Miami vices

Avec Crime, Irvine Welsh déboule à Miami avec un flic dépressif, qui tente de sauver une victime de la pédophilie. Touchant.

« J’ai grandi dans un lieu où l’on racontait des histoires, mais de là à en écrire… ce n’était pas dans ma culture « , confie Irvine Welsh. Ce n’est qu’en découvrant d’autres auteurs écossais, que l’auteur de Trainspotting – la saga tragi-comique, à Edimbourg, d’un groupe de jeunes marginaux, accros à l’héroïne, dont Dany Boyle a tiré le film culte du même nom – ose sauter le pas. Malgré le succès, il cultive son accent puissant, garde ses amis d’enfance et encense le teatime. La violence est une fois de plus au coeur de son nouveau roman très réussi, Crime. En vacances aux Etats-Unis, l’inspecteur Ray Lennox est censé se concentrer sur ses préparatifs de mariage. Mais cet homme blessé ne peut pas s’empêcher de se laisser entraîner vers la noirceur du monde. Face à une petite fille abusée sexuellement son sang ne fait qu’un tour. Il est prêt à tout pour la sortir de là, mais peut-être doit-il aussi songer à panser ses propres plaies. Un cheminement qui ne semble pas étranger à Welsh…

Le Vif/L’Express : A l’instar de votre héros, vous êtes un Ecossais en Amérique. Quelle est votre vision de ces deux pays, qui semblent si antinomiques ?

Irvine Welsh : Grâce à mes compatriotes, j’ai compris que les écrivains écossais possèdent une sensibilité particulière et qu’il est respectable d’en être un. Mon pays se distingue par les inégalités, les aspirations collectives et l’humour noir. L’Amérique est plutôt obsédée par la peur, l’argent et la religion des pères fondateurs, qui a repris le dessus. La crainte de Dieu se traduit par la peur d’autrui. Il y a toujours un ennemi, qu’il soit Russe ou islamiste. Cette ambiance rend les gens plus contrôlables, voire manipulables. Une qualité : l’optimisme qui démontre que rien n’est ni noir ni blanc.

Souvent violents, pourquoi vos romans décrivent-ils nos fêlures ?

Parce qu’elles nous enseignent plus de choses que le succès. Les gens m’interpellent lorsqu’ils vivent un drame ou un conflit. Mes anti-héros sont soumis à la pression mentale, la drogue ou la souffrance car c’est dans ces moments-là qu’ils sont susceptibles de prendre de mauvaises décisions. Comment s’enfonce-t-on ? Plus que la résolution d’un crime, ce livre-ci tente de saisir la nature humaine. L’auteur est un investigateur, explorant les ramifications socio-économiques et les mécanismes psychologiques qui nous conduisent à l’échec, la violence ou l’aliénation. Mais malgré ces sombres côtés, mes romans renferment une part de lumière et d’humanité.

Ici, vous abordez la pédophilie. Qu’est-ce qui vous a le plus frappé en étudiant ce sujet ?

Pour approcher ce thème sensible, je me suis frotté à la réalité. Cela m’a poussé à rencontrer des policiers, des bénévoles d’associations ou des psys. J’ai aussi voulu parler à ceux qui ont commis des actes pédophiles, or ils ne sont guère intéressants. Arrogants, ils se complaisent dans l’auto-apitoiement et le manque de conscience à l’égard de leur crime. Seuls quelques-uns souffrent de leur condition qui les pousse vers les pires pulsions. J’ai été nettement plus touché par les survivants de l’horreur. Certains s’avèrent si abîmés, qu’ils portent des cicatrices profondes ; aussi faut-il les respecter. D’autres parviennent à dépasser la douleur, au point de se montrer finalement plus forts que leurs agresseurs.

Qu’en est-il de Ray, le flic drogué et paumé ? Ne cherche-t-il pas à se sauver lui-même avant tout ?

J’aime créer des personnages ayant des dilemmes moraux. Voici un policier qui se met en danger. Cet étranger, à l’étranger, sort d’une dépression et ne peut plus se fier à son instinct. Il lui est essentiel de résoudre des problèmes personnels, qui l’ont affecté en profondeur. Lors de sa quête, visant à aider d’autres gens, il devient conscient de sa propre fragilité. Il comprend aussi que l’amour a un pouvoir rédempteur, tant il est réparateur. Ecrire de la fiction renferme un acte moral. Elle ne peut pas sauver le monde, mais elle nous rappelle qu’il évolue.

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