Mosquée attaquée L’islam contre l’islam

Le mouvement salafiste est mis en cause dans l’incendie criminel qui a visé la mosquée chiite d’Anderlecht et coûté la vie à son imam. Un courant de plus en plus actif dans les quartiers d’exclusion.

Une dizaine de fidèles à peine se trouvent à l’intérieur du Centre Imam Rida, le 12 mars, vers 18 h 30. La prière ne doit commencer qu’une demi-heure plus tard dans cette mosquée chiite du quartier multiculturel de Cureghem, à Anderlecht. Un homme de 34 ans, se disant, semble-t-il, de confession musulmane, rentre dans le bâtiment et sort de son sac à dos un couteau et une hache. Il brise des vitres, avant d’asperger d’essence un tapis et d’y mettre le feu. Les fidèles parviennent à s’enfuir, sauf l’imam de la mosquée, qui tente d’éteindre l’incendie. En vain : le feu se propage à l’ensemble du bâtiment et l’imam, cheik Abdallah Dadou, 47 ans, père de quatre enfants, décède, intoxiqué par la fumée.

L’auteur de l’attaque, bloqué par des passants et des fidèles, est arrêté par la police.  » Il n’est pas du quartier et a décliné plusieurs identités aux enquêteurs, signale Gaëtan Van Goidsenhoven, bourgmestre d’Anderlecht. Il n’y avait aucun signe avant-coureur et pas la moindre alerte au niveau fédéral incitant à penser qu’un événement grave se préparait. Il y aura toujours des petits groupes d’exaltés résolus à semer la pagaille. Désormais, tout est mis en £uvre pour éviter l’escalade. Les musulmans savent qu’en cas de tension entre communautés ils ont beaucoup à perdre en termes d’image. « 

La communauté chiite de Bruxelles est néanmoins sous le choc. L’imam Abdallah, qui devait officier pour la prière, était originaire de Tanger. Musulman sunnite, il s’est converti au chiisme dès le début des années 1980, comme un certain nombre d’autres jeunes Marocains. Pendant près de dix ans, il a poursuivi des études de théologie en Iran, où s’était imposée la révolution khomeyniste. Le cheik a ensuite fondé, en 1994, l’une des deux mosquées chiites d’Anderlecht. Le Centre Imam Rida, organisateur d’une marche blanche citoyenne en mémoire de l’imam Abdallah ce 18 mars, est aujourd’hui le plus important centre chiite de Belgique (le pays ne compte qu’une douzaine de mosquées chiites sur un total de 300, soit environ 9 000 personnes de confession chiite). S’y côtoient essentiellement des Marocains, des Libanais, des Irakiens.

 » On associe volontiers le chiisme à l’Iran, remarque Firouzeh Nahavandi, sociologue (ULB) d’origine iranienne, mais les Iraniens de Belgique sont rarement pratiquants. La plupart des musulmans chiites de Bruxelles sont des sunnites convertis. Ils ont choisi le chiisme non pas par radicalisme politique, mais parce qu’ils ont estimé que le chiisme était plus authentique, plus spirituel. Ces conversions ont attisé certaines tensions au sein de la communauté marocaine. « 

La mouvance salafiste

Parmi la population musulmane, la mouvance salafiste est aujourd’hui pointée du doigt. Le forcené qui a mis le feu à la mosquée anderlechtoise serait un fondamentaliste sunnite antichiite et aurait proféré des slogans liés au conflit en Syrie, selon plusieurs témoins du drame.  » Une exportation du conflit syrien est toujours possible, admet le politologue Robert Anciaux, spécialiste de l’histoire des religions au Proche-Orient. Mais il faut attendre ce qui va ressortir de l’enquête judiciaire. Pour l’instant, il semble qu’il s’agisse d’un acte isolé. Généraliser cet acte à un conflit chiites-sunnites semble prématuré. Même si les deux communautés ne brûlent pas d’un amour particulier l’une pour l’autre, rien ne laisse prévoir un déchaînement de violences dans leurs relations. « 

Le Centre Rida avait déjà fait l’objet de menaces en 2007 et avait dû être placé sous protection judiciaire. Inscrits dans une logique communautariste, les salafistes occupent le terrain bruxellois depuis les années 2000, en particulier les quartiers à population précarisée. Ils sont une infime minorité parmi les 400 000 citoyens d’ascendance musulmane, mais sont actifs dans les mosquées et l’associatif.  » Les mouvements salafistes sont présents en Belgique depuis le début de l’immigration musulmane, indique Corinne Torrekens, chercheuse en sciences politiques (ULB). Certains d’entre eux ont été considérés par les autorités belges comme des porte-parole tout à fait valables. En Belgique, la bulle salafiste est vaste : cela va de l’idéologie piétiste, qui n’est pas dans l’action politique, à la mouvance djihadiste, qui prône l’application de la charia. « 

La Grande Mosquée de Bruxelles, du parc du Cinquantenaire, entre dans la mouvance salafiste, même si ses membres rejettent cette étiquette aujourd’hui très connotée.  » Elle s’est ouverte vers l’extérieur tout en gardant un discours littéraliste ou orthodoxe, ajoute Corrine Torrekens. Cela montre les nuances et les clivages au sein du salafisme.  » Une récente étude néerlandaise montre que le radicalisme salafiste et le passage à l’acte sont le fait d’une toute petite minorité.  » Il s’agit d’un processus extrêmement individuel, confirme le chercheuse, donc imprévisible, un peu comme la tuerie d’Anders Breivik en Norvège. « 

Dans son rapport 2010, la Sûreté de l’Etat s’inquiète toutefois du développement en Belgique du salafisme, décrit comme  » un courant islamique réactionnaire qui entend assujettir la vie individuelle et sociale par l’imposition de règles strictes « . Selon le document, ce courant fondamentaliste d’une grande diversité ethnique compte notamment dans ses rangs  » des Arabes, des Berbères, des Belges convertis ainsi que d’autres Européens, des Latino-Américains, Africains, Bosniaques, Turcs et Tchétchènes « . La Sûreté souligne encore qu’en 2010 des idéologues salafistes itinérants venus des quatre coins du monde  » se sont rendus dans notre pays « .

Présentée comme la manifestation la plus  » expressive  » du salafisme, le groupement Sharia4Belgium, qui veut instaurer un Etat islamique en Belgique, s’est encore illustré par de nombreuses provocations publiques depuis la publication du rapport de la Sûreté. Le 10 février dernier, le tribunal correctionnel d’Anvers a condamné son porte-parole, Fouad Belkacem, à deux ans de prison ferme et à 550 euros d’amende pour incitation à la haine et à la violence à l’égard des non-musulmans. Belkacem, dit Abu Imran, a fait opposition au jugement. L’affaire est réexaminée à Anvers ce 16 mars.

OLIVIER ROGEAU, THIERRY DENOËL ET ETTORE RIZZA

 » Tout est mis en £uvre pour éviter l’escalade « 

Le groupement Sharia4Belgium veut instaurer un Etat islamique en Belgique

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire