Michel Ocelot, l’Africain

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Le créateur du minuscule mais irrésistible Kirikou prolonge les aventures de son jeune héros dans un film aux épisodes alliant charme, humour et beauté visuelle

Michel Ocelot a 7 ans. A Conakry, où il vit avec des parents français et enseignants, l’enfant observe par la fenêtre les gens qui passent dans la rue.  » Je vois de belles personnes, les seins fiers des filles, les seins pendants des vieilles femmes. Et puis surgit la couleur, avec trois hommes qui avancent d’un pas décidé, l’un habillé d’un boubou vert, l’autre vêtu de bleu, et le troisième de rouge. En un instant, magnifique, j’apprends tout de la couleur, de cette couleur qui vit dans mes films situés en Afrique…  »

Coloriste inspiré, celui qui vécut en Guinée de 6 à 12 ans nous offre une nouvelle preuve éloquente de son art épanoui dans Kirikou et les bêtes sauvages,  » suite  » des aventures du minuscule héros africain devenu mondialement populaire avec le succès de Kirikou et la sorcière, en 1998. Ocelot ne voulait initialement pas entendre parler d’un second film qui capitaliserait sans effort sur l’attente d’un public séduit d’avance. Au lendemain du triomphe du premier Kirikou, n’avait-il pas préféré se livrer à une expérimentation aussi formellement accomplie qu’austère et peu commerciale de la technique ancienne des silhouettes découpées, Princes et princesses ?  » Si je suis longtemps resté sourd aux demandes d’à peu près tout le monde, explique le réalisateur, c’est que je connaissais les pièges qu’une suite contient. Mais Kirikou s’est finalement imposé, pas pour une suite où le héros aurait grandi, mais pour raconter des épisodes de sa vie qu’on n’avait pas eu le temps de relater dans le premier film, notamment ses rapports avec Karaba la sorcière, aussi belle que terrible, et qui intrigue le gamin…  »

Pauvreté fait style

Nouveau flash-back. Le petit Michel a désormais 10 ans, et présente des spectacles dans son théâtre de marionnettes.  » J’ai disposé tout autour des ampoules pour éclairer la scène, et j’ai placé devant chacune des papiers d’emballage de bonbons, pour colorer la lumière, surtout de bleu, la couleur des fées. Je découvrirai plus tard qu’on fait de même sur un tournage de cinéma, en plaçant des gélatines de différentes couleurs devant les spots…  » Artiste bricoleur, Ocelot a développé son style particulier selon des inclinations profondes mais aussi  » parce que j’étais pauvre, et que certaines techniques d’animation sont moins coûteuses que d’autres…  » L’économie de ses méthodes, fixée dès ses débuts dans le court-métrage en 1979, le cinéaste en a usé pour  » rester libre et pouvoir refuser les compromis créatifs que l’augmentation des budgets entraîne presque inévitablement « . Il sut, par exemple, résister à ses producteurs français et… belges de Kirikou et la sorcière, qui lui déconseillaient d’employer des voix africaines.  » Ils me disaient, sourit-il rétrospectivement, que l’accent allait nuire au succès du film, et je leur ai répondu que l’accent pouvait être au contraire un atout, comme il le fut pour Pagnol, ce dernier ayant été lui-même frappé par l’utilisation de l’accent bruxellois dans une pièce de théâtre qu’il avait vue chez vous…  »

Les personnages du second film, tout comme ceux du premier, s’expriment donc dans  » une langue française parfaite, mais marquée de leur authenticité propre d’Africains ayant leur rythme, leurs accents à eux, qui séduisent les spectateurs un peu partout dans le monde « . Et Ocelot de rappeler que le premier pays à avoir acheté Kirikou et la sorcière fut… la Norvège.  » Le distributeur norvégien m’a tout de suite dit que, dans un an, il s’agirait d’un film culte, raconte le réalisateur, et il avait raison !  » Une nouvelle preuve, s’il en fallait, que le plus court chemin vers l’universel est souvent celui de l’authenticité locale…

Louis Danvers

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