Michelle Martin est-elle encore dangereuse ?

A l’approche de sa libération, la question de la dangerosité de cette récidiviste est estompée par une émotion compréhensible. C’est pourtant l’une des plus importantes. Et que penser des tribunaux de l’application des peines, qui jouent sans filet et sans appel ?

En août 1996, à l’heure de la mise au jour de l’affaire Dutroux, cela aurait paru carrément impensable. C’est pourtant devenu réalité en mai 2011 : après trois refus (en 2007, 2008 et 2009), le tribunal de l’application des peines (TAP) de Mons a choisi, lundi, de libérer Michelle Martin. (Mardi, celui de Bruxelles a, en revanche, refusé au second complice de Dutroux, Michel Lelièvre, le régime de semi-liberté qu’il demandait.) La décision montoise, pour bien motivée qu’elle soit, a secoué la Belgique entière en mettant cette question sur toutes les lèvres : fallait-il vraiment remettre en liberté, après sa condamnation à trente ans de réclusion criminelle le 22 juin 2004 aux assises d’Arlon, l’ex-épouse et complice de Marc Dutroux ? Celle qui n’avait pas levé le petit doigt pour sauver d’une mort atroce Julie et Melissa et pas davantage An et Eefje ? Celle qui n’avait rien fait non plus pour aider Sabine et Laetitia, rescapées in extremis de l’antre du prédateur ? Question d’autant plus encombrante que Martin n’a jamais livré d’explications définitives sur l' » affaire  » et n’a guère fait montre d’amendement. En tout cas, une réponse de masse lui a été apportée sans attendre : lancée lundi à 13 heures sur Facebook, une page proposant le refus de cette libération réunissait déjà quelque 70 000 signatures vers minuit.

A-t-elle vraiment changé ?

Mais, au-delà de cet éc£urement et de celui de parents de victimes, comme Pol Marchal ou Jean-Denis Lejeune, au-delà des thèmes récurrents remis en lumière pour l’occasion (l’incompressibilité des peines ou l’indemnisation aléatoire des victimes et de leurs proches), au-delà encore des appels à la raison (l’émotion ne peut guider le juge, ont répété des juristes, et Martin aurait de toute façon été libérée tôt ou tard), au-delà de tout cela, deux questions fondamentales surnagent. D’abord et avant tout, Michelle Martin est-t-elle toujours dangereuse ? A défaut de connaître une réponse certaine, l’interrogation suscite de l’inquiétude. Car il faut se souvenir d’abord que Michelle Martin avait déjà été arrêtée en tant que complice de Dutroux pour cinq viols très durs, en 1986. Son parcours criminel est donc exceptionnellement étendu. Que, au procès arlonnais de 2004, Martin avait donné l’impression de s’intéresser à son seul sort, comme indifférente à l’abjecte réalité que, avec Dutroux, elle avait imposée aux fillettes. Même lors d’audiences tenues pour ses précédentes demandes de libération, l’égocentrisme avait semblé être aux commandes, sans du reste que Martin entame l’indemnisation, même symbolique, de ses victimes.

Surtout, en 2009, le même tribunal de l’application des peines qui vient de dire  » oui  » avait refusé la libération, car il estimait, après audition d’experts, que, placée dans un rapport de soumission à l’égard d’un partenaire à caractère dominant, façon Dutroux, elle pourrait replonger dans la délinquance grave. Un état de choses dont elle a montré dans le passé qu’elle s’en accommode bien. A-t-elle dès lors suffisamment changé, depuis, pour être à l’abri d’une rechute ?

Contrôle à revoir

On ose croire que le TAP de Mons, qui ne souffre d’aucune mauvaise réputation, a bien soupesé tous les éléments et notamment le plan de réinsertion proposé cette fois par Michelle Martin. Il s’agit de s’en aller vivre dans un couvent français où elle trouverait, paraît-il, un  » encadrement psychologique  » et une  » prise en charge  » appropriés. Las : le TAP a pris sa décision sans que tous les accords nécessaires avec la France soient concrétisés (c’est pourquoi Martin ne quittera la prison que dans quelques semaines). Et en sachant que le contrôle des conditions mises à sa libération se fera à distance. Ceci alors que, pas plus tard qu’au mois de février dernier, au Parlement devant la Commission spéciale chargée du traitement des abus sexuels, Freddy Pieters, juge auprès des TAP flamands de Bruxelles, avait expliqué que la loi sur ces tribunaux devrait être améliorée  » car le suivi et le contrôle ne sont pas bien réglés « .

Inquiétant ? Pas forcément : Jean-Philippe Rivière, l’avocat d’une des survivantes de l’affaire Dutroux, Sabine Dardenne, est parmi les mieux placés pour jauger le risque d’une récidive et il l’estime désormais vraiment faible, nous a-t-il déclaré (non sans regretter au passage que le TAP de Mons ait curieusement omis d’interdire à Martin de fréquenter la région qu’habite sa cliente ainsi que celle où réside l’autre survivante, Laetitia Delhez).

Procédure lourde

Autre chose est le fait qu’on a redécouvert, à cette occasion, une étrangeté liée aux TAP : ils travaillent sans filet. C’est que cette juridiction est la seule, avec la cour d’assises, à ne pas connaître de degré d’appel. A supposer qu’une erreur soit commise, elle n’est donc pas rattrapable. Est-ce normal ? Il faut, pour en juger, d’abord se souvenir d’un passé pas si lointain où la libération conditionnelle passait par une décision du ministre de la Justice. En 1996, au plus chaud de l’affaire Dutroux, Melchior Wathelet senior en avait fait les frais au moment où l’on avait découvert que, après sa condamnation en 1989 pour les viols de 1986, Marc Dutroux avait été libéré grâce à sa ministérielle signature. L’élu social-chrétien n’était certes pas vraiment responsable, la  » machine  » étant quasi automatisée, mais le monde politique n’avait plus eu à l’esprit que de se défaire au plus tôt de la patate chaude. Dans un premier temps, des  » Commissions de libérations  » dépendant du pouvoir judiciaire avaient été créées. Puis, en mai 2006, la loi instituant les TAP avait été votée, avant d’être mise en £uvre en février 2007.  » La discussion avait été très nourrie quant à l’existence d’un degré d’appel « , se souvient le pénaliste bruxellois Pierre Chomé.  » Finalement, une majorité avait estimé que la procédure envisagée était déjà très lourde et que la nécessité de ne pas allonger démesurément le délai des libérations imposait un seul degré de juridiction. Je pense que c’est sage, car on observe, chez la plupart des détenus, un « seuil » dans la durée de détention qu’il vaut mieux ne pas dépasser.  » Si un appel retardait leur élargissement de deux ou trois ans, cela pourrait les transformer en fauves car  » après, ce sont les sentiments de révolte et de revanche qui prédominent à l’infini. Et ça, ce n’est utile à personne « , achève Pierre Chomé.

Résultat : l’absence de possibilité d’appel pousse nombre de détenus mécontents du TAP (dont la mansuétude est notoirement moins grande que celle des ministres successifs de la Justice du passé) à se tourner vers la Cour de cassation, comme pour la transformer en degré d’appel (alors qu’elle ne peut examiner que la forme des décisions et non le fond des dossiers). Dès le mois d’octobre 2007, la haute instance s’était d’ailleurs dite  » engluée  » par ces recours. Mais elle ne croisera pas le dossier de Michelle Martin, car le très sérieux procureur général de Mons, Claude Michaux, constatant mardi que nulle erreur de droit n’entachait la décision tombée la veille, a résolu de ne pas se pourvoir en cassation. Un choix de sage. Mais qui laissera sans doute l’opinion publique sur sa faim.

ROLAND PLANCHAR

 » Le suivi et le contrôle ne sont pas bien réglés « 

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