Même pas peur des docteurs blancs…
Depuis 1997, les bénévoles de La Chaîne de l’Espoir invitent en Belgique des enfants malades de pays en développement afin de les opérer. Ils mènent aussi des missions dans différents hôpitaux du monde. Pour rendre le sourire à ces petits. Et plus encore
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Sonia se serre quelques secondes contre Dominique, une bénévole d’Aviation sans frontières. Puis, courageuse, la petite fille s’en sépare. Elle donne la main à Brigitte Tedesco, sa » maman d’accueil « . Sonia ne sait rien de ces adultes qui sont venus l’accueillir à Zaventem, un matin froid de décembre, alors que le jour était loin d’être levé.
Déjà, le Pr Thierry Sluysmans reprend sa moto : ses consultations débutent bientôt aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Il est venu, il a vu, il est rassuré : Sonia, 10 ans, et Christian, 7 ans, originaires du Rwanda, semblent avoir bien supporté le voyage. Ces deux enfants, qui souffrent d’une pathologie cardiaque, peuvent donc se reposer un peu dans leurs familles d’accueil, sans un détour immédiat par l’hôpital. Mais demain, sans faute, la valse des examens commencera. Et, le surlendemain, ils seront tous deux opérés. Sonia subira une intervention à c£ur ouvert, Christian, un cathétérisme cardiaque. Dans six semaines, ils devraient retrouver leur famille. Définitivement guéris.
Dans vingt-quatre heures, c’est John, 3 ans, en provenance du Congo, qui sera attendu à l’aéroport. Il est également atteint d’une maladie cardiaque. Pour lui aussi, il y aura des » parents d’accueil » levés aux aurores. Une cardiologue de Saint-Luc, le Dr Cathy Barilla, sera à leurs côtés : pour John, le voyage présente des risques. Ces adultes sont tous réunis dans une même tension, une même émotion pas toujours loin des larmes, et solidaires dans une même aventure : celle de la Chaîne de l’Espoir (1). Cette association fait venir des enfants pour les opérer en Belgique. Elle envoie aussi des équipes dans des pays en développement. Elles y réalisent des interventions chirurgicales pédiatriques, tout en donnant aux soignants locaux les moyens de devenir indépendants. Sonia s’éloigne en trottinant lentement, sa main dans celle de Brigitte. Elle vient de confier aux adultes présent : » Moi, je n’ai pas peur des docteurs blancs. »
L’histoire de la » Chaîne » ressemble à celle que l’on raconte sur ces papillons qui, en remuant leurs ailes depuis l’Amérique du Sud, finissent par engendrer des tornades au nord du continent. Sauf qu’ici les papillons sont des hommes qui se mobilisent pour aider des enfants. Au départ, il s’agissait uniquement de médecins. Quand le Pr Jean Rubay, responsable de la chirurgie cardiaque pédiatrique à Saint-Luc, a été contacté par une jeune association française nommée la Chaîne de l’Espoir, il a su aussitôt, tout comme le Pr André Vliers et le Pr Thierry Sluysmans, chef de service de la cardiologie pédiatrique à Saint-Luc, qu’ils tenaient enfin la clé d’un projet dont ils rêvaient. Ils sont donc entrés dans la Chaîne, entraînant avec eux d’autres bénévoles, pas seulement de leur hôpital et pas forcément du corps médical : actuellement, ils sont une soixantaine. Tous n’ont qu’un credo : il n’est pas possible d’accepter l’injustice de la mort d’enfants ou leur handicap, faute de soins chirurgicaux, parce qu’ils sont nés ailleurs et pauvres, dans un pays défavorisé.
Depuis 1997, bon an mal an, la Chaîne de l’Espoir, devenue ONG l’an passé, accueille de 10 à 15 enfants en Belgique et les y opèrent. Saint-Luc prend une partie des frais en charge, d’autres hôpitaux, comme Tivoli (La Louvière), Saint-Joseph (Mons) et Saint-Pierre (Ottignies) commencent à rejoindre le mouvement. Pour ces malades, les chirurgiens, anesthésistes et autres spécialistes renoncent à tout honoraire. Une hospitalisation coûte en moyenne un peu plus de 7 000 euros à l’association. Les familles d’accueil – elles sont une vingtaine – sont toutes constituées de bénévoles.
Sonia, Christian ou John n’illustrent qu’une facette des activités de la Chaîne, celle, peut-être, la plus à même de sensibiliser les donateurs. En effet, les membres de la Chaîne ne se contentent pas de lever les obstacles (essentiellement financiers) à la venue d’enfants d’ailleurs dans nos hôpitaux. Tous les ans, plusieurs équipes médico-chirurgicales mènent des missions à l’étranger. Pour ces quinze jours de travail intense, souvent, les soignants grignotent sur leurs congés légaux. Ils partent généralement avec du matériel. Destination : le Sénégal, le Vietnam, le Rwanda, le Congo, le Venezuela, le Nicaragua. Les embûches principales sont résolues lors de missions préparatoires. Une fois sur place, les équipes vont poser des diagnostics, puis opérer certains enfants. Parfois, les malades ont marché trois jours pour les rencontrer.
Les soignants belges assurent qu’ils apprennent beaucoup lors de ces missions. » Chez nous, se faire soigner est presque un dû ou, au moins, une évidence, remarque le Pr Rubay. Là-bas, l’accès aux soins est vécu comme un don, un miracle destiné à des enfants dont certains allaient certainement mourir. Ici, les chirurgiens ou les spécialistes sont de plus en plus plongés dans un univers technique et sont soumis à une foule de contraintes économiques. Avec la Chaîne de l’Espoir, nous retrouvons le sens et l’intérêt de gestes humanisés en permanence et la passion qui nous a fait choisir ce métier. » Julie Thyrion, infirmière pédiatrique, dit qu’elle pose à présent un autre regard sur son travail. » Là-bas, confirme-t-elle, les opérations ne sont pas vécues comme une catastrophe ou une agression, mais comme une chance. Cette vision nous réconcilie un peu avec notre profession. » Ses collègues Colette Misson et Véronique Malherbe ajoutent qu’au cours de ces séjours elles ont pu vivre un vrai travail d’équipe, tout en apprenant la débrouillardise au contact de ceux qui ont l’habitude d’avoir très peu.
Sur un plan médical aussi, la vision des soignants change. Ils découvrent des enfants souffrant de maladies désormais disparues ou prises en charge très tôt dans nos contrées. » Nous ne savions pas qu’il était possible de survivre si longtemps avec certaines de ces pathologies « , remarque le Pr Sluysmans. Les Drs Thierry Detaille, réanimateur aux soins intensifs, et Amin Matta, anesthésiste à Saint-Luc, confirment aussi que ces enfants peuvent être extubés plus tôt, qu’ils passent moins de temps en réanimation – ce qui tombe bien : il y a en général peu de lits disponibles -, réclament moins d’antidouleurs. » S’ils sont agités après une opération, ils se calment quand on les place sur leurs mères, moins angoissées que les nôtres : nous avons redécouvert les vertus du cocooning « , s’amusent les infirmières.
Objectif : transmission
Les missions à l’étranger ont également permis aux bénévoles de la Chaîne de trouver le sens exact de leur bénévolat. Dominique Thiry est perfusionniste : cet infirmier spécialisé gère l’appareillage complexe qui prend le relais du c£ur et des poumons lors de lourdes opérations pour lesquelles cette » circulation extracorporelle » est indispensable. Pourtant, lors de ses quatre séjours à l’hôpital de Managua (au Nicaragua), son rôle consistait non pas à jouer des manettes tout seul dans son coin, mais à transmettre son savoir à un technicien local. C’est exactement cet objectif-là que poursuivent les bénévoles de la Chaîne : la formation et l’autonomie des équipes locales, travaillant, comme eux, avec des critères élevés de qualité de soins.
» Au départ, nous idéalisions beaucoup les missions. Aujourd’hui, nous sommes devenus plus réalistes et plus prudents « , remarque Anita Clément, la seule permanente de l’ASBL. En fait, les soignants belges ont évolué et ont défini une philosophie claire pour leurs actions. » Nous ne sommes pas là pour tout faire, et donc pour intervenir puis repartir « , précise le Dr Robert Elbaum, orthopédiste pédiatrique à l’hôpital de Tivoli.
» L’idée fondamentale, c’est de répondre spécifiquement aux besoins de chaque centre, d’apporter nos compétences et le coup de pouce nécessaires. Ensuite, nous passons à une autre mission « , explique Bénédicte Gatz, coordinatrice du projet Sénégal. Ce défi réclame d’avoir le soutien des ministères locaux de la Santé mais, aussi, la motivation de tous les soignants et une confiance réciproque entre les équipes. Sur ces bases, certaines missions ont atteint leur objectif. D’autres moins…
Quand le Dr Detaille montre les images qu’il a rapportées de l’hôpital de Managua, d’où il revient avec une équipe de l’Universitair Ziekenhuis de Gand, conduite par les Prs Daniel De Wolf et Katrien François, il prévient : » Cela vous semble beau. Mais vous ne voyez pas les mouches et vous ne sentez pas l’odeur. » En Afrique, c’est pire encore. L’état d’insalubrité et de dégradation des hôpitaux est tel que toutes les chirurgies cardiaques ne peuvent y être pratiquées. On opère donc uniquement des enfants pour des actes relativement » simples « . Au Congo, ces interventions n’avaient plus été effectuées depuis des années. Mais comme l’enthousiasme des bénévoles reste intact, ils n’entendent pas se contenter de cela.
Depuis des années, le Pr Vliers prépare un projet destiné au Congo : l’ouverture d’un centre de chirurgie pédiatrique à Kinshasa, dans une structure qui proposerait une cinquantaine de lits. Beaucoup reste à faire, y compris trouver, en Belgique, des sponsors importants. » Nous avons largement fait nos preuves et pourtant, contrairement à notre homologue français, nous ne sommes pas encore parvenus à inciter de grosses entreprises à nous soutenir. Pourtant, il le faudrait, pour passer à une vitesse supérieure « , expliquent le Dr Elbaum et les responsables de l’association. Cette année, sans doute en raison du tsunami, les dons ont baissé (de 140 000 euros, le budget est passé à 100 000)…
Ce mois de décembre, Sonia a été opérée à c£ur ouvert par le Pr Rubay, John aussi. Quand Christian s’est réveillé de son cathétérisme, Chantal et Fritz Dessalines, ses parents d’accueil, étaient à ses côtés, rassurants et attentifs. Actuellement, Christian est sous médicament : avec un peu de chance, ils corrigeront le fait que son c£ur, avant d’être » guéri « , s’est trop musclé afin de pomper fortement le sang. Il lui faut, désormais, apprendre à battre plus » normalement « . L’enfant pourra aller ensuite à la piscine, son plus grand rêve, racontent ses parents d’accueil. Quant à Sonia, qui apprend à chanter, avec Brigitte, des comptines françaises, elle verra bientôt le Dr Elbaum : on s’est aperçu qu’elle boitait en raison d’un problème orthopédique.
» Les enfants doivent être guéris quand ils rentrent chez eux : ils viennent de familles qui ne pourraient payer des traitements « , souligne Anita Clement. » Lors des départs, à l’aéroport, en général, nous sommes tous en pleurs « , avoue Bénédicte Gatz. Mais, quand on leur demande quel est leur plus beau souvenir de la Chaîne, tous les bénévoles parlent du sourire des enfants sauvés…
Comme un éléphant blanc (Michel Lafon), il raconte comment » de petits gestes peuvent nourrir une grande vision » et pourquoi il faut rêver sa vie pour faire basculer les injustices. » Vous êtes ce que vous faites « , dit-il. Comprenez : pour atteindre ses rêves, n’hésitez pas à suivre des chemins de traverse.
Pascale Gruber
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