Mixité, le bon exemple gantois

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

La ville a mis en place une procédure d’inscription en primaire plus transparente. But : écarter les passe-droits et supprimer les  » files-camping « . Après deux ans, elle dresse le bilan : c’est un succès.

Aujourd’hui, Hatidjé est heureuse. La semaine dernière, son fils, Izmir, 7 ans, a fait sa première rentrée dans une école gantoise d’excellente réputation. Hatidjé, c’est une  » mère hélicoptère  » : tel cet objet volant, toujours occupée à surveiller les progrès de son gamin et prête à intervenir pour lui assurer le meilleur, qui pourrait des fois effrayer un enseignant. Izmir, lui, est un peu un cobaye de la mixité sociale.  » Je veux qu’Izmir ait le goût de l’effort et du travail, qu’il soit dans un environnement plus porteur.  » Jamais auparavant, affirme-t-elle,  » je n’aurais franchi la sélection à l’entrée « . Recalée : turque, elle habite un quartier relégué du centre-ville, là où la chance est moins clémente. Bref, un CV qui tranche avec le public scolarisé dans cette école huppée.

Gand, chef-lieu de la Flandre orientale, coincée entre Anvers la branchée, ville de Rubens et de la mode, et Bruges la romantique. Et marquée en plein c£ur par une ségrégation urbaine : ici, plus de 30 % des enfants qui entrent à la maternelle ne parlent pas le néerlandais chez eux. Leur nombre augmente chaque année de 1 %. On compte aussi des quartiers populaires, proches du ghetto. Reste que tout comme son architecture, elle cache audace et caractère. L’an dernier, elle a décidé de faire un pied de nez au terrible  » marché scolaire « , en agissant à la source : avec une nouvelle procédure d’inscription et une campagne d’explication médiatique.  » Il y avait de plus en plus de « witte scholen » ; même les classes moyennes retiraient leurs enfants des écoles mixtes « , déclare Sandra Wattenberghe, attachée à l’échevinat de l’Instruction. Entendez l’apartheid scolaire s’ancrait sensiblement.

Jusqu’il y a deux ans, les parents gantois pouvaient librement sélectionner l’école de leur enfant. Il n’était pas rare alors que les  » meilleurs  » établissements affichent complet, laissant en rade les élèves n’ayant pas le profil scolaire requis. En 2003, par exemple, les écoles primaires avaient refusé d’inscrire 108 enfants ; en 2008, l’effectif grimpait à 545. En 2008, sur les 112 établissements primaires que compte la ville, 37 avaient refusé des élèves, contre 12 voici à peine cinq ans. Ici comme ailleurs, des parents évitent la mixité pour que leurs enfants soient à l’abri dans des établissements où l’on cultive l’entre-soi.  » Aujourd’hui, tous les parents sont pleinement informés, et tout le monde a désormais sa chance. Bref, la nouvelle procédure est plus juste et plus transparente. Les parents ont confiance, car c’est un ordinateur qui décerne les places « , reconnaît Naïma Charkaoui, directrice de l’association flamande Minderhedenforum (Forum des minorités).

En réalité, l’objectif ne visait pas la mixité sociale.  » A l’époque, c’était le premier arrivé, premier servi. Des parents faisaient la queue devant certaines écoles. Ces dernières profitaient de cette pub, tandis que les autres, en coulisses, se plaignaient de leur décote : puisqu’on ne faisait pas le pied de grue devant chez elles, des familles les désertaient de plus en plus « , détaille le Dr Jean-Pierre Verhaeghe, président de la plate-forme gantoise et concepteur du programme. Il s’agissait donc de mettre fin aux files et de démocratiser l’accès à l’offre scolaire. Mais une insécurité juridique dans le décret (toujours non levée ailleurs en Flandre…) tracassait l’entité locale : qui est le premier arrivé si, à 8 heures du matin, un directeur ouvre les inscriptions et se trouve face à 100 parents installés depuis une semaine sur le trottoir ?

Dans son décret  » GOK  » voté en 2002 ( gelijke onderwijskansen), la Flandre a laissé une marge de man£uvre aux autorités locales pour réguler elles-mêmes les inscriptions. Du coup, Gand en a profité pour choisir ses propres critères de priorité : par exemple, pas de places réservées pour les enfants du quartier, mais un système qui leur accorde une place en priorité. Des règles pour corriger la discrimination. Ou, pour le dire autrement, dissuader les interventions et les passe-droits en tout genre.

Concrètement, tous les parents, et non une poignée de favorisés, peuvent postuler, notamment on line, dans plusieurs établissements, selon leurs préférences. En décembre, les écoles donnent la priorité aux fratries (là, rien de nouveau). Puis en janvier, il y a éventuellement (ce n’est pas une obligation…) un second tour, réservé aux élèves défavorisés. A partir de mars, les écoles inscrivent tous les autres élèves. Depuis l’an dernier, si l’offre dépasse la demande, c’est une machine informatique qui mouline les données pour attribuer les billets. Le seul critère : la proximité géographique entre l’école et le domicile. Au final, les parents décrochent un seul  » ticket d’entrée  » et doivent s’inscrire dans les quinze jours. S’ils traînent, la place est prise. La plate-forme locale (une task-force qui réunit tous les directeurs d’école, les pouvoirs organisateurs, les parents, les associations socioculturelles, les PMS) veille à l’application rigoureuse des règles. Conséquence : on ne voit plus de parents camper devant les établissements courus, et on a forcé certaines écoles à accepter des élèves dont elles ne voulaient pas auparavant.

La pièce maîtresse : toutes les écoles, du libre comme de l’officiel, ont accepté de jouer le jeu. L’éclosion n’a pas été sans mal. Jean-Pierre Verhaeghe se souvient de paroles très dures, entendues dans certaines écoles.  » Des directeurs nous disaient qu’ils ne pourraient plus choisir leur public, qu’on allait mettre le ver dans le fruit.  » Il a fallu un travail opiniâtre, convaincre les directions, user de beaucoup de diplomatie, l’expliquer aux autres parents. Au final, pas de vraie révolution, mais un peu de brassage scolaire. Amorcée il y a deux ans, la nouvelle procédure donne des résultats positifs. La plate-forme a fait ses calculs : elle a satisfait les parents – quelque 77 % des premiers choix exaucés -, et la procédure a un effet préventif sur la discrimination.  » On joue à la marge sur la mixité sociale, car l’école ghetto résulte d’abord de la ségrégation résidentielle « , reconnaît Jean-Pierre Verhaeghe. D’autant que l’expérience reste de courte durée pour les petits Gantois. A l’entrée en 1re secondaire, les règles changent : c’est chacun pour soi (soit premier arrivé, premier servi), et le tissu social reprend ses mauvais plis… C’est pourquoi des praticiens chevronnés de l’éducation pensent qu’il faut faire plus : instaurer une  » carte scolaire corrigée « , qui ouvrirait de vraies périodes d’inscriptions identiques pour toutes les écoles de Flandre, et veiller à ce que les élèves défavorisés soient répartis parmi les écoles d’une zone, pour créer de la mixité.

En tout cas, l’initiative fait mouche. Frank Vandenbroucke, ex-ministre de l’Enseignement flamand, puis son successeur Pascal Smet, tous deux SP.A, citent en exemple la ville de Gand. Dans la plus grande discrétion, le ministère a commandé une évaluation précise de la stratégie gantoise pour le 1er novembre. Histoire de s’en inspirer et de l’appliquer à toutes les écoles flamandes ? Au Nord aussi, le débat très politique de la mixité n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre.

SORAYA GHALI

tous les parents peuvent postuler on line dans plusieurs écoles

toutes les écoles ont accepté de jouer le jeu

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