothèque des ducs de Bourgogne qui essuiera les plâtres à la rentrée. L’atelier de moulage du Cinquantenaire a réalisé la reproduction des treize sculptures.

Bienvenue à l’atelier de moulage du Cinquantenaire. Lové dans une aile du site muséal bruxellois, ce sanctuaire de la reproduction de sculptures veille depuis cent cinquante ans ans sur un impressionnant patrimoine : 4 000 moules d’oeuvres d’art allant de la préhistoire au xixe siècle.  » Cette collection de modèles et moules de sculptures est le fruit d’échanges internationaux initiés entre Etats et musées dès 1867 sous Léopold II « , précise Nele Strobbe, actuelle responsable de ce trésor du Musée d’Art & Histoire.

C’est dans ses réserves gigantesques, au coeur de ses vertigineuses étagères lourdes de sarcophages de plâtre numérotés, que Bernard Bousmanne et Elena Savini, cocommissaires du nouveau KBR Museum, ont trouvé leur bonheur : les modèles et moules pour reproduire à l’identique un buste original de Philippe le Bon et une douzaine de pleurants ornant depuis le xve siècle les mausolées des ducs capétiens Jean sans Peur, Philippe le Hardi et d’Isabelle de Bourbon.

 » Pour parachever et enrichir la scénographie de notre proposition muséale autour des manuscrits anciens de la Bibliothèque des ducs de Bourgogne (NDLR : l’ouverture a été repoussée au 15 septembre prochain pour cause de Covid), nous tenions à ajouter, à côté d’autres objets de l’époque, ce genre de statuettes. Elles seront disséminées dans nos salles d’exposition pour faire revivre le contexte historique, artistique, intellectuel, religieux ou politique de l’époque, justifie le commissaire Bousmanne. L’incontournable buste de Philippe le Bon, initiateur et collectionneur majeur de la Bibliothèque, sera, lui,installé à l’entrée de la chapelle de Nassau rénovée pour accueillir les visiteurs.  »

Plongée au coeur de l'atelier de moulage du Cinquantenaire.
Plongée au coeur de l’atelier de moulage du Cinquantenaire.© FERNAND LETIST

Moines et nobles dames

Pour choisir leurs pleurants, les deux commissaires du KBR Museum sont d’abord allés voir les dizaines d’originaux (certains conservés au Musée des beaux-arts de Dijon, d’autres au Rijksmuseum d’Amsterdam) afin de retenir ceux aux expressions les plus évocatrices. Des moines pour les mausolées des deux ducs, des nobles pour la sépulture d’Isabelle de Bourbon. Encore fallait-il que l’atelier de moulage bruxellois dispose des modèles et moules de coffrage en bon état. Après une plongée dans les collections de l’atelier du Cinquantenaire, douze pleurants – 6 moines et 6 nobles dames de cour (parmi elles, sans certitude absolue, Jacqueline de Bavière, Marguerite de Savoie et Anne de Bourgogne) – ont reçu leur bon à (re)tirer. Quant au buste de Philippe le Bon,  » aucun problème, son moule à pièces était en excellent état bien que non utilisé depuis des décennies, indique le jeune maître- mouleur Jan Swartenbroekx en charge de couler les pièces puis de les sécher au four. D’autres moules n’avaient plus été ouverts depuis quinze ans. Il y a eu une petite restauration préalable. Les douze pleurants ont été réalisés sur la base d’un moule à gélatine à l’ancienne. Tout ce qui est fabriqué ici l’est à 90 % de façon artisanale, traditionnelle, manuelle depuis plus de cent cinquante ans et coulé dans un plâtre hyperfin.  »

Au coeur de l’atelier, nous rencontrons l’autre maître-mouleur, Thierry Demulder. Masqué anti-Covid, il est plongé dans la finition des statuettes KBR sous l’oeil d’un monumental David de Michel-Ange.  » En temps normal, des bénévoles viennent nous aider mais, coronavirus oblige, mon collègue et moi avons réalisé seuls la commande « bourguignonne ». » L’étape de finition consiste à nettoyer la pièce, ébarber ses imperfections à la spatule, affiner ses courbes, lisser la figurine au pinceau, ou encore boucher quelques trous causés par des bulles d’air. Je colle aussi les abattis, c’est-à-dire les membres, comme des bras souvent coulés à part de celui-ci, détaille le maître-mouleur chevronné chatouillant de son pinceau un moine à la mine affligée. Il faut cinq jours de travail d’atelier par figurine de pleurant. Faites le compte… Et ensuite, toutes ces pièces en plâtre nu partent encore chez d’autres artisans pour être minutieusement patinées.  »

Copies plâtre de pleurantes, tombeau d'Isabelle de Bourgogne.
Copies plâtre de pleurantes, tombeau d’Isabelle de Bourgogne.© FERNAND LETIST

Aventure muséale

L’équipe de l’atelier de moulage a vécu le réveil de ce patrimoine lié aux ducs de Bourgogne comme une heureuse parenthèse.  » C’est valorisant pour notre savoir-faire et notre atelier, reconnaît Thierry Demulder. Cela casse aussi notre routine. Septante pour cent de notre production se partagent entre la réalisation de commandes pour des clients privés (NDLR : d’Hercule de Farnèse au buste de… Léopold II) et la fabrication soutenue de petites sculptures pour les Museum shops : que ce soit des chats égyptiens ou le porteur d’offrandes de la civilisation « chimo » ayant inspiré Hergé pour sa figurine Arumbaya dans L’Oreille cassée. A la longue, on aspire à se frotter à des défis plus techniques, plus prestigieux. Par exemple, les pleurant(e)s, exposé(e)s individuellement dans le parcours muséal du KBR, induisent une autre approche qu’un cortège autour d’un tombeau. Chacun doit être esthétiquement bien sur toutes les coutures, et avoir sa propre identité.  »

Moules de pleurantes en phase de sèchage dans la pièce du four, tombeau d'Isabelle de Bourgogne.
Moules de pleurantes en phase de sèchage dans la pièce du four, tombeau d’Isabelle de Bourgogne.© FERNAND LETIST

Son collègue Jan Swartenbroekx ajoute :  » J’envisage mon travail comme un challenge. Celui de soigner, restaurer, préserver un patrimoine unique. La commande du KBR offre ce sentiment de participer, entre acteurs bruxellois, à une aventure muséale patrimoniale. Avec ces treize plâtres, on est plus dans le culturel muséal que dans le commercial. Ce buste de Philippe le Bon et ces pleurants seront exposés pour longtemps. Et ils résisteront car ils auront été bien fabriqués, à l’ancienne, et renforcés avec des métaux bien traités. De tels plâtres cela peut tenir huit cents ans !  » se réjouit le jeune artisan.

D’autres vont encore prendre le relais, dans d’autres ateliers. Cette fois pour patiner méticuleusement les treize sculptures d’un blanc immaculé.  » Il faut leur donner une meilleure mine pour la rentrée « , sourit la responsable de l’atelier de moulage Nele Strobbe. Jaune laiton pour les pleurant(e)s du tombeau d’Isabelle de Bourbon, plutôt albâtre fauve pour les moines recueillis de Jean sans peur et Philippe le Hardi. Quant à Philippe le Bon, fidèle au matériau de son original conservé à Stuttgart, il reviendra à la rentrée tout… bronzé ! Idéal pour débuter sa nouvelle carrière d’hôte d’accueil du KBR Museum et de sa collection de manuscrits médiévaux.

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