Monaco Princesse d’Azur

Il y a cent cinquante ans, ce n’était qu’un village de bord de mer, vivant du commerce des citrons et de l’huile d’olive. Puis le jeu est arrivé, et la chance, et l’effet de mode. Le Rocher est alors devenu le fief du luxe et des paillettes, un monde à part, hors du temps et fascinant.

Une dynastie princière amie des stars, le frisson du jeu, le goût du luxe et la présence de jolies femmes, le tout sur fond de décor bleu Méditerranée : depuis cent cinquante ans, la légende de Monaco est inoxydable. Cette cité-Etat – 2 kilomètres carrés enclavés dans le territoire français – est aujourd’hui l’une des villes les plus chères du monde. Des familles très aisées y séjournent l’été, des milliardaires y possèdent des villas insensées, quand le prix du mètre carré peut atteindre… 100 000 euros.

Luxe, strass et volupté… Certains vieux Monégasques regrettent cet étalage clinquant et affirment ne plus reconnaître leur  » pays « . En longeant le boulevard des Moulins ou l’avenue Princesse-Grace, bordés de gratte-ciel ultrachics, il est aujourd’hui quasi impossible d’imaginer le paysage qu’offraient naguère les mêmes lieux. Monaco affiche la plus forte densité de population du monde – 16 200 habitants par kilomètre carré – , presque le double de Singapour. Qui se souvient qu’il y a un siècle et demi, la principauté était un village de 1 150 âmes accroché à son rocher et vivant essentiellement de l’exportation de citrons et d’huile d’olive ?

En 1848, la domination des princes monégasques s’étend encore sur une fine bande littorale de 24 kilomètres carrés. Mais, cette année-là, entre le printemps des peuples européens et l’avènement de la IIe République française, Menton et Roquebrune se soulèvent et se déclarent  » villes libres « . En 1860, en même temps que le comté de Nice, les deux communes sont rattachées à la France. La principauté est alors amputée de 93 % de son territoire et de 85 % de sa population. Comment va-t-elle pouvoir survivre ? La princesse Caroline, mère du nouveau souverain, Charles III (1856-1889), relance alors une idée jamais concrétisée : pourquoi ne pas ouvrir un casino, afin d’attirer la clientèle fortunée qui fréquente la Riviera ?

Après quelques tentatives infructueuses, le défi est relevé par François Blanc, alias  » le Magicien « , un homme d’affaires français. En 1863, il fonde la Société des bains de mer et du cercle des étrangers. Il rachète, pour 1,7 million de francs or, la concession des jeux et les premières constructions sur le plateau des Spélugues, une étendue surplombant la baie, à environ 1 kilomètre à vol d’oiseau du palais princier, et encore difficilement accessible.

Des travaux colossaux vont métamorphoser les lieux : le casino est inauguré en 1863, l’hôtel de Paris, l’année suivante. En 1868, une ligne ferroviaire relie enfin Nice à Monaco, en une demi-heure. Des villas, agrémentées de jardins publics, sortent bientôt de terre. Entre-temps, le quartier des Spélugues – les  » petites grottes « , en monégasque – a été rebaptisé d’un nom  » digne de l’avenir qui lui est réservé « . On hésite entre Albertville (fils de Charles III) et Charlesville. Ce sera finalement le Mont-Charles : Monte-Carlo.

La nouvelle villégiature attire rapidement les riches familles britanniques et les têtes couronnées, qui ont pris l’habitude de passer l’hiver sur la Côte d’Azur. Raison première de cet engouement : depuis 1836, les jeux de hasard sont prohibés en France. Le casino de Monte-Carlo, une exclusivité de la Société des bains de mer, exhale un délicieux parfum d’interdit et d’aventure. Dès 1866, de gros joueurs y prennent leurs habitudes, à l’image du duc de Hamilton ou de Mustapha Pacha, frère du vice-roi d’Egypte, qui perd 100 000 francs or cette année-là : une somme vertigineuse. Pour François Blanc et Charles III, c’est le jackpot.  » A un point tel que, devant cet afflux massif d’argent, le prince décide, dès 1869, d’exonérer d’impôts ses sujets !  » souligne Jean-Marc Ferrié, organisateur de circuits touristiques en principauté. Depuis lors, cette fiscalité douce ne cesse d’attirer les riches étrangers désireux d’obtenir le statut de résident monégasque.

Durant le dernier quart du XIXe siècle, tout le gotha vient  » s’encanailler  » à Monte-Carlo. La noblesse russe – le grand-duc Nicolas, le prince Dimitroff, notamment – mise des fortunes à la roulette ou au baccara. Le prince de Galles, futur roi d’Angleterre Edouard VII, y mène une double vie sous le pseudonyme de  » Captain White « . Même après son couronnement, en 1901, il continuera de fréquenter le Rocher incognito.

Lorsque François Blanc décède, en 1877, sa femme hérite d’une société qui gère le plus grand établissement de jeux du monde, un Opéra, construit par Garnier, et dispose, avec l’hôtel de Paris, d’un des trois palaces les plus somptueux de l’époque.

Churchill perd 1,3 million de francs

L’histoire du casino de Monte-Carlo regorge d’anecdotes incroyables. A la Belle Epoque, des courtisanes, comme la Belle Otero, font tourner les têtes. Les soupirants de ces femmes fatales épongent des dettes abyssales ; certains se suicident, après avoir été ruinés ou éconduits. Dans cette galerie de personnages hauts en couleur, la palme de l’élégance revient à lord Winston Churchill. Un soir de janvier 1939, l’homme politique britannique perd une grosse somme à la table de jeu. Il promet toutefois de revenir rapidement. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale le propulse au poste de Premier ministre et l’empêche d’honorer sa promesse. En octobre 1945, le  » vieux lion « , encore auréolé de la victoire alliée, est de retour au casino. Il lance aux croupiers :  » Messieurs, reprenons la partie là où nous l’avions laissée !  » Ce soir-là, il perd 1,3 million de francs. Mais, le directeur du casino n’encaisse pas le chèque, pieusement conservé jusqu’à aujourd’hui. Au dernier étage de l’hôtel de Paris, la suite de 250 mètres carrés (hors terrasse) qu’occupait Churchill porte toujours son nom. Prix de la nuit : 11 500 euros, champagne millésimé inclus…

Les années 1950 renforcent encore le mythe monégasque. Actionnaire de la Société des bains de mer, Aristote Onassis, armateur grec milliardaire, pousse le prince Rainier III à épouser une star du cinéma. Un mariage médiatique attirerait tous les regards sur la principauté, au moment même où le Festival de Cannes voisin s’impose comme le plus grand événement cinématographique mondial. Onassis imagine un temps Marilyn Monroe dans le rôle de la princesse. Rainier III lui préfère Grace Kelly. L’actrice, au sommet de sa carrière, vient de tourner dans Le crime était presque parfait, Fenêtre sur cour et La Main au collet, d’Alfred Hitchcock. Oscarisée en 1955, la jeune femme abandonne le cinéma l’année suivante, à l’âge de 27 ans, pour épouser le prince Rainier. En avril 1956, les noces, d’un coût total de 300 millions de francs, sont célébrées dans une atmosphère irréelle. Des oeillets rouges et blancs pleuvent depuis l’hydravion d’Onassis. Le Tout-Hollywood s’est déplacé. Des promenades du couple sont organisées pour satisfaire l’appétit des paparazzis. Le  » mariage du siècle « , diffusé à la télévision, rassemble 30 millions de téléspectateurs.

Avec la princesse Grace, Monaco est désormais le symbole ultime du glamour. La famille Grimaldi devient un fonds de commerce inépuisable pour les magazines sur papier glacé, d’autant plus qu’elle côtoie régulièrement les stars d’outre-Atlantique, qui prennent leurs habitudes à Monte-Carlo. En 1974, c’est Joséphine Baker, grande amie de Grace, qui inaugure le Sporting Club. Un triomphe ! Cette salle de spectacles exceptionnelle, dont le toit ouvrant permet de contempler les étoiles, voit ensuite défiler la crème du show-business : Liza Minnelli, Diana Ross, Gloria Gaynor, les Who, Michael Jackson, Leonard Cohen, parmi beaucoup d’autres…

Que reste-il aujourd’hui de ces folles années, de ce tourbillon de fêtes où tout semblait possible ?  » Peu de chose en réalité, relève un connaisseur de la principauté. Monaco vit depuis cinquante ans sur le mythe princier, celui du couple éternel Grace-Rainier III. En fait, c’est un produit marketing qui a besoin de créer sans cesse des événements pour exister…  » L’annonce, à la fin du mois de mai dernier, de la grossesse de la princesse Charlene et d’une naissance pour décembre a une nouvelle fois redoré l’image de cette dynastie vieille de 700 ans.

Pour les résidents, la haute saison débute en avril, avec l’Open de tennis disputé au Monte-Carlo Country Club, et culmine avec le bal de la Croix-Rouge, le plus grand gala de bienfaisance du monde, en août. Ce dernier événement est réservé à quelques centaines de privilégiés rassemblés autour de la famille princière : notables monégasques, stars internationales et généreux donateurs. Au mois de mai, en revanche, 100 000 spectateurs investissent la principauté pour assister au Grand Prix de formule 1. Cette course est un mythe, elle aussi. Tous les jours de l’année, des mordus arpentent le tracé du circuit, photographient le célèbre virage de la Rascasse, sur le port Hercule, ou l’épingle qui fait face à l’hôtel Fairmont.

Un hall of fame

Monaco reste une escale dorée pour les stars. Leur densité au kilomètre carré est certainement la plus élevée du monde. Les célébrités jouissent ici d’un privilège inestimable : la tranquillité. Outre l’omniprésence de la vidéosurveillance et de la police, la règle locale, tacite, est de ne jamais aborder une personnalité – hors événement public, bien sûr. Au nombre de ces  » famous « , on compte tout d’abord les résidents permanents. Parmi eux, beaucoup de sportifs étrangers. D’anciens champions de tennis, comme Boris Becker, Justine Henin. Ou David Coulthard, ex-pilote de formule 1. Mais aussi les géants d’aujourd’hui : Novak Djokovic, actuel n° 1 mondial à l’ATP, ainsi que les pilotes Felipe Massa, Lewis Hamilton et Jenson Button. Sans oublier David Hallyday, marié à Alexandra Pastor, issue d’une dynastie immobilière monégasque.

Il y a ensuite les stars qui se produisent dans la principauté pour un spectacle ou y font relâche quelques jours. La liste est interminable. D’ordinaire, elles séjournent à l’hôtel de Paris. L’année dernière, Rihanna a posé ses valises à Monte-Carlo au mois de juillet. Sur son planning : shopping dans les boutiques de luxe en monokini noir et chemisier transparent, balade en bateau et parachute ascensionnel. Après leur show, certaines célébrités tentent leur chance au casino, dans un salon privé, à l’abri des regards indiscrets. Plus tard, elles peuvent faire une apparition au Jimmy’z, la plus grande boîte de nuit de Monaco, l’une des plus sélectes également.

Enfin, il y a ceux qui sont ici en amis, en habitués. Bono, qui vit à Eze (Alpes-Maritimes), est de ceux-là. Ainsi que ses complices de U2 : The Edge, Adam Clayton et Larry Mullen Jr. Proche de la famille princière, Elton John fait quasiment partie du décor. Sans oublier Claudia Schiffer, Karen Mulder, Domenico Dolce et Stefano Gabbana, Roberto Cavalli…

Certains ne sortent qu’à l’occasion de soirées privées et d’événements mondains. D’autres font la fête dans des endroits chics, mais accessibles. Sur l’avenue Princesse-Grace, une clientèle de mégastars et d’anonymes, de 25 à 70 ans, se mélange au Sass’ Café, dans une ambiance branchée et décontractée. A cette adresse, tout à la fois restaurant de nuit et club, surtout ne pas s’étonner de croiser des visages connus. Bono, encore lui, passe chaque semaine, souvent avec son pote Julian Lennon. Jennifer Lopez et Sharon Stone font la bise au patron. On se retrouve attablé près d’Emmanuel-Philibert de Savoie ou de Jean-Paul Belmondo, qui fait un détour à chacune de ses visites sur la Côte d’Azur. Le livre d’or du Sass’ ressemble à un hall of fame : Paul Anka, les Spice Girls, Buzz Aldrin, Sean Penn, Leonardo DiCaprio ont apposé un autographe, un remerciement… Parfois, un convive richissime commande 150 bouteilles de Dom Pérignon pour régaler toute l’assemblée. Délirant, pétillant, grisant. Sur l’avenue, la ronde des voitures de sport se poursuit le long de la mer. Vers 23 heures, un feu d’artifice embrase la nuit au-dessus de la plage du Larvotto. Oui, c’est bien Monaco.

Dans notre numéro du 15 août : Saint-Malo et Dinard.

Par Boris Thiolay

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