Merkel en panne

A Berlin, sa coalition tangue de plus en plus. Au-delà des frontières, les relations se tendent avec ses partenaires européens, Paris en tête. Désormais, le doute s’installe : et si la chancelière avait perdu la main ?

De notre correspondante

« Vous vous êtes comportés comme des cochons ! « ,  » Et vous, comme une bande de cornichons !  » C’est à Berlin, où l’on est habitué à un langage politique en général plus policé, que s’est tenu récemment cet échange d’amabilités. Le fait que ce dialogue ait opposé deux représentants de la coalition au pouvoir, par presse interposée, donne une idée de l’ambiance régnant ces temps-ci au sein du gouvernement allemand.

Depuis sa réélection en septembre dernier, Angela Merkel semble faire du surplace, à la tête d’une équipe qui ne s’est toujours pas trouvée. La chancelière apparaît isolée sur la scène européenne, aussi, où elle a été dénoncée pour son indécision et sa rigidité face à la crise, voire son égoïsme national. Qui oserait aujourd’hui évoquer à son sujet la  » femme la plus puissante du monde  » ? Qu’est-il advenu de cette  » Miss Europa  » entourée des grands de la planète ? A tort ou à raison, l’Allemagne est perçue par ses partenaires, notamment français, comme une locomotive en panne.

Sur le plan intérieur, en tout cas, la chancelière est à la peine depuis le début de son second mandat.

Flanquée d’un partenaire libéral, le FDP, qui continue à se penser dans l’opposition, et d’une aile bavaroise (CSU) aussi indocile qu’imprévisible, celle qui a toujours su mieux manager que diriger ne parvient pas à imposer une ligne politique claire au sein de son gouvernement. Dernier exemple en date : le sauvetage du constructeur automobile Opel.  » L’Etat ne débloquera pas d’argent public pour épargner la faillite à l’entreprise « , annonce ainsi, le 11 juin dernier, le ministre libéral de l’Economie, Rainer Brüderle.  » Nous n’avons pas dit notre dernier mot « , lui répond la chancelière, quelques heures plus tard.  » Il y a clairement des divergences d’opinions sur Opel, reconnaît-elle, et ça ne date pas d’hier !  »  » Cette coalition peut-elle vraiment durer encore trois ans ?  » titrait récemment le quotidien populaire Bild, à propos de l’incessante cacophonie gouvernementale.

Conservateurs et libéraux ne disposent plus de majorité au Bundesrat – la chambre des régions, dont le vote est indispensable à presque toutes les grandes réfor-mes – depuis leur cinglante défaite, le 9 mai, lors de l’élection régionale en Rhénanie- du-Nord-Westphalie. Angela Merkel avait préféré attendre ce scrutin avant de prendre des décisions impopulaires, telle l’approbation du plan d’aide à la Grèce. Mais, aujourd’hui, elle ne peut plus agir. Chaque projet de loi adopté par les députés du Bundestag devra être minutieusement négocié avec l’opposition pour passer au Bundesrat. Résultat : les réformes prévues avec le partenaire libéral (santé, fiscalité, énergie) seront sans doute abandonnées.

Le budget 2011 et, surtout, le vaste paquet d’économies de 86 milliards d’euros d’ici à 2014, cristallisent de nombreuses critiques, jusque dans les rangs mêmes de la CDU, le parti de la chancelière. Quelque 30 000 personnes ont manifesté contre le projet le week-end dernier, à Stuttgart et dans les rues de la capitale allemande.

Moins d’un an après les élections, on sent donc à Berlin comme une ambiance de fin de règne : le 25 mai, le ministre-président de la Hesse, Roland Koch, poids lourd de la CDU et ancien rival de Merkel, annonce qu’il se retire de la politique – une surprise pour tous. Six jours plus tard, nouveau coup de tonnerre : le président de la République, Horst Köhler, annonce à son tour sa démission. Celle qui passait pour fin stratège aurait-elle perdu la main ? Son candidat dans la course à la présidence, Christian Wulff (CDU), est une personnalité sans relief, qui risque d’être battue, le 30 juin, par l’homme de l’opposition, le populaire Joachim Gauck, un pasteur est-allemand qui géra les archives de la Stasi lors de la réunification. Selon un récent sondage, seuls 20 % des Allemands sont satisfaits du travail de la coalition.

Mal en point sur le plan domestique, la chancelière n’a pas plus de succès à l’extérieur.

Alors que la crise devait enfin les réunir, disait-on, le président français et la chancelière allemande ne se supportent plusà La relation franco-allemande semble au plus mal, ce qui, comme on sait, ne fait pas avancer l’Europe. Les dernières propositions annoncées par les deux leaders le 14 juin à Berlin – nécessité d’un gouvernement européen à vingt-sept, ou à seize en cas d’urgence, suspension des droits de vote au Conseil européen pour les pays laxistes en matière budgétaire, taxe sur les transactions bancaires et financières – font mal oublier  » l’affaire du dîner annulé « , une semaine plus tôt. Paris et Berlin avaient alors fourni des explications contradictoires, s’accusant mutuellement d’être à l’origine du couac.

Au fil de la crise, plusieurs institutions internationales, présidées par des Français, ont accru la pression sur la chancelière. Ainsi, le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, à Berlin le 28 avril dernier, lui a arraché un accord de principe au plan d’aide à la Grèce, alors qu’elle cherchait à tergiverser pour des raisons de politique intérieure. On lui a également imposé que la Banque centrale européenne, dirigée par Jean-Claude Trichet, rachète les obligations publiques des pays en délicatesse sur les marchésà ce qui fait les affaires des banques françaises, plus engagées que les allemandes. La presse s’est déchaînée contre la faiblesse de la chancelière face à un président français défendant, contre elle, ses propres intérêts.

Dans le même temps, le discours tenu par Berlin a de quoi en agacer plus d’un, comme le souligne Ulrike Guérot, directrice de l’antenne berlinoise du Conseil européen sur les relations étrangères (ECFR) :  » L’Allemagne semble dire à ses partenaires : « Faites comme nous, engagez les efforts budgétaires conformément aux règles définies ensemble, et, quand vous aurez effectué correctement vos devoirs, on rediscutera de ce qui vous préoccupe. » C’est très arrogant. « 

S’il est mal accepté, le propos traduit cependant une exaspération réelle :  » L’Allemagne a toujours été la vache à lait du budget européen et en a assez de payer pour les autres Etats membres, qui vivent au-dessus de leurs moyens, confirme à Bruxelles un haut fonctionnaire européen. Elle devient un Etat membre comme les autres, qui regarde de près ses intérêts. Cette évolution passe mal. « 

 » Depuis la réunification, Berlin a gagné en capacité d’action, ajoute Claire Demesmay, chercheuse à la Société allemande de politique étrangère. Elle pâtit moins que les autres de la mondialisation et peut enfin parler pour elle.  » C’est le problème. Les Allemands donnent l’impression de  » lâcher l’Europe  » quand ils ont le sentiment d’être dans le droit chemin.

BLANDINE MILCENT, AVEC FRANCOIS GEOFFROY (à BRUXELLES)

Elle ne parvient pas à imposer une ligne politique claire

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire