Merci, M. Poutine

Le sourire énigmatique de Vladimir Poutine n’est pas de ceux qui adoucissent l’atmosphère. En Ukraine, c’est même un sacré froid qu’il a jeté en fermant brièvement le robinet du gaz russe. Les Européens, eux, ont eu chaud : plusieurs pays ont vu leurs fournitures de gaz russe fléchir un moment. Frayeur passagère. L’accord russo-ukrainien, révélé le 4 janvier, a mis fin au différend commercial entre les deux pays et permis un retour à la normale plus rapide qu’espéré. Cette escarmouche gazière est en tout cas lourde d’avertissements.

1. Les ours blessés sont les plus dangereux. La Russie vit très mal sa perte d’influence et tente de sauver ce qui peut l’être. L’élargissement à l’Est de la présence européenne et, plus généralement, occidentale (avec de nouvelles bases militaires de l’Otan) ne peut laisser Moscou sans réactions. Le durcissement gazier a donc valeur d’avertissement à l’égard des anciens satellites soviétiques qui flirtent de plus en plus avec l’Occident (pays Baltes, Géorgie, Moldavie…). L’Ukraine ne pouvait échapper à l’ire du Kremlin. Au c£ur même de l’histoire russe, cette république de 50 millions d’habitants a porté au pouvoir le pro-occidental Viktor Youchenko, dans la foulée de la  » révolution orange « . Mais la coalition reste fragile – le nord-est du pays est très russophile – et les élections législatives de mars s’annoncent incertaines. En brandissant l’arme énergétique, l’ours russe a rappelé brutalement qu’il n’était pas au tapis (lire en page 23).

2. Pas de romantisme, du business. L’attitude de l’Union européenne, qui a ouvertement soutenu le nouveau pouvoir de Kiev, aura été bien frileuse, arguant du fait que ce différend commercial ne la concernait pas. Au moins cela aura-t-il permis de clarifier les choses en termes géopolitiques. Les images de foules ukrainiennes réclamant liberté, démocratie et progrès ont été gommées des esprits, en même temps que la promesse d’une intégration rapide dans l’Union. Pas question de fâcher Poutine – qui s’émeut encore de la Tchétchénie ? – , dont il faut se préserver les bonnes grâces. Les raisons ne manquent pas. L’Occident aimerait que la Russie devienne membre de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), étape importante pour libéraliser davantage le gigantesque marché russe, que lorgnent les entreprises de l’Ouest. Et puis, il faut bien admettre que l’énergie russe, abondante, reste une alternative aux champs du Moyen-Orient, particulièrement instables. D’ailleurs, Poutine sait vendre cette idée à ses  » amis  » occidentaux : la mise en chantier toute récente du gazoduc nord-européen, présidé par l’ancien chancelier Schröder, permettra de livrer le gaz russe à l’Allemagne en passant sous la mer Baltique.

Enfin, même déchue de sa puissance passée, la Russie reste un  » partenaire  » particulièrement imprévisible, donc à ménager : il dispose toujours de l’arme nucléaire. Et tant pis si le rétablissement, ces dernières années, d’une autocratie présidentielle heurte de front nos valeurs démocratiques…

3. Vive l’atome ! Le quart du gaz consommé dans l’Union européenne provient de Russie. Le coup de vanne du 1er janvier a bel et bien eu un impact sur la fourniture de gaz en Europe. Rien de grave, cette fois, mais la menace est réelle. Si certains pays se ravitaillent ailleurs (la Belgique dépend essentiellement de la Norvège, des Pays-Bas et de l’Algérie), si la plupart des Etats européens ont diversifié leurs sources d’approvisionnement, la dépendance énergétique de certains reste préoccupante. L’Allemagne, première économie européenne, doit 40 % de son gaz aux Russes.

Trente ans après le premier choc pétrolier, l’Europe n’a donc toujours rien compris, elle qui importe la moitié de toute son énergie !

Le débat sans cesse reporté sur une politique énergétique commune retrouve une brûlante actualité. Avec, à la clé, la question de l’énergie nucléaire. Certains pays, dont le nôtre mais aussi et surtout l’Allemagne, ont décidé de s’en passer progressivement. La crise actuelle confirme que certaines décisions, qui doivent davantage aux mouvements d’opinion qu’à l’analyse des réalités, doivent être revues. Se passer définitivement de l’énergie nucléaire en Europe nous obligerait à importer, en fin de compte, au moins 30 % de gaz et de pétrole en plus… Au moment où le développement de la Chine, de l’Inde et du Brésil épuise toujours davantage les gisements d’énergies fossiles, il est bon de se rappeler que l’atome a son avenir devant lui. Pas derrière.

Stéphane Renard

En fermant brièvement les vannes du gaz russe, le patron du Kremlin vient de rappeler aux Européens qu’ils auraient bien tort d’abandonner le nucléaire

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