Menace sur les mâles

Comment réagit la nature ? Face à la faiblesse constatée du chromosome Y, un scientifique britannique pose une intéressante question

(1) Ed. Albin Michel, 408 p.

Le sexe faible n’est pas celui qu’on croit. Dans 5 000 générations, les mâles auront disparu de la surface de la terre. Eradiqués jusqu’au dernier. Victimes de leur fertilité en berne. Du moins si la théorie décoiffante d’un scientifique britannique de l’université d’Oxford, Bryan Sykes, se vérifiait. Cet esprit rigoureux, mais volontiers provocateur, la développe dans un livre, La Malédiction d’Adam. Un futur sans hommes, dont la traduction française vient de paraître (1). Il y dépeint l’avènement, dans… 125 000 ans, d’une société pacifiée, où la misère et les guerres auront disparu en même temps que les mâles. Les femmes s’y reproduiront entre elles, pour peu que soit résolu le problème de la fécondation d’un ovule par un autre ovule û un simple détail technique, selon l’auteur. Et ces mères ne donneront plus naissance qu’à des filles.

Eve sans Adam, ou Barbie sans Ken. Selon la moitié de l’humanité à laquelle on appartient, cette perspective paraîtra séduisante ou épouvantable. Sur le fond, la thèse de Bryan Sykes reste un exercice théorique. Mais elle s’appuie sur des données scientifiques sérieuses, issues des dernières études sur le chromosome Y. Les filles se différencient des garçons parce qu’elles possèdent deux chromosomes X. Eux sont XY. Or ce chromosome distinctif est le plus petit de tous, et le plus pauvre en gènes. L’explication ? Au cours de l’évolution, il est devenu l’ombre de lui-même, selon la théorie de l’Américain David Page, qui fait actuellement autorité. Le Y est, en effet, le seul à ne pas disposer d’un jumeau dans le génome. Tous les autres chromosomes de l’être humain vont par paires. Ceux-là peuvent donc procéder à des échanges avec leur double pour corriger les erreurs de copie qui surviennent lorsque la cellule qui les contient se multiplie. Pas le Y, isolé. Cette technique de réparation, appelée  » recombinaison « , lui est interdite. Son célibat le condamne donc à une déchéance lente, mais apparemment inéluctable.

Bryan Sykes, qui est généticien des populations, a mis des chiffres sur ces maux. Actuellement, 7 % des hommes ont des problèmes de fertilité. Certains cas s’expliquent par l’exposition aux polluants et aux produits chimiques. Mais un quart sont dus à des mutations sur le chromosome Y. Après avoir calculé la fréquence théorique de ces accidents génétiques, le chercheur a tracé une courbe en chute libre, qui se termine avec une fécondité masculine égale à zéro. Il désigne cependant une sortie de secours pour cette moitié maudite de l’humanité.

L’exemple à suivre est celui d’un rongeur des forêts du Caucase, le rat-taupe Ellobius lutescens. Dans cette espèce, les mâles n’ont pas de chromosome Y. Ils ne possèdent qu’un X, tout comme leurs compagnes. Les chercheurs allemands et russes qui étudient cette sorte de campagnol supposent qu’il a perdu son chromosome Y au cours de l’évolution, mais que les gènes essentiels à la masculinité ont migré sur d’autres chromosomes. Ils peinent pourtant à les localiser, car ce rat-taupe refuse de se reproduire en laboratoire.

Sauvetage artificiel

Le sauvetage des attributs mâles pourrait être tenté artificiellement, par des manipulations génétiques en éprouvette. Mais il suffira peut-être de laisser faire la nature…  » Des patients qui portent la même mutation sur le chromosome Y peuvent être stériles dans certains cas et parfaitement fertiles dans d’autres « , note Jan Tesarik, chercheur associé au laboratoire d’Eylau, un centre de lutte contre l’infertilité, à Paris. Chez ces hommes miraculeusement épargnés, la fabrication des spermatozoïdes est en fait contrôlée par des gènes situés sur d’autres chromosomes.  » On pourrait imaginer qu’à terme les gènes en question reprennent 100 % de la tâche, et que le Y devienne inutile « , poursuit le scientifique.

Le chromosome Y est donné pour mort, mais il peut encore réserver des surprises. Son décryptage, achevé en juin 2003 par l’équipe de David Page, s’est soldé par une découverte de taille. Le Y a inventé sa propre méthode de réparation des mutations, en plaçant tête-bêche des séquences identiques d’ADN dans certaines régions stratégiques.  » Ces zones protégées contiennent justement les gènes importants, ceux qui contrôlent la formation des organes génitaux masculins chez le f£tus et la spermatogenèse, note le Pr Marc Fellous, directeur d’unité Inserm, généticien à l’hôpital Cochin, à Paris. La nature n’est pas aussi bête que nous l’avions cru.  »

Estelle Saget

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